Par Hervé Brusini, France Télévisions, Direction de l'Information
Dans le grand salon du festival international du journalisme de Perugia, le plus grand réseau social mondial offrait cette semaine une soirée… et ses convives s’interrogeaient pour savoir s’il était ange ou démon. A l’entrée, on se devait de décliner son état-civil sur une tablette prévue à cet effet. En ces temps difficiles, pas question pour le réseau de perdre une occasion de prendre ou garder le contact avec un client jugé digne d’intérêt. En cette 13ème édition, responsables de médias, journalistes ou chercheurs parlaient certes, fausses nouvelles, données pillées et dépendance économique, et un nom semblait résumer pour beaucoup tous ces pêchés mortels : Facebook…
Lui gravissait à toute allure les hautes marches qui conduisent au palais des prieurs. Le personnage est bien connu du festival. Prédicateur, prophète, il va ainsi pieds nus, là où le portent les débats du jour. « Et ça parle, ça parle, dans ce festival, sans arrêt. Des meetings, des speakers (sic) en veux-tu en voilà. Mais ils ne prononcent jamais LE mot : Dieu ! Tout le reste n’est que fake news (re-sic) » Au moins, pour lui le choix s’avérait des plus simples. Au sommet des escaliers, il fut refoulé par les gardiens du temple où la conférence devait avoir lieu. Dommage, il allait rater un petit coup de théâtre.
« La qualité des nouvelles sur Facebook » tel était le thème qui devait rassembler en cet instant les fidèles du numérique dans la stupéfiante salle des notaires. On attendait, esprit critique en batterie, Campbell Brown, la grande responsable des partenariats de Facebook en matière d’info. Mais sur le plateau les invités étaient tout autres. La longue silhouette de Jeff Jarvis, prof et expert new yorkais du journalisme en ligne, vint expliquer ce qu’il se passait:
« Campbell a décidé de ne pas venir… On peut en deviner les raisons… [évidente allusion au récent scandale de Cambridge Analytica qui ébranle Facebook]… Alors nous nous sommes dit, pourquoi ne pas faire ce que nous avons fait en d’autres temps pour Google avec Newsgeist ? Posons-nous la question : Que devrait faire Facebook pour les news ? »
Un plateau avait donc été constitué en urgence avec des acteurs totalement indépendants du réseau social. Ce fut au professeur de Columbia Jay Rosen d’ouvrir cette séance où planait plus que jamais l’ombre de Mark Zuckerberg. Aux yeux de l’enseignant new yorkais lui aussi, l’audition récente du créateur de Facebook devant le Sénat américain constituait un véritable événement.
« Il s’est déclaré responsable des contenus de sa plateforme. Auparavant, il était plutôt réticent à le faire. Certes, il n’a pas parlé de « responsabilité éditoriale », mais ce sera certainement pour une prochaine étape. Car, si Facebook affirme qu’il a un rôle dans la société parce qu’il connecte les gens entre eux, il a un rôle encore plus important parce qu’il connecte les personnes avec le monde. Il intervient dans la grande conversation planétaire qui, le plus souvent, tourne autour de l’information. »
A ses côtés l’ancienne rédactrice en chef du journal allemand Bild, Tanit Koch était moins optimiste :
« Je trouve hautement problématique tous ces appels à Facebook pour qu’il s’implique dans une régulation, dans ce qui est du bon journalisme ou ce qui n’en est pas, dans le fait de remonter ou pas une info, de changer le flux des news… Certes, on en n’est pas encore là, mais je sens ce moment où cela deviendra une question massive… En fait, Facebook a bien du mal à comprendre que l’info n’est pas seulement une marchandise, ou un bien échangeable. »
On parla ouverture des données pour la recherche universitaire, on évoqua la juste monétisation des contenus d’infos… Et puis Ezra Eeman, le représentant de l’Union européenne de radio-télévision, spécialisé dans le digital posa une question :
« Actuellement, Facebook a constitué des ateliers de travail pour définir les indicateurs de la qualité de l’information. A titre personnel, je trouve cela dangereux. C’est un exercice élitiste. Et vous qu’en pensez-vous ? »
La réponse fut à la mesure de nombre d’échanges de ce festival, malaisée, en recherche…
Oui, il fallait sans aucun doute travailler sur des standards de façon à établir une transparence de bon aloi. Il était également indispensable d’éviter les listes blanches ou noires, des gentils ou des méchants. Mieux valait renvoyer à la responsabilité de chaque émetteur de nouvelles.
Bref, résuma Jarvis, il serait bon « d’instaurer des signaux de qualité et non des jugements de qualité… Tout n’est pas foutu, car ce monde nouveau n’est pas fini, nous sommes en train de l’inventer. »
On sortit comme groggy, la tête désolée de n’avoir obtenu que de rares débuts de solution.
Facebook, ange ou démon, certainement rien de tout cela…
Dehors le prophète hurlait que nous n’étions pas sur la bonne voie. Pour un peu on aurait été d’accord avec lui. Les migrants, la crise des Rohingyas, les violences faites aux femmes, la confiance qui fout le camp…
Dans la bonne dizaine des lieux de conférence du festival, Perugia résonnait des multiples questions qui secouent la planète. On décida d’aller se changer les idées au musée voisin, à la galerie nationale de l’Ombrie. Des dizaines de toiles des XIIIe et XIVe siècles ne parlaient que d’anges et de démons…