Par Barbara Chazelle et Alexandra Yeh, France Télévisions, MédiaLab & Direction de l'Innovation
Dans les médias, nous avons le sentiment que le numérique bouleverse à toute allure le secteur et paradoxalement, les tendances de fond sont identifiées depuis un moment déjà : mobile, vidéo, technologie de l’immersion, algorithmes et automatisation alimentent chaque jour la guerre de l’attention. Essayons néanmoins de faire le bilan avec 10 tendances qui ont non seulement marqué 2017 mais qu’il nous semble pertinent de surveiller de près en 2018.
On avait vu les bots pointer le bout de leur nez en 2016, mais c’est en 2017 que de nombreux acteurs issus de différents secteurs y ont vraiment vu un intérêt. On tâtonne encore sur la ligne éditoriale et le ton à adopter, l’équilibre reste à trouver sur la place de l’humain et l’automatisation intégrale de la conversation. Mais rien que sur Messenger, le nombre de bots actifs a doublé en moins d’un an pour atteindre 200.000 en cette fin d’année. Le phénomène s’accélère depuis que la plateforme a lancé la fonction « Découvrir » en octobre dernier, qui met en avant les bots en les classant par catégorie.
A surveiller en 2018:
« Voice is the new search », nous prévient Google depuis quelques mois. La commande vocale représente déjà 20% des recherches selon Mary Meeker et l’on peut s’attendre à ce qu’elle atteigne les 50% d’ici 2020 (ThinkWithGoogle). Dans la course à la simplification du quotidien, les bots ne sont qu’une première étape. Leurs bases de données alimenteront les conversations vocales d’ici peu.
Le vote du Brexit et l’élection américaine en 2016, puis l’élection présidentielle française de 2017 se sont déroulés sur fond de fausses nouvelles et ont vu se multiplier les campagnes de désinformation en ligne. Résultat : une défiance croissante des citoyens vis-à-vis des médias et une crise de légitimité du journalisme. En 2017, plateformes et médias se sont donc mis en ordre de marche pour faire face à cette guerre de l’information, lançant de multiples initiatives de fact-checking comme CrossCheck (qui associe une trentaine de médias et institutions autour de Facebook et Google), le Décodex du Monde ou encore This Is Fake, l’outil développé par Slate US pour débunker les fausses nouvelles circulant sur Facebook.
A surveiller en 2018:
La montée en puissance de l’IA devrait permettre de faire du fact-checking plus efficace en analysant plus rapidement les bases de données pour vérifier l’information ou encore en automatisant la vérification des photos et des vidéos.
Face aux grosses plateformes américaines qui tentent de s’imposer sur le marché des contenus via des achats de droits coûteux et la production propre de programmes (un milliard d’investissement annoncé pour Facebook et Apple en 2018, 8 milliards $ pour Netflix), les médias traditionnels cherchent toujours à résister. Aux Etats-Unis, on regarde avec intérêt la démarche combative de Disney, qui après avoir retiré ses contenus de Netflix cet été, a choisi de lancer ses propres services de streaming et vient de racheter les activités divertissement de 20th Century Fox.
En France, les éditeurs s’associent contre le duopole Google/Facebook via Gravity et Skyline. Côté telcos, la stratégie de convergence s’accélère : SFR a lancé sa chaîne Altice Studio et Orange a ouvert la porte à un partenariat à Altice dans les contenus.
A surveiller en 2018:
L’industrie musicale semble être dans le viseur des plateformes. En cette fin d’année, on ne compte plus les annonces : YouTube pourrait lancer en mars prochain un service musical payant pour concurrencer Spotify et Apple Music et facilite depuis peu l'achat de places de concert, Facebook propose un nouvel outil pour mettre de la musique dans les vidéos, Spotify s'allie avec le chinois Tencent, Apple vient de confirmer le rachat de Shazam.
Les partenariats entre plateformes et fédérations sportives se sont multipliés (Twitter et NFL, NHL, MLB, NBA ; Amazon et NFL ; Facebook et MLB ; Snapchat et les prochains JO d’hiver). En France, on se souviendra que SFR Sport a payé au prix fort les droits de la Ligue des Champions. Le sport reste ainsi un terrain de mise en concurrence très fort des différents acteurs qui veulent attirer un public engagé. Et désormais, les GAFA sont là.
L’esport reste toujours aussi peu présent sur les chaînes télé. Seul Canal+ a noué un partenariat avec l’Electronic Sports League pour le Canal Esport Club (depuis fin 2016), alors que la télévision publique danoise bat des records en diffusant 10 heures sans interruption de compétition. Facebook compte bien tirer parti de la tendance et promet depuis mai dernier plus de 5.500 heures de direct de Counter Strike.
A surveiller en 2018:
En quelques années, l'esport est parvenu à gagner ses lettres de noblesse et il sera présent en marge des Jeux Olympiques 2018. Voilà qui devrait convaincre les médias traditionnels qu'il est temps de s'intéresser au sujet !
De nouvelles fonctionnalités et produits sont annoncés chaque semaine et on se demande qui arrive à suivre encore la cadence !
Facebook est passé maître dans l’art de reprendre à son compte les fonctionnalités des applications concurrentes qui connaissent un certain succès, la plus connue étant certainement celle des stories, qui s'enrichissent elles-mêmes de jour en jour.
Cet été, Facebook a annoncé le lancement de Facebook Watch qui cristallise la volonté de la plateforme de grappiller des parts au marché de la télé, tout en continuant de miser sur le live streaming au sein des Instant Games Messenger pour concurrencer Twitch ou YouTube Gaming.
Si les plus jeunes semblent la déserter, la plateforme de Mark Zuckerberg est loin d’avoir dit son dernier mot avec Messenger Kids.
A surveiller en 2018:
Facebook va probablement prendre une place croissante dans le e-commerce et les transactions entre particuliers via Marketplace, lancé en France en août mais surtout la possibilité d’effectuer des paiements via Messenger.
Vous n’avez pas pu passer à côté de ces vidéos courtes, rythmées aux sous-titres colorés dans vos fils d’actualité Facebook : Brut, c’est la success story de l’année, et le chef de file d’une nouvelle génération de médias « social only » (Explicite, MinuteBuzz, Monkey…) qui ont choisi d’abandonner le traditionnel site web au profit d’une distribution de leurs contenus 100% tournée vers les réseaux sociaux. Et ce ne sont pas les seuls à avoir délaissé les sites : 2017 a aussi été une année faste pour les newsletters. Au programme : la promesse d’une vraie curation de contenus livrés directement dans votre boîte mail pour s’informer vite et bien.
A surveiller en 2018:
Le contenu mobile premium, popularisé par les applis Blackpills, Studio+ et Vertical, devrait continuer à se développer, grâce à des vidéos de haute qualité (des productions aux budgets importants qui permettent de produire des contenus qualitatifs) adaptées à une consommation on-the-go sur écran mobile.
Il aura fallu attendre 2017 pour que le podcast ne désigne plus simplement les émissions de radio traditionnelle en replay, mais ça y est : l’engouement a dépassé le cercle des initiés pour conquérir un public en quête de contenus nouveaux, en dehors des médias traditionnels. Depuis quelques mois, les studios de podcasts natifs poussent comme des champignons et de plus en plus de médias se déclinent désormais en version podcast (Slate, Usbek & Rica, Les Jours…). Bref, le marché se développe à vitesse grand V. Un phénomène qui prend le contrepied de la tendance précédente – qui propose des contenus ultra-courts - pour privilégier le temps long avec des émissions qui prennent le temps d’explorer leurs sujets en profondeur.
A surveiller en 2018:
L’écoute augmentée, permise par des écouteurs intelligents qui atténuent le bruit ambiant pour vous aider à concentrer votre attention sur ce qui compte, que ce soit un podcast ou la voix d’un collègue en face de vous en open space. La promesse d’une expérience plus qualitative, qui s’adapte notamment aux usages en mobilité pour écouter nos contenus même dans des environnements bruyants.
C’est un peu l’espoir déçu de 2017 : la réalité virtuelle n’a pas encore trouvé son public, trop coûteuse à produire et parfois inconfortable pour l’utilisateur, en plus d’être jugée « isolante ».
En revanche, la réalité augmentée se démocratise par le mobile et des applications déjà grand public. Après le succès de Pokémon Go en 2016, Snapchat a lancé l’animation des bitmojis en réalité augmentée, Twitter a innové avec TweetReality qui fait sortir votre flux vers notre environnement réel et l’application Quartz permet de s’informer en réalité augmentée.
A surveiller en 2018:
La tendance va certainement s’accélérer en 2018 et nous surveillerons tout particulièrement les belles expérimentations narratives utilisant ces technologies. Pour la VR, plus particulièrement, l’adoption d’un standard commun pourrait changer la donne.
Emojis, bitmojis et maintenant animojis : sur les réseaux sociaux ou dans nos messageries, l’heure est à la mise en scène de soi à travers des avatars qui retranscrivent nos émotions. Ils ont conquis la pop culture au point de devenir des formes d’expression à part entière, et surtout, ils nous ressemblent de plus en plus depuis que l’iPhone X peut scanner notre visage pour animer les animojis avec nos expressions. Les émotions sont au centre de l’expérience sur Facebook aussi, où les boutons de réaction en plus du traditionnel « like » ont été utilisés 11 millions de fois depuis leur lancement en 2015 (et pour l’anecdote : la réaction la plus populaire dans les groupes est le ? tandis que les discussions one-to-one, c’est le ? qui l’emporte ).
A surveiller en 2018:
La prochaine étape, c’est la VR sociale, par hologramme avec l’holoportation de Microsoft ou par avatar avec Facebook Spaces, qui nous permettront d’interagir avec nos proches à distance, en étant immergés dans un monde virtuel. L’aboutissement de cette avatarisation de nos relations sociales ?
En 2017, la Silicon Valley ne fascine plus. Les jeunes start-uppers californiens ne sont plus les héros de notre époque, refroidie par un sentiment de déconnexion de plus en plus criant avec ces richissimes entrepreneurs qui se gavent de nos données et de notre temps d’attention. Et ce désamour pour l’industrie de la tech ne va pas aller en s’arrangeant, car les progrès de l’intelligence artificielle posent des problèmes éthiques de plus en plus clivants : tandis que les CEO de la Valley eux-mêmes s’opposent sur leurs visions de l’IA, les débats vont bon train autour de la voiture autonome et des futurs dilemmes moraux qui se présenteront à elle.
A surveiller en 2018:
L'entrée en application du RGPD devrait instaurer un nouveau garde-fou en Europe en matière de collecte des données… mais cette mesure touchera les médias européens seulement (et non les plateformes), en les obligeant à être plus transparents sur l’utilisation de nos données et en renforçant nos droits d’accès et de rétractation.
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