Par Clara Schmelck, journaliste médias à Socialter, billet invité
Qui a dit que les hommes et femmes politiques négligeaient les jeunes et les nouveaux outils numériques ?
Toute la semaine qui précède le premier tour de l’élection présidentielle française, Snapchat propose une série d’interviews des principaux candidats. Ceux-ci sont invités à répondre aux questions posées par une dizaine de personnes âgées de 20 à 30 ans, supposées représentatives des Millennials qui votent pour certains d’entre eux pour la première fois.
Pour les candidats, cet exercice de communication inédit est un moyen de toucher les 8 millions d’utilisateurs actifs chaque jour en France sur ce réseau social, et plus particulièrement les jeunes, puisque 71% des utilisateurs de Snapchat ont moins de 25 ans (chiffres : Snap Inc., septembre 2016). C’est aussi l’occasion de sortir des carcans télévisuels et radiophoniques, pas forcément les mieux adaptés quand on cherche à s’adresser aux jeunes.
Les interviews, exclusives, sont diffusées 24 heures dans la section « Discover » de l'application. Lundi, François Fillon a joué le jeu le premier. Benoît Hamon lui a succédé mardi, puis suivront d'autres prétendants à l’Elysée.
L’opération sera relayée par une série d'initiatives de Snapchat autour de cette élection, notamment avec d’autres « Our Stories », des « Filtres » et des « Lenses ». De quoi donner un peu de peps à une campagne aussi indécise que surprenante qui rentre dans sa dernière ligne droite.
Punchlines et spontanéité
On peut le voir avec l’interview du candidat investi par LR, les questions s’enchaînent sans la moindre logique, et ne sont pas non plus hiérarchisées en fonction de leur degré d’importance. De l’égalité entre les hommes et les femmes au prix du sandwich grec, le candidat est sommé de répondre du tac au tac. Encore davantage que sur Twitter, le sens de la « punchline » est valorisé sur Snapchat, au détriment de l’approfondissement des enjeux.
Alors, ce type d’interview est-il vraiment au niveau d’une élection à la magistrature suprême ? La culture de l’instant, qui prévaut peut-être plus sur Snapchat que sur n’importe quelle plateforme, semble difficilement compatible avec le temps long qu’exige le débat.
Mais quelque part, les candidats ne sont-ils pas déjà soumis à une pression et un impératif de clarté sur les médias traditionnels ? Que ce soit au JT de 20 heures ou au sein d’un talk-show, les éligibles aux plus hautes instances de l’Etat n’ont pas attendu l’arrivée de Snapchat pour adapter leur communication à leur auditoire… Les tweets qui restreignent la parole à 140 caractères, la Boîte à questions du Grand Journal, les pastilles Fast & Curious du site Konbini : être audible aujourd’hui, c’est d’abord être concis.
Une chose est certaine : on ne peut pas accuser les candidats d'avoir pu orienter le choix des questions auxquelles ils sont invités à répondre. Cette spontanéité certes inconvenante à premier abord - on imagine mal le général de Gaulle enguirlandé d’un filtre Snapchat - permet aux électeurs de voir, paradoxalement, les candidats sans filtre, et de ce fait, de se forger leur propre impression sur eux, indépendamment de ce qu’ils peuvent lire dans la presse ou même sur Twitter. L’occasion de découvrir un candidat sous un nouveau jour, et pour certains jeunes citoyens, de prendre intérêt au scrutin.
Un rapport plus direct aux électeurs qui ne fait pas pour autant disparaître les conseillers en communication : on sait à quel point la spontanéité peut être aujourd’hui être sciemment mise en scène, et à quel point le naturel, caution d’authenticité dans un monde contrôlé par les spin doctors et les marketeux, est parfois complètement factice.
Direct et spontané, Snapchat n’en reste pas moins un outil plus adéquat pour le sprint final de la campagne que ne le sont des canaux de communication politique conventionnels tels que le plateau de télévision, et dans une moindre mesure, Facebook ou Twitter.
A travers cette opération, Snapchat envoie un signal fort : c’est la plateforme qui maîtrise et arbitre les règles du jeu de la communication politique digitale. Reste à voir l’impact durable de cette opération sur la fréquentation de Snapchat, qui publiera pour la première fois le 10 mai ses résultats trimestriels.