Par Lorraine Poupon, France Télévisions, Direction de la Prospective
Dans un contexte de crise de confiance, soupçonnés d’être porteurs d’un message orienté et biaisé, les médias semblent être devenus leur propre sujet de prédilection en 2017. Entre opportunité de développement de nouveaux modèles et menace avec la remise en cause d’anciens, le rapport annuel du Reuters Institute avec ses 70 000 personnes interrogées dans une trentaine de pays dresse un bilan contrasté loin du champ de bataille habituellement décrit.
L’Ere du soupçon
Jamais le lien entre contexte politique et suspicion de corruption et de conflit d’intérêt à l’égard des médias ne semble avoir été aussi fort. Les « fake news » sont dans toutes les bouches mais leur définition-même varie en fonction de qui l’emploie. De la nouvelle simplement surprenante ou dérangeante à l’information biaisée voire créée de toute pièce dans le but de servir un discours orienté, elle a considérablement influencé la façon de s’informer. Le fossé entre la confiance accordée aux médias en général et à ceux effectivement choisis et consultés par l’utilisateur est grand. L’émergence de Breitbart News, le succès de Fox News malgré les critiques est le résultat de cette polarisation.
De la résistance au tout-digital
L’évolution de fond que connaît le secteur s’institutionnalise avec un déclin de la presse écrite qui se poursuit et une montée en puissance des réseaux sociaux qui se confirme. 50% des utilisateurs s'en servent ainsi comme source d'information principale aux Etats-Unis. Au sein d'un ensemble plus diversifié incluant les médias traditionnels en recul, ils se légitiment. Chez les 18-34 ans, ils sont même la source principale d’accès à l’information à hauteur de 33%.
Ces deux supports semblent néanmoins voués à cohabiter. En effet, à l’exception des cas américain et britannique, cet usage spécifique des réseaux sociaux comme source d’information plafonne voire diminue. La cause peut en être une saturation du marché ou encore, pour Facebook, le changement d’algorithme qui a eu lieu en 2016.
Il est néanmoins trop tôt pour enterrer la presse écrite annoncée comme condamnée depuis quelques années déjà. Les Etats-Unis donnent des raisons d’être optimiste quand, malgré une crise de la confiance et des attaques répétées, abonnements et dons faits à la presse y ont augmenté de 16%. C’est le fait de lecteurs du courant libéral mais également des 18-34 ans souvent soupçonnés d’être une des causes de la crise économique que traverse le secteur en ne le soutenant pas suffisamment.
De nouveaux modèles émergent, s’adaptant à des pratiques culturelles où la consommation de l’information selon le modèle traditionnel est plus ou moins ancrée.
En Asie et en Amérique Latine, les applications de chat sont ainsi des sources privilégiées au point d’y devenir majoritaires. Elles permettent de limiter le partage de nouvelles aux seuls contacts sélectionnés avec l’assurance du respect vie privée, à l’abri des représailles des gouvernements notamment. Avec WhatsApp et Messenger, Facebook domine largement cette nouvelle pratique.
Ce sont d’ailleurs les applications qui centralisent à la fois leur propre fonction et la valeur ajoutée que constitue l’accès à l’actualité qui connaissent la plus forte croissance. La section Discover sur Snapchat permet ainsi aux médias de toucher un public plus jeune qui leur est d’habitude difficilement accessible.
Mr. Robot ?
32% des utilisateurs préfèrent l’accès direct aux nouvelles intégrées parmi les posts de leurs contacts dans leur fil d’actualité ou sur le menu d’une application dont ce n’est pas la fonction principale.
Mais contrairement à l’opinion communément répandue, l’intervention des algorithmes dans le tri et la diffusion d’informations n’est pas forcément synonyme de contenu univoque et orienté et peut au contraire pousser les internautes vers un régime média plus diversifié.
Ce n’est plus le cas lorsque l’utilisateur effectue lui-même la recherche et sélectionne « son » média. L’exemple de Twitter est représentatif : on aura tendance à suivre des politiciens en accord avec ses propres opinions et donc à être exposé à des points de vue plus uniformes.
L’accès direct aux articles depuis le fil d’actualité pose toutefois le problème de l’identification des titres et groupes de presse. Les utilisateurs ont effet tendance à occulter la source de l’information qu’ils lisent, et si la plupart d’entre eux se souviennent avoir trouvé une info « sur Facebook » ou « sur Twitter », ils sont aussi de plus en plus nombreux à être incapables de citer le média dont émane le contenu qu’ils consomment.
Pour ce qui est des supports utilisés, leur diversité diminue à mesure que le smartphone est privilégié à la tablette et à l’ordinateur et ce, même au sein du domicile. Pour près d’un quart des jeunes de pays d’Amérique Latine et d’Asie, il est même le support unique d’accès à l’information.
Si les utilisateurs continuent de privilégier un format rédigé à hauteur de 71%, format lui aussi préféré par les jeunes, la réticence à payer pour des news en ligne est généralisée. 84% ne l’ont pas fait l’an passé. Pourquoi fournir cet effort supplémentaire quand, pour 54% des interrogés, l’accès massif et gratuit aux nouvelles en ligne est suffisant ?
Quant au format vidéo, on les préfère courtes, inférieures à 1 minute 30. La possibilité-même de la monétisation d’un contenu respectant ces exigences notamment par une publicité, plus courte que le contenu que l’utilisateur souhaite visualiser, est donc remise en cause et ce, d’autant plus avec le recours aux bloqueurs de publicité.
Perçus comme une menace majeure lors de leur diffusion, leur utilisation plafonne à 24% et ne s'est pas répandue à plus de 7% sur les smartphones. Les jeunes les utilisent néanmoins deux fois plus que les autres classes d'âge. Toutefois, 43% de l'ensemble de leurs utilisateurs acceptent de les désactiver pour des sites spécifiques, preuve qu’il est possible de continuer à miser sur la publicité comme source de financement stable – à condition, bien sûr, que l’utilisateur juge le contenu digne de cet effort.
Dès lors, quel modèle privilégier ? Le rapport n’apporte pas de réponse définitive tant les situations varient en fonction du contexte politique des différents pays ou des habitudes culturelles dans les modes de consommation de l’information. Le bilan de l’année 2017 donne néanmoins des raisons d’être optimiste. Le profil dressé de la génération des 18-34 ans, différente de la précédente mais, ne rejetant pas en bloc les médias traditionnels, laisse présager une évolution structurelle, sans pour autant conduire à l’effondrement du secteur.