Par Hervé Brusini, Direction de l'information, France Télévisions
Le convoi d'autobus progressait tant bien que mal dans les artères élégantes de Washington. A bord, ils étaient près de 2.000 journalistes venus pour le grand rassemblement de l’ONA, la puissante association des pros de l’info digitale. La caravane quittait l’hôtel Marriott où s’était tenue une conférence très singulière. Salem Khan - l’animateur de cette conférence intitulée « Propagande gouvernementale et manipulation des médias »- avait prévenu.
« Vous ne pouvez plus sortir d’ici avant que notre échange ne soit terminé. Personne ne pourra entrer dans cette salle. De plus je vous demande d’éteindre vos portables. »
Une quasi provocation pour une assemblée de journalistes plus Twitter ou Facebook Live que jamais. L’orateur, qui est aussi le fondateur du site JOVRNALISM demandait alors à une jeune femme de prendre la parole. Jessika Aro s’était levée. A coup de slides, elle expliquait sa mésaventure. En 2014 cette journaliste du service public finlandais a réalisé une enquête approfondie sur la propagande russe. Elle a mis à jour ce qu’elle appelle une troll factory, autrement dit le complexe secret de la contrefaçon de l’info industrialisée par le pouvoir en place. Mal lui en a pris. Depuis, elle ne vit pas un jour sans être menacée, des messages lui sont adressés directement, ils contiennent des détails sur sa vie privée inconnus du public. Bref, le danger est bel et bien réel. La journaliste est désormais aux aguets, sous surveillance constante.
« Certes, il faut débusquer la fausse information où qu’elle se trouve, a-t-elle affirmé. Mais il est essentiel d’éduquer les jeunes aux médias ».
Une heure durant Jessika Aro a fait preuve d’une étonnante détermination. A quelques rares moments, une lassitude perçait sous son engagement. A ses côtés, Ruslan Deynychenko du site stopfakenews, exposait comment l’Ukraine fut le premier terrain d’exercice de la propagande russe. Quant à Steven Luckert, membre du Muséum Mémorial de l’holocauste, il rappelait que tout cela n’était pas sans rappeler des méthodes mises au point par la machine nazie.
Mais avec une différence de taille, le numérique qui permet maintenant d’individualiser la manipulation.
A bord des autobus, la discussion tournait autour de ce combat pour la vérité. On saluait le courage de la consoeur. Au moins, là les choses était claires pour toutes et tous. Une journaliste se levait face à un pouvoir manipulateur. Bref, c’était une sorte de remake d’une période bien connue, la guerre froide, avec en plus l’arme digitale.
Et d’évoquer bien sûr la situation d’un « président fabricant quotidien de contre-vérités » selon l’expression d’une professeur de l’Université de Colombia. Âgée d’une cinquantaine d’années, elle racontait son passé de reporter. Elle mesurait ce qu’elle appelait une « révolution qui lui échappait ». Un autre journaliste lui confiait son trouble.
La jeune finlandaise faisait face à un pouvoir étranger. « Avec Trump, c’est au sein même du pays que cela se passe. Comment parvenir à convaincre les citoyens adeptes du nouveau président qu’il est une machine à mensonges ? »
La lutte contre les fake news semblait alors aussi dérisoire que fondamentale à la petite assemblée en vadrouille dans la capitale. Chacun avait le sentiment que l’adversaire était autrement plus redoutable à circonvenir. C’était la valeur vérité elle même qui était mise à mal. L’adversaire était là sous leur nez, insaisissable et massif. L’impressionnante colonne de véhicules stoppait alors devant le Newseum.
Un cocktail en forme de visite attendait les participants. De la naissance de la presse à la famille Kennedy, des plus belles photos réalisées par les prix Pulitzer américains, aux voitures criblées de balles des reporters de guerre. Toute l’info sur l’info est là.
Un ex-hélicoptère de télévision pendu au plafond était parcouru de mille étoiles projetées par une énorme boule à facettes. Cela se voulait festif. Cela sentait la fin d’un monde. Ce voyage en autobus en avait rajouté au malaise ambiant.
Un autre voyage semblait s’imposer, vers un journalisme redédini, une info plus transparente que jamais dans ses processus de fabrication.
Un alter journalisme ? Les bières succédaient aux bières et aux cocas. Sur une paroi du musée un pan de mur historique avait été reconstitué. On pouvait y lire : "La presse est la pierre angulaire de la démocratie. Quand la presse libre est de qualité, elle révèle la vérité."