Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de l'Innovation
« Une approche multidimensionnelle de la désinformation » : c’est le titre du rapport publié cette semaine par le groupe d’experts de haut niveau sur les fake news réuni par la Commission européenne, composé de représentants des médias, des plateformes et de la société civile.
Derrière cet intitulé pour le moins cryptique se cache une démarche simple : placer l’Union européenne en tête de proue de la lutte anti fake news pour armer les sociétés européennes contre la désinformation en ligne. Une manière aussi pour Bruxelles, qui ne veut pas de loi, de dire que de telles initiatives au niveau européen, constituent le seul niveau valable pour lutter contre ce fléau.
Ne dites plus « fake news », dites désinformation
Après quelques belles années à faire les gros titres, il semble que l’expression « fake news » ait désormais perdu ses lettres de noblesse. Alors que nous évoquions il y a quelques jours le désamour des chercheurs américains pour ce terme, c’est désormais au tour des 39 membres du groupe d’experts de la Commission de préconiser son abandon.
Incapable d’appréhender pleinement la complexité du problème et de refléter la diversité des types de fausses informations en circulation sur internet, le terme « fake news » a en outre fait l’objet d’une récupération par certains politiques, au premier rang desquels Donald Trump, qui n’hésitent pas à l’utiliser à des fins personnelles pour discréditer les médias qui ne vont pas dans leur sens.
Autant de raisons qui poussent le groupe d’experts européens à préconiser le terme « désinformation », qui désigne des informations fausses ou trompeuses délibérément conçues dans le but de causer un préjudice public ou dans un but lucratif.
5 étapes pour lutter contre la désinformation
Une fois la question de la terminologie réglée, les recommandations du groupe d’experts s’articulent autour de cinq piliers.
Première étape incontournable de la lutte contre la désinformation : rendre l’écosystème de l’information, et en particulier ses processus de production et de diffusion, plus transparents, dans le but d’aider les utilisateurs à mieux distinguer le contenu journalistique de qualité des contenus à vocation mensongère. Cela implique notamment que les plateformes soient plus transparentes sur les contenus sponsorisés (en particulier, souligne le rapport, en période électorale) et partagent leurs données avec des chercheurs indépendants pour évaluer l’effet des fausses informations sur les utilisateurs et l’efficacité des mesures prises par les plateformes (signalement de fausses nouvelles, fact-checking).
Si l’éducation aux médias et à l’information était déjà devenue fondamentale dans notre époque numérique, elle a pris encore une toute autre envergure avec l’avènement de la désinformation en ligne. Le rapport préconise de mettre l’accent sur plusieurs mesures d’éducation aux médias : apprendre à s’informer bien sûr, mais aussi apprendre à débattre en ligne, et à ne jamais se départir de son esprit critique devant une information. Sa force, selon le groupe d’experts, est son approche préventive plutôt que curative : l’éducation aux médias se fait en amont, dès le plus jeune âge mais aussi tout au long de la vie, pour former des citoyens capables de repérer les fausses nouvelles avant même d’avoir eu le temps d’être trompés.
Les experts préconisent ici la mise en place d’outils concrets pour armer les citoyens contre les fausses nouvelles, comme des indicateurs de qualité (labels pour les contenus vérifiés, indicateurs de transparence des contenus) ou encore des algorithmes qui favoriseraient le pluralisme de l’information pour présenter des opinions variées (mais toujours vérifiées). Du côté des professionnels de l’information, le groupe recommande aux médias d’investir davantage dans des projets innovants liés au fact-checking, à l’intelligence artificielle et aux big data pour mieux lutter contre la désinformation.
L’idée ici est de garantir un environnement favorable aux médias d’information pour leur permettre de combattre à armes égales avec les producteurs de fausses nouvelles, en favorisant la mise en avant et la découvrabilité des contenus de qualité pour ne plus qu’ils soient noyés au milieu des contenus de désinformation. Le rapport renouvelle ici son appel à des investissements plus importants pour soutenir le journalisme de qualité, citant en exemples les fonds Google DNI et le Facebook Journalism Project.
Parce qu’il ne suffit pas de prendre quelques mesures cosmétiques, le groupe d’experts insiste sur la nécessité d’évaluer en permanence l’ampleur du phénomène, son évolution et l’efficacité des mesures prises pour l’endiguer. Convaincu que des réponses législatives ne sauraient combattre efficacement la désinformation (en plus de comporter des risques d’atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse), le groupe préconise des mesures d’auto-régulation (création d’une coalition réunissant plateformes, médias d’information et organisations de fact-checking, établissement d’une « code de principes » résumant les rôles et devoirs de chacun) mais rappelle que l’efficacité de ces mesures devra être évaluée puis réexaminée par la Commission européenne au printemps 2019.