Par Frédéric Lecoin, France Télévisions, Direction de l'Innovation | Relations avec les start-ups
Beaucoup de marketing, d’annonces de com, de buzzwords employés à tort et à travers : la deuxième édition du WebSummit qui s’est tenu cette semaine à Lisbonne n’a pas évité les écueils propres aux grands rassemblements du secteur tech et innovation.
Mais derrière le strass et les paillettes, ce genre d’événements reste l’occasion de prendre le pouls de l’industrie, de ses grandes tendances et de ses défis pour les années à venir.
Une machine à business… qui intrigue les géants de la Silicon Valley
2.000 start-ups, 1.500 investisseurs, 60.000 participants : la cité lisboète a sorti les grands moyens pour se positionner, le temps de quelques jours, comme le carrefour de l’écosystème tech. Le WebSummit attire, et sa puissance de frappe est indéniable : mais quid du nombre de contrats signés, des investissements concrétisés… ? Rien n’est dit sur l’impact réel de l’événement pour les start-ups.
On retiendra toutefois de cette édition un programme de conférences toujours très fourni, avec des thématiques variées et la présence de personnalités qui font l’événement (Al Gore, François Hollande, Caitlyn Jenner, Wyclef Jean, ou encore Brad Parscale, directeur de la campagne numérique de Donald Trump).
Un programme qui a su séduire les géants américains de la tech qui, contrairement à l’an dernier, ont fait le déplacement cette fois - avec des stands certes modestes, mais prouvant leur intérêt à la fois pour le monde des start-ups et pour le territoire européen. Chacun est venu présenter son produit star : IBM a fait le show avec son intelligence artificielle Watson, Amazon exposait son service de cloud computing Amazon Web Services, Microsoft présentait des start-ups qu’il soutient et Google proposait des démonstrations d’AR Core, son nouveau kit de développement de réalité augmentée.
Autre évolution notable de cette seconde édition, une présence beaucoup plus marquée du secteur FinTech, avec une offre de start-ups bien plus conséquente et des banques et assurances présentes en nombre. En pleine opération séduction, ces dernières ont déployé de gros efforts pour mettre en avant leur « marque employeur » : preuve de leur difficulté, depuis quelques années, à recruter et surtout à retenir les jeunes talents. La finance et ses bonus ne semblent plus être une source de motivation pour les Millennials, qui préfèrent aujourd’hui se lancer dans l’entrepreneuriat !
L’IA omniprésente… parfois jusqu’à l’overdose
Bien sûr, le WebSummit n’a pas échappé à LA tendance qui affole toutes les industries. Qu’il s’agisse de FinTech, de HR tech ou d’adtech, on ne comptait plus les start-ups se présentant comme spécialistes de l’IA ou intégrant le terme dans leur description. Parfois à raison, souvent par opportunisme ; car l’intelligence artificielle vantée par ces entreprises se limitait bien souvent à une vague robotisation, sans « intelligence » particulière, ou par une utilisation de l’IA clairement marginale dans leurs activités.
Il fallait chercher, mais la véritable IA était bel et bien là, cachée dans quelques allées du salon. Elle suscite autant d’espoirs que d’inquiétudes et le WebSummit s’est fait l’écho de cette dualité, à l’instar de Stephen Hawking anticipant les formidables opportunités promises par cette technologie mais également mettant en garde contre ses risques potentiels :
« L’intelligence artificielle peut constituer aussi bien la meilleure que la pire chose qui est jamais advenue pour l’Humanité ».
« Il est impossible de prédire ce que nous allons réaliser quand nos esprits seront boostés par l’IA. Peut-être les outils de cette nouvelle révolution technologique nous permettront de revenir sur les dommages engendrés par l’industrialisation sur la nature. Nous aurons pour objectif de finalement éradiquer la maladie et la pauvreté. (…) Nous devons également être conscient des dangers qu’elle porte en elle, les identifier, utiliser les meilleures pratiques et anticiper ses conséquences. »
Quelques heures plus tard, le WebSummit accueillait Sophia, un robot qui a donné sa propre conférence sur scène :
Et dans l’univers média ? Peu de nouveautés
Pas de surprise en ce qui concerne l’univers média, où les sujets qui monopolisent les esprits n’ont pas changé depuis quelques temps : fake news, relations avec les GAFA et les nouveaux entrants, modèles économiques, capacité à toucher les jeunes.
Fake news : back to basics
S’agissant des fake news, après l’état de sidération l’an dernier, l’heure est à la prise de conscience, à une meilleure compréhension du phénomène et à l’action. On regrettera toutefois qu’aucune initiative concrète n’ait été vraiment détaillée, tant du côté des GAFA que des pouvoirs publics. Cenk Uygur, co-fondateur de The Young Turks aux Etats-Unis, en est resté aux fondamentaux : pour lui, la meilleure réponse à apporter à la désinformation est de s’efforcer de pratiquer un journalisme objectif, qui vérifie ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. « Back to basics » finalement.
GAFA et éditeurs : une relation toujours ambivalente
Peu de réponses concrètes aussi pour ce qui est de l’attitude des éditeurs d’information face aux GAFA : leur position reste ambivalente entre dépendance (les plateformes apportent revenus et larges audiences) et cannibalisation des revenus. Meredith Artley, représentante de CNN Digital, l’affirme : les éditeurs ne doivent pas trop compter sur les GAFA. En face, Barbara Slater, directrice des sports à la BBC, admet que ces plateformes et les nouveaux entrants constituent plutôt des opportunités pour conclure de nouveaux partenariats permettant, dans le sport par exemple, de mieux diffuser toute sorte de disciplines sportives.
Toucher les Millennials : l'éternelle quête d'un public jeune
La capacité à toucher et à s’adresser au jeune public reste le graal des éditeurs et le ton ainsi que les formats sont primordiaux dans cette quête. La preuve : les Millennials détestent la politique à la télévision mais sont toujours friands de ces sujets dès lors qu’on leur propose un contenu adapté. Un acteur comme Konbini - d’ailleurs partenaire média du WebSummit - semble avoir trouvé la bonne formule en effectuant des choix éditoriaux qui reflètent son engagement et sont gages d’une certaine authenticité.
Et parce qu’un sommet tech digne de ce nom se doit de sortir son lot d’annonces, en voici deux qui ont retenu notre attention :
- Le lancement de la version française de Flipboard, agrégateur de contenus d’information qui privilégie la personnalisation des expériences de l’utilisateur ;
- La publication sur l’AppStore aux Etats-Unis, par HBO, de « Mosaic », une série interactive de Steven Soderbergh, qui offre une nouvelle manière de naviguer dans une série, d’abord disponible via l’application avant une diffusion sur HBO en janvier.
Beaucoup de débats et beaucoup d’interrogations donc pour cette édition 2017 du WebSummit, notamment concernant l’intelligence artificielle et le pouvoir des géants américains des nouvelles technologies. Mais ces débats avaient surtout lieu dans les conférences, car dans les allées de l’événement, start-ups, investisseurs et dirigeants d’entreprise poursuivaient leurs rencontres et leurs discussions business. Et le papier montrait là sa capacité de résistance, les cartes de visite continuant à s’échanger en nombre !