Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective
Parcourez vos fils d’actualité, ouvrez un journal, allumez la télé ou la radio... Partout, vous retrouverez les thèmes incontournables d’une année électorale : réforme de la sécurité sociale, réduction des effectifs de la fonction publique, flexibilisation du marché du travail… Autant de serpents de mer qui monopolisent le débat politique – à la mesure de leur importance dans notre quotidien, certes, mais au détriment d’autres sujets pourtant cruciaux du monde qui vient.
Parmi eux, le numérique, sujet incontournable dans un monde où les GAFAs sont devenus hégémoniques. Et une question pourtant injustement délaissée par les débats, émissions, et autres interviews politiques que nous livrent quotidiennement les médias.
Ces deux dernières semaines, le groupement d’agences média UDECAM et le collectif France Numérique 2017 ont donc proposé aux candidats à l’élection présidentielle de présenter leurs programmes médias et, plus largement, leurs projets numériques. A 45 jours de l’élection, il était temps d’aborder le sujet !
Quelle politique média pour le prochain quinquennat ?
- Benoît Hamon, contre la surconcentration des médias
Premier à passer son grand oral, Benoît Hamon est le seul candidat à s'être déplacé aux Rencontres de l’UDECAM exposer ses mesures en matière numérique. Il a déroulé un programme clair, axé autour de mesures concrètes et ciblant en priorité la lutte contre la concentration des médias. Evoquant un contexte de crise économique et sociale, mais aussi de crise de confiance, Benoît Hamon propose d’endiguer le phénomène de surconcentration des médias en interdisant à un groupe de disposer de plus de 40% du capital d’une entreprise de médias ou de dépasser le seuil de 20% dans plus de deux médias.
Selon lui, pour pouvoir exercer leur rôle de contre-pouvoir indispensable à la qualité du débat démocratique, les médias doivent être indépendants des intérêts des grands groupes. Et de viser, sans surprise, Vincent Bolloré, en regrettant que « l’année ne fut pas particulièrement exemplaire de la part du groupe Bolloré ».
Je veux des dispositions anti-trust, je veux lutter contre la concentration et protéger l'indépendance des journalistes. #rencontres2017 pic.twitter.com/8EMjSZBsHO
— Benoît Hamon (@benoithamon) 2 mars 2017
Autre proposition du candidat socialiste : améliorer l’aide à la création de nouveaux médias indépendants via la création d’un nouveau statut de « société de média à but non lucratif » et l’ouverture d’une branche médias à la Banque publique d’investissement. Des mesures qui s’inscrivent dans un projet qui cherche à favoriser le pluralisme des médias en France et, pour ce qui est de l’audiovisuel public, à s’inspirer du modèle britannique de la BBC, plusieurs fois cité en exemple par Benoît Hamon.
- Marine Le Pen, "la culture du combat" contre "le traitement inéquitable du FN"
De l’autre côté du spectre idéologique, ce n’est pas tout à fait le même son de cloche qui s’est fait entendre. Mikaël Sala, président du collectif Croissance Bleu Marine venu représenter la candidate du FN, a commencé son intervention par une attaque frontale : « le traitement des candidats [par les médias] n’est pas équitable, c’est un fait. Mais dans l’entourage de Marine Le Pen, nous avons la culture du combat. »
Sur le volet médias du programme FN, Mikaël Sala a insisté sur la nécessité de réformer la composition du CSA pour y inclure un collège de professionnels des médias, un collège de représentants de l’Etat et un collège d’usagers des médias. Le but ? Casser le le côté technocratique de l’institution en permettant aux citoyens d’être représentés et de peser dans la régulation du secteur audiovisuel.
- Jean-Luc Mélenchon, la dénonciation de la "sondocratie"
Une position partagée par Alexis Corbières, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, qui propose même de créer un conseil supérieur des médias qui fusionnerait le CSA, la CPPAP et l’ARPP et qui serait, comme dans la proposition du Front National, constitué de représentants de l’Etat, des professionnels des médias et d’usagers.
Le candidat de La France insoumise a également repris à son compte une proposition de loi du sénateur Jean-Pierre Sueur visant à interdir les sondages à soixante jours de l’élection pour « mettre un terme à la sondocratie », en expliquant déplorer en effet que la course à l’info et l’accumulation des sondages amènent le débat public à se concentrer sur la réaction aux petites phrases au détriment d’un débat d’idées plus profond.
.@alexiscorbiere Le fond, les idées, sont balayés par les sondages quotidien qui contraignent les citoyens #Udecam #JLM2017 #rencontres2017
— JLM 2017 (@jlm_2017) 2 mars 2017
- François Fillon, pour "une rationalisation de l'audiovisuel public"
Dernier candidat à exposer son programme médias devant l’UDECAM : François Fillon, représenté par Nathalie Kosciusko-Morizet. Beaucoup de généralités (prise de pouvoir des GAFAs, bouleversement de la chaîne de valeur) et peu d’annonces concrètes : la porte-parole de M. Fillon semblait peu au fait des positions de son candidat en matière de médias, avouant même, alors qu’elle était interrogée sur une possibilité de réforme du CSA, qu’elle ne savait absolument pas ce que pense François Fillon (sic).
La représentante du candidat républicain a en revanche pu distiller des réponses plus détaillées sur une réforme de l’audiovisuel public. Contrairement à Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon qui ne souhaitent pas revenir sur le nombre de chaînes de la télévision publique, Nathalie Kosciusko-Morizet a affirmé avec fermeté la volonté de son candidat de rationnaliser le nombre de canaux, arguant qu’à l’heure de la délinéarisation des pratiques de visionnage, il devenait superflu de financer « sept stations Radio France, six chaînes France Télévisions plus une avec la nouvelle chaîne d’info, trois chaînes France Médias Monde et deux chaînes parlementaires ».
« Le débat sur le numérique devrait être le vrai commencement de la campagne présidentielle »
C’est par ces mots que Corinne Bouchoux, sénatrice et soutien de Benoît Hamon, a ouvert les débats organisés la semaine suivante par le collectif France Numérique 2017 avec des représentants de François Fillon et Emmanuel Macron. Deux préoccupations majeures à retenir de leurs interventions : la nécessité de soutenir l’innovation et les start-ups françaises ; et l’impératif de transformation d’un marché du travail mis à mal par la révolution numérique.
Alain Juppé, en jetant définitivement l'éponge cette semaine, a bien évoqué "la transformation numérique de nos économies, de nos sociétés, peut être de notre humanité".
Tous ont aussi insisté sur le besoin de trouver un équilibre entre réglementation et innovation. L’objectif ? Assurer une exploitation éthique des données personnelles des citoyens sans pour autant brider l’innovation technologique. Plusieurs propositions concrètes ont été exprimées pour soutenir cette innovation technologique : Benoît Hamon envisage ainsi de soutenir la recherche en lui dédiant 3% du PIB, tandis que Corinne Erhel, membre de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, a annoncé la création d’un fonds de 10 milliards d’euros dédiés à l’investissement dans l’intelligence artificielle et la big data. François Fillon, pour sa part, a développé sa proposition de suppression de l’ISF pour encourager les investisseurs à revenir en France et développer le tissu de start-ups nationales.
Et quid de l’emploi à l’heure du numérique ? Sur ce sujet, c’est Mounir Mahjoubi, ancien président du Conseil National du Numérique et désormais soutien d’Emmanuel Macron, qui a occupé le devant de la scène, en déroulant un projet destiné à la fois à « libérer l’innovation tout en protégeant les travailleurs ». L’idée ? Sortir du carcan des statuts (salarié, auto-entrepreneur, indépendant, …) pour universaliser l’assurance chômage et garantir l’accès de tous à la formation professionnelle. Emmanuel Macron entend ainsi fluidifier le marché du travail pour mieux l’adapter aux transformations induites par le numérique.
"Il faut fluidifier les parcours. L'important ce n'est pas le statut, ce sont les compétences !" @mounir @TECHINFrance #PrésidentielleNum pic.twitter.com/trKVYpH6fp
— En Marche (@enmarchefr) March 9, 2017
Du côté républicain, le porte-parole de François Fillon a déroulé un ensemble de proposition destiné à « arrêter de surcharger les entreprises avec des normes » et à « faire de l’Etat un véritable accompagnateur du numérique ». Dématérialisation des procédures administratives, mise en place de l’open data, stabilisation de l’environnement fiscal des entreprises, réduction de l’imposition des particuliers souhaitant investir dans les PME : François Fillon entend alléger le poids de l’Etat régulateur pour encourager l’investissement dans l’innovation et inscrire pleinement la France dans la transition numérique.
Différentes voies vers un même objectif : finalement, c’est ainsi que l’on pourrait résumer les projets portés par les candidats à l’élection présidentielle en matière de médias et de numérique. Loin d’être un sujet aussi clivant que la sécurité sociale, l’immigration ou encore l’Union européenne, le numérique semble faire l’unanimité parmi les candidats, qui reconnaissent tous qu’il est temps d’adresser le sujet.
Dommage que les projets numériques des candidats se limitent encore trop souvent à quelques déclarations solennelles sur l'importance de l'innovation et promesses de soutien aux start-ups... A 45 jours de l'élection, ne serait-il pas temps de proposer plus de mesures concrètes, portant une vraie vision de l'avenir de notre société numérique ?