Le Newsgeist à Copenhague le week-end dernier, c’était un peu le Bilderberg de l’info ! Deux cent dirigeants européens et nord-américains de médias en ligne, têtes chercheuses numériques, universitaires, patrons de start-ups, réunis de manière informelle par Google pour plancher, échanger, cogiter, proposer des pistes afin de contribuer à préserver un journalisme de qualité.
Avec deux règles simples : agenda libre fixé sur place par les participants (« unconference ») et application de la règle dite de « Chatham House » (les échanges peuvent être rendus publics mais sans être attribués).
(vidéo de Damien Van Achter)
Autant vous dire que vous connaissez déjà les thèmes qui ont été évoqués au bord de la Baltique : fake news, confiance, rôle des plateformes, monétisation, data & personnalisation, chute de la pub, millenials, nouveaux formats, VR, bots, IA, etc…
Comme à chaque heure, il fallait choisir entre 8 groupes de travail différents, difficile d’avoir une vue d’ensemble.
Mais voici ce que j’en ai retenu :
FAKE NEWS / DEFIANCE : la littératie média plébiscitée
Toujours beaucoup d’inquiétude, des deux côtés de l’Atlantique.
La piste de l’éducation du public aux médias et à l’info (media or news litteracy) a été largement plébiscitée. De grosses initiatives (au moins 3 !) sont dans les tuyaux aux Etats-Unis et en Europe, venant surtout du champ universitaire.
Education du public, et en particulier des plus jeunes.
Dans ce contexte de défiance, voire de campagnes de désinformation, l’idée est de convaincre les médias à faire de leur transparence, de la conversation avec l’audience et de la stimulation de l’esprit critique des lecteurs/télénautes des axes essentiels de leurs activités. Impossible de laisser les GAFA devenir les arbitres de la vérité ou de compter sur les Etats pour en faire une priorité à l’école.
Certains envisagent même d’ouvrir les carnets de note des reporters (open note book policy), voire d’encourager le public à les aider dans leur mission de collecte.
MILLENIALS : pour ne pas les perdre, être au lit avec eux !
Constat d’une audience mal desservie mais pas désintéressée. Bien au contraire !
Constat aussi que si d’un côté les formats rapides ne sont pas forcément à la hauteur des enjeux, il est par ailleurs indispensable de trouver une nouvelle syntaxe de l’info.
Beaucoup d’initiatives donc via Snapchat qui permet d’être au plus près de cette audience. Car c’est la première appli que les jeunes ouvrent le matin et la dernière qu’ils ferment le soir ! « Avec Snapchat nous sommes littéralement au lit avec eux ! ». A comparer donc avec la relation de leurs parents sur le divan avec la TV !
Le bon positionnement d’un média d’info n’est pas d’être de leur âge ou à leur niveau, mais plutôt de « jouer le rôle du grand frère ou de la grande sœur ». Celui ou celle qui a un peu plus d’expérience et en qui le jeune a confiance. Les jeunes sont surpris du dialogue qui peut s’instaurer avec le grand média, sont souvent flattés d’être pris au sérieux.
Souvent ils aimeraient que « quelqu’un arrête le monde une demi-heure pour pouvoir faire face ! ». Ils ont donc besoin de temps et de conseil pour se forger une opinion, mieux détecter le b/s, alors que Facebook et les algos des réseaux sociaux favorisent l’hystérie.
Ils sont aussi parfois en colère contre la classe politique et les médias, notamment sur l’absence d’action sur le climat.
Ils ont aussi été croqués : frimeurs mais pas rebelles, se moquent de la protection de leur vie privée en ligne, travaillent la moitié du temps depuis chez eux, pas motivés par l’argent, peu loyaux avec l’employeur, ne téléphonent plus jamais, temps de réponse ultra rapide, sont en permanence en conversation, surtout via WhatsApp, aiment faire partie d’une tribu, savent gérer les trolls, etc…
Attention aussi à ne pas faire de tous les jeunes des nerds ou des geeks, notamment dans les classes défavorisées.
RÔLE DES PLATEFORMES : le « prime time » c’est désormais le « Facebook time » !
Constat généralisé d’une perte de contrôle de la distribution de l’info. Les « news junkies » sont devenus des « platforms junkies » ! L’addiction à Facebook est réelle et plus seulement le fait des ados. Y compris pour le live.
D’ailleurs les jeunes, en parlant de Facebook, parlent d’une plateforme média, jamais d’un média social.
Aujourd’hui le « prime time » c’est le « Facebook time », entre 21h00 et 23h00 ! Alors que Google est plutôt utilisé en début de journée.
Les experts notent aussi que « partager ne veux pas dire lire ». Pire : il n’y aurait même aucune corrélation ! Le médium est donc bien le message !
Tous travaillent avec Facebook mais tous s’interrogent :
« Faut-il privilégier le corner dans le grand magasin ou privilégier notre boutique ? »
« Sommes-nous en train de creuser notre tombe ou d’assurer notre survie ? ».
Mais pour l’instant tous notent que ce méta-diffuseur d’infos gagne beaucoup d’argent, pas le producteur.
Et Facebook est-il devenu une prison ? Le gardien d’un web fermé ?
On sent bien que tout le monde n’est pas traité de la même manière. Certains éditeurs ou diffuseurs ont entamé de vraies discussions de partage de revenus (abonnements, mid-roll dans le live, …).
Comme chez Google, la nomination récente d’anciens dirigeants de rédactions pour conseiller Facebook dans ses relations avec les médias devrait aider.
D’ailleurs la demande des médias à Facebook est assez simple : « donnez-nous plus de données, plus de monétisation et réglez ce problème des fake news ! »
MONETISATION : après la pub ?
Comment produire ces choses importantes que sont les news mais que personne ne veut payer ?
S'il y a deux ans à Helsinki, tous se demandaient comment "puber le mobile", à Copenhague, le sujet, pour financer le journalisme, était bien sûr l'abonnement. Voire même toujours à voir comment faire payer Google et Facebook pour l'info.
Conscient de la difficulté des paywalls par titres, chacun tente de tourner dans tous les sens l'idée -- jamais concrétisée -- d'un Spotify ou d'un Netflix de l'info. Mais personne n'a les mêmes intérêts, surtout les géants comme le New York Times, le Washington Post ou CNN.
VR/AR
Personne n'a encore "craqué" le code de la réussite de la VR ou de l'AR. Mais chacun voit tous les GAFA y investir des milliards et sent bien qu'il s'agit là d'un tout nouveau média à part entière. Plus immersif et plus interactif que le web. Plus empathique aussi.
Mais sa grammaire reste encore à écrire.
INTERFACES VOCALES
Chacun sent bien aussi l'arrivée des speakers intelligents à la Echo d'Amazon ou Google Assistant. Les éditeurs aimeraient -- au moins une fois -- ne pas se faire avoir comme avec le web, le mobile, la tablette ou les réseaux sociaux !
Ils y travaillent déjà quasi tous, notamment sur les moyens de redonner un coup de jeune aux podcasts. Voire pour vérifier des fake news. Mais ils s'attendent à une nouvelle bataille entre éditeurs et broadcasters. Et tentent de définir des standards communs face aux plateformes qui risquent une nouvelle fois de dicter leur loi. Là encore, ils réclament déjà de l'aide sur les données, la monétisation, leur mise en avant et la personnalisation.
"Car à chaque fois qu'on arrive sur un truc nouveau, on gagne encore moins que la dernière fois".
INNOVATION ? NON ! R&D
Consensus sur l’absence de Big Bang, ou d’étincelle à attendre.
L’innovation dans l’info sera surtout adjacente, par petits pas de côté. On préfère parler de R&D.
Pas d'objectif lune donc, mais plutôt la recherche de "mettre des roulettes à des valises". Ce qui n'est pas une révolution, mais ça change aussi tout !
Et toujours beaucoup de plaintes sur la lenteur des changements culturels et d'état d'esprit au sein même des médias traditionnels.
25 ans après l'arrivée du web, c'est même ça le plus inquiétant !
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Disclosure : Google a fourni l’encadrement de la réunion organisée dans un centre de conférence à une centaine de kilomètres au Nord de Copenhague et le catering. Les participants, dont France Télévisions, ont payé leurs transports et leur hébergement. Il s’agissait du 3ème Newsgeist européen après Helsinki en 2015 et Bilbao en 2016.