Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Prospective et MediaLab
Intervenu au MIPTV cette semaine à Cannes, Matthew Henick, le nouveau directeur de la stratégie des contenus de Facebook, a partagé sa vision des opportunités qui s’offrent aux créateurs et distributeurs de contenus, notamment sur le mobile. Alors que Facebook investit de plus en plus dans les contenus originaux, notamment via Facebook Watch, la plateforme ne souhaite pas reproduire une programmation TV, mais créer une offre de « divertissement social ».
L’âge d’or de la TV et des films franchisés touche à ses limites
Selon Henick, nous sommes dans une situation sans précédent dans l’histoire de l’industrie des médias, où nous vivons deux âges d’or simultanément : l’âge d’or de la télévision, durant lequel un nombre sans précédent de séries de qualité ont été produites, et l’âge d’or des « films franchisés » qui a très bien fonctionné pour Disney notamment.
« Il y a plus d’argent que jamais pour les contenus. Mais le problème, c’est qu’il est très difficile pour de nouveaux entrants de se faire une place. La majorité de l’argent est investi dans les talents les plus seniors, les plus expérimentés. Et beaucoup de personnes sont exclues de ces opportunités, ainsi que de nouveaux formats et de nouvelles audiences. »
Ainsi, parallèlement à l’industrie de la TV et du cinéma, de nouveaux contenus se créent sur d’autres médias.
« Rien de ces contenus n’atteint la télé ou le cinéma ; ça se passe sur les 2,4 milliards de smartphones présents dans le monde. Ce nombre est encore censé doubler dans les 3 à 5 ans. (…)
La télévision est un système créatif fermé. Le mobile est social alors que la télévision ne l’est pas. C’est une fenêtre. Les téléphones sont davantage qu’une fenêtre. Ils nous permettent de faire converger la créativité, la distribution et la technologie. La prochaine étape, c’est le divertissement social. »
La télévision fut jusqu'ici un créateur de lien social pour des populations regardant les mêmes programmes à la même heure. Nombreux sont ceux qui se rappellent des discussions dans la cour de récré, au bistrot ou autour de la machine à café sur le programme de la veille. Mais aujourd'hui, dans le même foyer, chacun regarde un contenu différent, sur un écran différent, à des heures différentes.
Comment donc créer du lien social dans une nation quand il n'existe plus dans le salon ?
Les créateurs de contenus vont devoir apprendre l’agilité
Les créateurs de contenus doivent se préparer à entrer dans l’âge du divertissement social :
« Soyez préparés à écrire deux scénarios : l’un pour ce que les acteurs doivent faire et l’autre pour ce que votre audience fera de votre contenu », a conseillé Henick.
Selon lui, les producteurs vont devoir prendre en considération les réactions de l’audience et le processus de création devra être « responsive », modulable au public. Donc plus question de se lancer dans des tournages de neuf mois avant qu’un premier épisode ne soit diffusé.
« Vous devez garder la capacité de vous réajuster, de répondre à votre public. (...) Les contenus sociaux vous libèrent des formats spécifiques car c’est le public qui écrira la moitié de l’histoire. »
Et d’admettre :
« Cette règle va s’appliquer à tous les genres de contenus, et cela va être très difficile à gérer. »
De même, le fait d’essayer de vendre un format à plusieurs distributeurs simultanément va aussi évoluer car chaque distributeur aura une audience bien différente, beaucoup plus marquée qu’auparavant.
Enfin, plutôt que de rester coincée dans des fenêtres de diffusion, l’industrie ferait mieux d’adopter une logique « d’entonnoirs des sorties » qui ne serait plus déterminée par la chronologie ou la géographie.
« Si vous postez une vidéo sur YouTube et que vous souhaitez que ce soit un succès, il faut vous assurer qu’elle soit accessible dans tous les pays, immédiatement. Il faut que votre contenu soit vu par le plus de personnes possible. Ensuite, vous trouverez des segments d’audience qui sont plus engagés et alors vous définirez différents moyens de ramener de l’argent. »
Selon Henrick, les détenteurs de droits devront développer de nouvelles manières de monétiser leurs contenus, allant du financement par la publicité avec un accès à tous jusqu’à proposer des expériences personnalisées hors ligne pour les fans les plus actifs.
Facebook souhaite garder une stratégie de contenus "aussi ouverte et accessible que possible"
A peine engagé par Mark Zuckerberg, Matthew Henick avait déclaré le mois dernier que Facebook était une « plateforme de storytelling ».
« Les bonnes histoires attirent l’audience mais les très bonnes histoires approfondissent les relations des personnes qui composent l’audience. Le futur du storytelling est social. Alors que les médias apprennent à tirer avantage du monde numérique, une expérience vidéo totalement inédite est en train d’émerger sur mobile, avec un potentiel pour le social et l’interactivité que nous effleurons à peine. (...) Je pense que chaque personne dans le monde devrait pouvoir toucher cette expérience – qu'elle souhaite la consommer, la créer ou même la monétiser – d'une manière singulière et unifiée. Facebook a un positionnement extraordinaire pour offrir cela. »
Lors de sa keynote à Cannes, Matthew Henick a pris l'occasion de développer cette vision.
Facebook se dirige plutôt vers un modèle financé par la pub mais souhaite rester aussi « ouvert et accessible que possible », sans s’interdire des « entonnoirs payants » pour certains contenus de la plateforme.
Concernant les genres, là encore, pas de restriction : des contenus dramatiques au sport en direct, avec néanmoins une affinité spéciale pour les séries non-scriptées / reality shows.
« Les contenus non-scriptés sont plus interactifs. Je pense qu’ils sont en plein essor en ce moment sur les médias sociaux. »
La plateforme souhaite produire la majorité de ses contenus originaux elle-même mais « reste ouverte pour que tout le monde puisse créer du contenu pour elle et puisse accéder à son audience ».