Par Lorraine Poupon, France Télévisions, MédiaLab
« Ces quinze dernières années, la Chine a changé grâce à nous. Nous espérons que dans les quinze années qui viennent, c’est le monde qui changera grâce à nous ». Cette volonté illustre le chemin parcouru ainsi que l’ambition démesurée de celui à qui est consacrée la biographie "L’incroyable histoire de Jack Ma" par Duncan Clark.
Alibaba ? Ce nom devrait vous dire quelque chose. Valorisation la plus importante de l’histoire à son entrée en bourse en 2014, elle finit son premier jour de cotation au-dessus de géants connus de tous comme Coca-Cola, Facebook ou Amazon. La plateforme assure la livraison des deux tiers de colis en Chine. Sa structure de distribution en traite 15 millions par jour. Son système de paiement Alipay permet 3 fois plus de transactions en volume que Paypal.
C’est aussi un empire. Un site de e-commerce pionnier. Une success story qui manquait à la nouvelle classe moyenne chinoise. Mais derrière les volumes presque inconcevables et les périphrases, c’est surtout le parcours loin d’être rectiligne de Jack Ma que l’auteur a voulu retracer.
Derrière l’empire, l’homme
Ce qui ressort de ce portrait, c’est sans aucun doute l’ambition, une volonté inébranlable en dépit des échecs mais aussi une certaine forme de folie qui lui vaudront (et justifieront !) le surnom de « Crazy Jack ».
Cela se traduit au sein de l’entreprise par son statut de véritable guru et de star dans son pays. L’auteur le connaît, a lui-même travaillé en tant que consultant pour Alibaba et lui prête de véritables talents oratoires. Certains passages du livre laissent d’ailleurs penser qu’il est lui aussi tombé sous leur charme.
Folie, vision, charisme. Voilà qui explique que malgré les deux échecs précédents Alibaba, il ait toujours été suivi et soutenu par un groupe de fidèles. Cela explique également sa volonté d’investir coûte que coûte dans Internet, l’innovation qui fut sa vraie révélation au point qu’il en a fait le pari à deux reprises trop tôt pour rencontrer le succès.
Une histoire chinoise
Car l’histoire de Jack Ma et d’Alibaba, c’est aussi celle de la Chine contemporaine, une Chine qui sort progressivement du communisme pour se libéraliser, une Chine en retard par rapport aux Etats-Unis, le berceau du Web. Les débuts furent artisanaux car au développement du business s’ajoutait une tâche d’évangélisation des clients. Ceux à qui il essayait de vendre ses services ne connaissaient pas Internet ou ne possédaient pas d'ordinateur.
La Chine, Alibaba s’en fait également le porte-étendard. Taobao se veut, jusque dans son identité visuelle, résolument chinois. Les standards américains, bien plus épurés, ne s’y appliquent pas. Conçu pour dématérialiser les méandres du marché traditionnel chinois, il reste fidèle aux ambitions premières. Ce soft power se justifie aussi par une réalité politique. Pour une entreprise du Web, the Great Firewall of China peut être un véritable obstacle avec la censure des contenus, des délais de téléchargement rallongé ou le blocage du trafic. Il expliquera l’échec de l’implantation d’Ebay en Chine au moment où Alibaba remporte la bataille sur son concurrent. Le premier choisissait l’hébergement de ses serveurs aux Etats-Unis ; le second restait fidèle à l’empire du Milieu.
Mais si la preuve du succès d’une entreprise correspondait au moment où son fondateur s’en détourne ? Voici donc quelques temps que Jack prend position sur des sujets comme la santé publique ou le problème de la pollution en Chine. Le voilà philanthrope et environnementaliste. Il investit même dans les médias, comme d’autres l’ont fait avant lui : rachat d’un studio de cinéma, du YouTube chinois ou encore du premier quotidien anglophone de Hong-Kong.
L’objectif ? Les grands médias occidentaux dévalorisent la Chine avec leur description et à travers elle, Alibaba. Il est temps de changer cela en vue d’une expansion globale. Et si la boucle était bouclée ?