Par Lorraine Poupon et Alexandra Yeh, France Télévisions, MédiaLab et Innovation
Lors de sa présentation annuelle des tendances de l'entertainment, l'agence Hopscotch a dégagé 4 thèmes qui bouleversent et transforment le monde du divertissement dans son ensemble, du cinéma au jeu vidéo en passant par la musique. Ces quatre tendances seraient les manifestations ponctuelles d'une nouvelle logique plus vaste : celle du "worldbuilding". Mais qu'est-ce donc encore que ce nouveau buzzword ?
"Le "worldbuilding" caractérise la nouvelle manière dont les entertainers travaillent, qui consiste à créer un univers et à en donner les clés au public, plutôt que de chercher à maîtriser toutes les expressions de l’œuvre." », explique Yvan Kraut, directeur du planning stratégique de l’agence Hopscotch.
Elle implique donc chez les créateurs une sorte de lâcher-prise vis-à-vis du public qui deviendrait l'acteur principal de son propre divertissement.
Le retour du Golem
Il est surprenant de retrouver cette créature de la mythologie juive parmi les tendances de 2017. La légende le décrit comme un être fait d'argile, dépourvu de libre-arbitre et créé pour protéger son créateur. Revenu sur le devant de la scène lors d’une exposition et comme personnage d'un jeu vidéo en VR, on peut le voir comme une métaphore de la numérisation du monde et de notre capacité à recréer de nouveaux mondes avec du code.
Parmi les exemples de cette résurgence du Golem, la campagne publicitaire “Make a date with Harlequin” qui transporte avec humour les personnages masculins de la célèbre collection littéraire dans notre monde contemporain, le Star Wars Hotel attendu pour 2018 à Disney World (symbole selon Hopscotch de notre désir de fuite en avant et d'immersion dans un univers totalement différent du notre) ou encore les technologies d'immersion par les sens comme l'haptique (qui permet de faire ressentir le toucher via un écran) ou l'immersion olfactive de Nosulus Rift. Ce qui se dessine dans cette tendance : notre besoin de plus en plus pressant de fuir le monde tel qu'il est et d'être transportés ailleurs pour réinventer un univers meilleur.
L’Alter ego, ou comment mieux se connaître à travers l'autre
Des contenus qui nous plongent dans la peau de l'autre, qui provoquent l'empathie et redéfinissent notre rapport à l'altérité en nous offrant une sorte de miroir. Ici, la frontière entre sujet et objet se brouille.
Les médias immersifs sont bien sûr en bonne place dans cette tendance et créent une nouvelle forme de journalisme fondée sur l'empathie et l'expérience. Exemple phare : “Welcome To your Cell”, série documentaire de 6 épisodes de 9 minutes produite par The Guardian, qui nous plonge dans le quotidien de détenus ayant vécu l’expérience des cellules d’isolement.
La tendance Alter Ego se traduit également par une envie croissante de façonner l'autre à notre convenance, comme dans le jeu de télé-réalité Game Of Clones, où un-e célibataire doit choisir parmi huit prétendant-es sélectionné-es selon son idée du partenaire idéal-e. Une tendance poussée à son paroxysme au Japon où a eu lieu le premier mariage en VR, qui a permis à un jeune Japonais d'épouser... un personnage de manga.
L’Auteur : l'avènement du spectator's cut
Il s'agit pour les spectateurs de devenir acteurs de leur consommation de contenus entertainment. En d'autres mots : de prendre le contrôle de leurs contenus, de créer leurs propres versions et de proposer leur "spectator's cut". Une implication grandissante dans le processus créatif donc, permise par la démocratisation des outils de création et la montée en gamme des produits destinés au grand public. Qui aurait prédit, il y a quelques années, que Michel Gondry créerait un court-métrage entièrement tourné à l'iPhone 7 ?
Dans cette mouvance, Netflix a récemment lancé les “interactive adventures”, destinées à ses plus jeunes spectateurs, où les enfants, à l'image des "Livres dont vous êtes le héros", sont invités à décider de la suite de l'histoire. Depuis, les commentaires d'adultes se sont multipliés pour demander le même type de dispositif sur d'autres séries de la plateforme.
Hope : le Worldbuilding comme vecteur d'optimisme
Force est de constater que la dimension engagée des contenus d'entertainment est loin d’être nouvelle ou propre à l’année 2017. Parlons plutôt d’un retour en force de la volonté des individus de réinventer le monde. Car en s'impliquant dans la création de contenus de divertissement, l'homme se prouve qu'il est aussi capable de transformer sa réalité. Le monde de l'entertainment devient ainsi un vecteur d’optimisme et d'émancipation des individus, qui croient à la possibilité d'une autre société.
En témoignent les nombreux biopics qui se sont intéressés cette année à des personnages phares de notre histoire, des individus qui se sont engagés pour façonner un monde en phase avec leurs valeurs : Le Redoutable, qui s'intéresse à l'itinéraire de Jean-Luc Godard lors des événements de mai 68, Le jeune Karl Marx ou encore Jeannette, un film musical sur l'enfance de Jeanne d'Arc.
Même tendance du côté des documentaires, armes par excellence du changement, avec notamment Une idée folle, consacré à l'éducation, qui propose aux spectateurs de s'impliquer jusqu'au bout en organisant leurs propres projections dans leur quartier.
Que le divertissement fasse du spectateur un Golem dans un monde nouveau, l'intéresse à ses Alter-ego en le plongeant dans la peau de l'autre, le place en position d’Auteur ou lui donne envie de changer le monde, le Worldbuilding s'affirme comme une manière pour le public de s'approprier les marques, les formats et les oeuvres en participant à leur création. Finalement, le format qui s'échappe des mains de son créateur et le dépasse ne serait-il pas devenu le signe du succès de son entreprise ?