Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur
Plus d’un an après la sortie sur le marché des casques de réalité virtuelle (VR) Oculus Rift et HTC Vive, force est de constater que les chiffres de vente se situent en deçà des volumes espérés. Les deux casques haut de gamme totalisent moins d’un million d’unités vendues à eux deux, tandis que leur concurrent Playstation VR réussit à peine à dépasser ce chiffre. Du côté des casques mobiles, les ventes des différentes générations de Gear VR sont estimées autour des 2 millions, tandis que celles de Google Daydream ne dépassent pas les 250 000 unités vendues.
Face à ces premiers chiffres, les analystes ont revu à la baisse leurs prévisions pour le marché des casques VR, CCS Insight tablant sur moins de 100 millions d’unités vendues en 2021, dont 70 % de casques mobiles. Les ventes des casques de réalité augmentée (AR) comme Hololens de Microsoft, devraient être encore plus confidentielles, avec 200 000 unités pour 2017 et 5 millions en 2021.
Alors faut-il déjà enterrer la VR et l’AR, en les ajoutant à la liste des technologies sans lendemain comme la télévision en 3D ?
Non, car à la différence de la TV en 3D, la VR et l’AR sont soutenues par les principales entreprises technologiques américaines – Facebook, Google, Microsoft – qui sont toutes prêtes à investir des centaines de millions de dollars sur des roadmaps à dix ans afin d’assurer leur présence sur ce marché stratégique.
Les modèles actuels de casques ne constituent d’ailleurs que la première génération d’appareils grand public, développés à partir de composants initialement pensés pour le smartphone. « C’est comme si nous construisions des avions à partir de pièces pour vélos et automobiles », dit Clay Bavor, responsable VR et AR chez Google. La prochaine génération de casques intégrera des composants conçus spécifiquement pour ces nouveaux usages, ce qui permettra de disposer de modèles plus légers, précis et ne nécessitant plus de capteurs externes.
Microsoft a ainsi annoncé le lancement pour les fêtes de ses premiers casques de réalité virtuelle avec ses partenaires HP et Acer. Ils seront proposés à partir de 399€ avec deux contrôleurs, ce qui en fera le pack complet le moins cher du marché. Ils nécessiteront également un PC sous Windows 10 ou une Xbox One pour fonctionner.
Principale innovation de Microsoft sur ces nouveaux casques : le système de détection de type « inside out », fondé sur des technologies développées pour Hololens. Il permet de suivre la position de la tête de l’utilisateur dans l’espace comme les casques haut de gamme (Oculus Rift, HTC Vive), mais sans nécessiter de capteurs externes, via un système de caméras intégrées au casque.
Pour concurrencer les plateformes existantes (Oculus VR, Steam VR, PlayStation VR, Daydream), Microsoft fait le pari d’une plateforme unique de « réalité mixée » couvrant à la fois la VR et l’AR : « Windows Mixed Reality ». Dans les faits, cette plateforme répond à deux types d’usage : des applications immersives à 360° où l’utilisateur est complètement isolé de son environnement, et d’autres permettant d’insérer des éléments virtuels en surimpression du monde physique.
Autre avantage du système de « réalité mixée » de Microsoft : l’intégration native dans Windows 10, qui permettra d’utiliser l’ensemble des applications Windows dans un environnement AR ou VR, qu’elles aient été conçues pour un environnement en deux ou trois dimensions. A cette occasion Microsoft a élaboré un nouveau « langage de design » afin de concevoir des interfaces utilisateur pouvant s’adapter à tous les écrans gérés par Windows, depuis le mobile jusqu’au casque VR en passant par les télévisions avec la Xbox One.
Google continue lui aussi à investir dans le secteur de la VR/AR, malgré les faibles ventes de son casque Daydream mobile. D’abord en multipliant les partenariats avec les constructeurs de smartphones ; LG et Samsung vont rendre leurs smartphones haut de gamme compatibles avec Daydream, et Google annonce que des « dizaines de millions » de smartphones seront compatibles d’ici la fin de l’année.
Ensuite en travaillant sur un nouveau type de casque VR sans fil et complètement autonome, c’est-à-dire ne nécessitant pas un smartphone, une console ou un ordinateur pour fonctionner. Comme les casques « mixed reality » de Microsoft, ils utiliseront un système de caméras intégrées pour analyser en temps réel (latence inférieure à 20ms) l’environnement (meubles, décors) afin d’en déduire les mouvements de l’utilisateur. La technologie, nommée « Worldsense », a été développée à partir des composants créés pour Tango, la plateforme de réalité augmentée de Google.
Les premiers appareils compatibles devraient être lancés pour les fêtes avec Lenovo et HTC, le fabricant du HTC Vive, à des prix proches des modèles de casques VR haut de gamme. Ces casques intègreront un processeur de smartphone fourni par Qualcomm et ne seront donc pas aussi puissants qu’un ordinateur ou une console ; pour compenser, Google a mis au point un astucieux système de pré-rendu des interfaces en 3D nommé « Seurat » qui promet des résolutions équivalentes à celles d’un film d’animation en 3D.
Les casques autonomes de Google utiliseront la version 2.0 de la plateforme Daydream et fonctionneront sous Android « O »; comme Windows 10 « mixed reality » l’ensemble de l’interface Android sera d’ailleurs accessible en trois dimensions, et les utilisateurs pourront même « caster » un contenu depuis leur casque vers une télévision équipée de Chromecast afin de partager leurs expériences.
Les nouveaux casques de Microsoft et Google représentent donc une réelle avancée, en supprimant les capteurs externes et mêmes les câbles ; cependant, pour Clay Bavor, on est encore loin d’avoir atteint l’équivalent de l’iPhone pour la VR. Selon lui, les casques de réalité virtuelle se situent plutôt au même niveau que l’industrie du mobile dans les années 1980, et il faudra encore plusieurs générations de casques avant de faire de la VR et de l’AR un marché réellement grand public…
Mais les progrès de l’AR et de la VR ne se limitent pas aux casques : ils intègrent également nos smartphones et nos ordinateurs. Google va ainsi proposer un nouveau logiciel nommé « Expeditions AR » qui permettra aux élèves – équipés d’un smartphone compatible Tango – de découvrir des objets ou des phénomènes recréés en trois dimensions sans quitter leur classe.
Microsoft va de son côté proposer un nouveau logiciel d’édition vidéo gratuit, Microsoft Story Builder, qui permettra d’insérer automatiquement des effets 3D et des objets virtuels dans des vidéos, avec un rendu proche des effets spéciaux du cinéma. En quelques clics, l’utilisateur pourra choisir un objet virtuel ou un effet 3D et le « coller » sur une personne, une surface ou un objet dans la vidéo pour donner l’impression qu’il fait partie de la scène. Microsoft réunit ainsi en un seul logiciel ses capacités dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la réalité augmentée.
Et c’est bien là que l’avenir de la VR et de l’AR converge avec celui de l’intelligence artificielle. Avec les améliorations dans le traitement informatique de l’image, l’ordinateur est capable de mieux percevoir le monde physique ; avec le progrès de moteurs de rendus en 3D, il est capable de générer des objets virtuels toujours plus réalistes. En combinant les deux, l’ordinateur sera capable de créer des simulations toujours plus réalistes car fondées sur le réel, ou d’ajouter des éléments virtuels dans notre environnement sans que nous nous en rendions compte. Ces « réalités mixtes » (version Microsoft) ou cette « informatique immersive » (version Google) seront ensuite accessibles via l’ensemble de nos appareils, qu’il s’agisse d’un casque de VR, de lunettes AR, d’un smartphone, d’un ordinateur ou d'une télévision. Sachant que les acteurs de l’industrie s’attendent à ce que tous ces appareils ne fassent plus qu’un dans quelques années !
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Cet article figurera le prochain Cahier de tendances Méta-Media, qui sera disponible gratuitement sur le blog en juin.