Avec le monde fermé et divisé de Trump, les pionniers du numérique et d’Internet craignent de voir s’envoler leurs rêves de bascule dans une nouvelle époque riche en créativité et en potentiel. Et si Trump était l’équivalent contemporain de Savonarole, ce frère dominicain qui, déposant les Médicis, avait mis fin à la Renaissance à Florence ?
En route pour Davos, les élites technophiles ont affiché leur inquiétude cette semaine à Münich face aux éloquences dangereuses, aux discours enflammés, anti-humanistes, intransigeants, comme aux murs qui excluent.
La conférence annuelle DLD (Digital Life Design) s’est ainsi ouverte par une keynote de l’ancien conseiller économique de Nelson Mandela, Ian Goldin, co-auteur d’un essai sur notre nouvelle ère actuelle de découvertes, finalement comparable à la Renaissance au 15ème siècle. Deux époques agitées, incertaines, confuses, mais porteuses de formidables possibilités, qui placent la société face à des choix cruciaux.
« Est-on en train de vivre le meilleur des siècles ou le dernier ? », s’interroge Goldin, aujourd’hui professeur à Oxford. « Le moteur de la créativité est reparti. Nous devons nous battre pour l’ouverture et la connectivité des hommes », répond-il immédiatement.
Face à « la double menace des murs qui excluent, et de l’effet papillon mondial des mauvaises décisions (…) nous devons protéger les bénéfices de notre Renaissance et tout faire pour ne pas finir comme les Médicis ».
C’est donc le plus sérieusement du monde que Julian Savulescu, prof d’éthique médicale à Oxford, a indiqué qu’on allait pouvoir prochainement modifier le comportement moral des individus en éditant leurs gènes. Sans doute faudra-t-il aussi songer à améliorer la gouvernance des pays par intelligence artificielle et chatbots, a conseillé Joshua Browder, fondateur de DoNotPay. En d’autres termes pour nos geeks et biogeeks, les responsables politiques ne sont plus la hauteur des enjeux !
Et il fallait voir en Bavière les visages fermés des Allemands, choqués par les attaques de Trump dans sa première interview européenne, en attendant, sceptiques, le discours de la Première ministre britannique sur sa vision du Brexit, perçu comme un retour en arrière.
Point d'inflexion
D’où des appels vibrants aux géants du web à faire preuve de plus de responsabilité, notamment dans le paiement de leurs impôts, et aux gouvernements pour des investissements publics accrus.
« Nous sommes à un point d’inflexion quand 20 à 25% des gens vivent dans la précarité ou ont peur pour leurs emplois en raison du numérique », a estimé le PDG de Deutsche Telekom qui s’est prononcé fermement en faveur d’un revenu de base. « Donc soit on continue dans notre bulle sans tenir compte des résultats des récentes élections, soit on fait en sorte d’inclure ces gens », a ajouté Timotheus Höttges. Surtout quand une étude de McKinsey publiée cette semaine affirme que près de la moitié de notre temps de travail actuel pourrait déjà être rempli par des machines existantes. « C’est un signal ! Il y a donc bien quelque chose qui va se passer ».
"La question est de savoir comment démocratiser l'accès à l'intelligence artificielle", résume le PDG de Microsoft, Satya Nadella. Et peut être aussi de se rappeler que la Chine compte aujourd'hui 300.000 ... doctorants.
Mais qui possède aujourd'hui les clés d'accès à l'IA ? C'est-à-dire à des énormes quantités de données, à une puissance informatique quasi infinie, et à des algorithmes performants, si ce n'est -- toujours et encore -- la demi douzaine de géants du web, chinois et américains !
Vers un Internet contextuel
Dans le même temps, la high-tech a montré qu'elle continuait d'avancer selon sa règle immuable : ce qui est rare aujourd'hui, deviendra une commodité demain !
Et aujourd'hui c'est la personnalisation.
De plus en plus dopé à l’intelligence artificielle, aux serveurs qui apprennent en réseau, aux capteurs, à l’informatique ubiquitaire et ambiante, Internet va rendre des services personnalisés liés au contexte et aux échanges des utilisateurs. Chacun préfèrera avoir « quelqu’un » à qui parler personnellement qu’avoir affaire à 100 applis indifférenciées et finalement peu utilisées.
Déjà dominants en Chine, les bots et chatbots, faciles à faire et bon marché, sont une des réponses au souci de démocratisation de l'intelligence artificielle. La blockchain peut aussi permettre de garder un web décentralisé.
BMW assure ainsi que sa voiture autonome "qui circulera dans quatre ans", réagira en fonction des discussions des passagers pour proposer des solutions pertinentes. Lufthansa estime que d'ici trois ans, les 500 passagers d'un Airbus A380 profiteront quasi tous d'un prix de billet et de services différents. Allianz admet utiliser massivement l'intelligence artificielle pour améliorer ses contrats d'assurance. A l'aube d'une "troisème révolution aéronautique", Airbus promet de faire voler d'ici la fin d'année un appareil sans pilote, qui s'avèrera d'ailleurs "plus sûr" que piloté humainement, assure Tom Enders, le PDG.
Dans ses magasins en dur, Amazon reconnaît ses clients et les laisse partir avec les produits sans les faire passer à la caisse.
Dans les médias aussi, la coopération homme / machines bat son plein : Disney utilise les données pour prédire l'avenir de ses meilleurs YouTubeurs, Musical.ly, réseau social de vidéo musicale, utilise aussi les machines pour aider ses communautés à trouver les bons talents. "Tout le monde fait ça aujourd'hui!".
Mais nous n'avons encore rien vu !
"La loi de Moore est plus que jamais d'actualité", a juré il y a quelques jours le président d'Intel. Et en matière biologique, ça va encore plus vite : "le coût de séquençage du génome humain est 100 mille fois moins cher qu'il y a 15 ans !". "Tout va être encore différent dans 10 ans", prévient Deep Nishar, directeur général de Softbank.
Dans notre salon, TV et ordis auront disparu, ce sera le règne de la réalité augmentée, assure le fondateur d'Otoy. En d'autres termes celui de l'holodeck de Star Trek. Nous tiendrons le court de tennis dans la paume de notre main et pourrons agrandir l'hologramme à volonté. Liberty Media est certain que nous ne regarderons plus la F1 : nous serons assis au volant du bolide !
Mais pour cela il faudra la 5G (attendue en 2020 par Bruxelles mais prévue l'an prochain à Séoul) et surtout un débit énorme à la maison : au moins un giga par seconde. En attendant l’informatique quantique arrive, encore plus disruptive, et les infrastructures ne sont pas prêtes.
ES