Les citoyens n'ont jamais été aussi méfiants envers les médias

Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective

Le divorce entre citoyens et médias est-il consommé ? Oui, à en croire la 31ème édition du baromètre de la confiance des Français dans les médias, réalisé par Kantar pour La Croix. Les chiffres sont édifiants : les Français se désintéressent de l’actualité et surtout, ils se méfient des médias et des journalistes. Un constat inquiétant à quelques semaines de l'élections présidentielle. 

Les médias, persona non grata

L’intérêt des Français pour l’actualité atteint cette année un niveau historiquement bas, avec seulement 64% de sondés déclarant suivre assidûment les nouvelles. Un tel désintérêt n’avait pas été observé depuis 2002, avec les résultats que l’on sait au premier tour de l’élection présidentielle. Revivra-t-on le même scénario en avril prochain ? Difficile à dire, mais il faut bien avouer que ce désamour des citoyens envers les médias évoque définitivement un sentiment de déjà-vu.

Ce sont aussi bien la radio que la télévision, la presse écrite et internet qui sont concernés. La crédibilité accordée à la radio a ainsi baissé de 3 points entre 2016 et 2017, passant de 55% à 52% de Français qui considèrent qu’elle relate fidèlement l’information. La tendance est encore plus prononcée pour la presse écrite et la télévision, qui ont respectivement perdu 7 et 9 points de crédibilité. Même constat pour l’information sur internet, dont la crédibilité a baissé de 5 points.

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Mais plus que l’objet global « médias », c’est la figure même du journaliste qui cristallise la brouille entre citoyens et médias. Seuls 27% des Français estiment ainsi que les journalistes résistent aux pressions de l’argent. Un chiffre qui tombe à 24% s’agissant des pressions des partis politiques et du pouvoir.

Et pourtant… Près de 8 Français sur 10 pensent que les médias ont un rôle important à jouer dans le cadre de la présidentielle. Paradoxal ? Pas tant que ça si l’on regarde de plus près leurs attentes : ce que le public demande, ce sont moins des tribunes d’opinion que de l’information factuelle et vérifiée. 74% des sondés déclarent ainsi vouloir une information vérifiée pour suivre la campagne tandis que seuls 10% attendent des médias qu’ils s'engagent et 10% qu’ils les aident à faire leur choix. Exit donc les tribunes et autres éditoriaux engagés, les médias doivent prendre conscience que leur public désire avant tout du décryptage.

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La fin de la récré pour les médias

Le moral n’est pas au beau fixe dans les salles de rédaction. Les résultats de l’enquête ne sont pas surprenants, mais leur ampleur est, il faut l’avouer, assez inédite. C’est la fin de la récréation pour les médias : après la douche froide de l’élection de Trump chez leurs confrères américains, les journalistes français ont bien compris qu’il était temps de procéder à un examen de conscience en bonne et due forme. Il est grand temps de nous poser les bonnes questions : comment en est-on arrivés à un tel niveau de défiance et surtout, comment regagner la confiance du public ?

La réponse est simple : nous devons nous battre sur tous les fronts. Il nous faut parvenir à la fois à contrer les fake news et à conserver notre légitimité face aux complotistes persuadés que les journalistes seraient tous de mise avec les politiques et les grands patrons du MEDEF.

Pour Michèle Léridon, directrice de l’information de l’AFP, les médias doivent « savoir entendre et se faire entendre ». Il s’agit de parler à leurs lecteurs, mais aussi – et surtout – de les écouter. D’écouter leurs doléances, leurs attentes et leurs incompréhensions. De dialoguer avec eux pour leur permettre d’être acteurs de leur consommation d’info.

Et cela ne se fera pas en restant dans le confort des bureaux parisiens. Il est plus que jamais nécessaire d’aller sur le terrain pour faire renaître la proximité avec les citoyens, de renforcer la coopération avec les bureaux régionaux pour produire une info plus locale, plus précise, moins « parisiano-centrée ».

« Réhabiliter le fait et combattre le relativisme »

C’est le dernier chantier, et pas des moindres, qui attend les médias selon Guillaume Goubert, directeur de La Croix. Alors que 83% des Français affirment avoir déjà été confrontés à une fake news sur les réseaux sociaux, il devient de plus en plus urgent de repenser notre traitement de l’information. Nous devons produire des contenus pédagogiques, clairs et didactiques.

Nous devons nous aussi investir dans l’éducation aux médias pour donner aux citoyens les clés de lecture nécessaires à la compréhension de l’information. Citons par exemple le Décodex lancé cette semaine par Le Monde pour guider les internautes dans la vérification de la fiabilité de leurs sources. Aux Etats-Unis, Slate a développé un plugin pour signaler les fausses informations sur Facebook, tandis que le Washington Post propose de corriger les tweets de Donald Trump… directement sur l’interface de Twitter. De son côté, France Télévisions va prochainement s’associer à d’autres médias pour réaliser une série de tutoriels sur les méthodes de vérification de l’info.

Bref, les initiatives ne manquent pas et si l’on peut déplorer que le petit monde des médias réagisse un peu tard, alors que la tornade des fake news a déjà largement occupé le devant de la scène durant l’élection américaine, on peut malgré tout espérer que notre élection présidentielle française échappera à la déferlante.

Ou au moins que les citoyens seront mieux armés pour distinguer le vrai du faux. Cela ne tient qu’à nous !