Par Lorraine Poupon, France Télévisions, MédiaLab
Ce n’est plus un secret pour quiconque s’intéresse réellement à la question du numérique, qu’au-delà de son image d’industrie « propre », mathématisée et abstraite voire même indolore, elle est à l’origine de conséquences réelles sur l’environnement. Alors, incriminable comme l’industrie automobile ou l’agriculture intensive, depuis longtemps pointées du doigt ?
C’était le sujet d’un débat organisé la semaine dernière à la Recyclerie à Paris par le Mouton Numérique où intervenaient Coline Tison, journaliste réalisatrice du reportage « Internet, la pollution cachée » et l’ingénieur Philippe Bihouix, critique de l’idée populaire de « croissance verte ».
Data Centers : la plupart des grandes plateformes s'engagent à faire des efforts
Pour les entreprises, notamment à l’échelle des GAFA, l’étape de la prise de conscience de l’urgence d’un modèle insoutenable à long terme est depuis longtemps passée. Ce n’est pas qu’une question de transparence vis-à-vis d’une société civile toujours plus exigeante en la matière. Les décisions en matière d’écologie ne relèvent pas non plus d’un choix militant ou du sentiment d’une quelconque responsabilité : l’enjeu pour elles relève de la rationalisation des coûts.
Dès qu’il s’agit de la question énergétique dans le secteur technologique, les célèbres data centers sont souvent les premiers blâmés. Et pour cause, à échelle mondiale, ils représentent à eux seuls 3 à 4 fois la consommation électrique française.
Avec une dimension pareille, qu’ils fonctionnent à l’énergie éolienne ou au charbon est donc loin d’être neutre du point de vue environnemental. Dans ce domaine, et par leur position de domination à l’échelle mondiale, l’attitude proactive d’Apple, Google et Facebook provoque un effet d’entraînement pour l’ensemble du secteur.
C’est ce que montre le classement « Clicking Clean » établi par Greenpeace depuis 2012 en fonction de la transparence en matière d’information, du discours tenu dans le débat public, des engagements annoncés, de leur respect et du mix énergétique adopté.
Les GAFA (exception faite d’Amazon) sont donc aussi leaders en matière environnementale ! Lorsque Google annonce que ses bureaux et ses data centers fonctionneront entièrement grâce aux énergies renouvelables à partir dès 2017, l'entreprise crée un standard, une nouvelle norme, un niveau d’exigence que les autres devront appliquer à leur propre compte, sous peine de souffrir d’une image détériorée.
A l’inverse, Netflix y fait figure de mauvais élève. Malgré son statut d’acteur global désormais incontestable, l’entreprise a longtemps été dépourvue de tout discours sur la question environnementale. Le silence n’était plus soutenable et des objectifs ont été annoncés. Mais pour Green Peace, il ne s’agit que d’artifices qui ne provoqueront pas de véritables changements structurels dans le mode de fonctionnement de l’entreprise. Ils consistent plutôt en des actions compensatoires des méfaits de son activité avec, par exemple, l’achat de crédits carbone.
Nos comportements numériques sont le plus grand danger pour l'écologie
Pour autant, réduire la question de l’impact écologique d’internet au défi que représentent les data centers, revient à grandement limiter la question et faire preuve d’aveuglement pour ne vouloir voir que la partie émergée de l’iceberg.
Sur cette question, le débat ne s’est pas tant concentré sur la pollution due au composantes-mêmes des appareils électroniques (citons l’exemple du silicium de nos smartphones !) que sur les nouveaux comportements et habitudes de consommation nés à l’ère du numérique.
Après l’obsolescence programmée, voici venue l’obsolescence marketing ! Votre iPhone 7 fonctionne encore mais cela ne vous empêchera pas de le remplacer par l’iPhone 8 comme vous aviez déjà mis de côté votre iPhone 6 auparavant.
Il faut repenser ces nouveaux comportements devenus habitudes. Notre attitude d’internaute revient à un choix de consommation au même titre que nos achats de vêtements ou notre régime alimentaire.
Bien que contre-intuitif, la fabrication physique d’un CD ne coûterait pas nécessairement plus cher écologiquement que l’écoute d’un titre en streaming des millions de fois. Il en va de même pour la fabrication d’un DVD face au bingewatching de saisons entières de série en l’espace de quelques jours, pratique inimaginable avant Netflix.
Bien loin de l’imaginaire du cloud dématérialisé et intangible, renvoyer 3 fois le même email et ses fichiers en pièce jointe ou se tourner systématiquement vers Google à chaque fois que notre mémoire nous fait défaut sur un nom d’acteur ou une capitale de pays a des conséquences. Ce n’est pas un hasard si des moteurs de recherche verts comme Ecosia (le moteur de recherche qui plante des arbres !) ou Qwant et sa collaboration récente avec Akuo Energy sont nés. C’est tout simplement une offre qui répond à cette demande naissante.
Et c’est probablement là que réside le véritable défi (pour l’instant non relevé !) pour les entreprises de la tech. Quand bien même des progrès sont faits par une meilleure conception architecturale des data centers, dans les méthodes de réfrigération ou dans les énergies utilisées pour les faire fonctionner, si le coût unitaire écologique de la donnée traitée diminue, le nombre de données collectées, lui, explose de manière exponentielle. Et cela ne va pas aller en s’arrangeant.
Intel a ainsi alerté sur la viabilité du modèle avec, par exemple, l’arrivée sur le marché de la voiture autonome. Une voiture autonome seule produirait en un jour 4000Go de données par jour. Généralisez ce flux de données individuel à un parc automobile d’un million de véhicules autonomes, soit seulement un millième du parc automobile mondial ? Inconcevable ! Ou du moins intenable.
Mais alors, que faire ? Ces milliers de données collectées sont-elles vraiment nécessaires, surtout quand on sait qu’une large partie d’entre elles est encore inexploitable car étant non structurées ? Les copies « en back up » de tous les sites en 3 ou 4 exemplaires pour se prémunir de tout bug ou du moindre ralentissement et réduire le temps de chargement au minimum sont-elles indispensables ? A-t-on réellement besoin de chacune des apps figurant dès les paramètres d’usine sur le menu de son portable ?
Au même titre que l’éco conception des pages web avec des codes plus légers et optimisés, l’idée d’une sobriété dans notre rapport au net a été évoquée. Accepter la patience avant l’affichage, rendre conscient et non plus automatique le geste de la recherche Google ou de l’ouverture de l’onglet Facebook … Après l’installation du bloqueur de publicités pour ne pas voir son espace visuel envahi ou le moteur de recherche respectant sa vie privée, prochaine étape ?