Par Morad Koufane, France Télévisions, Responsable du planning stratégique
Dans l’ère de la Peak TV, on assiste à une prolifération du nombre d’épisodes dont la durée dépasse de loin les standards de l’industrie (42-52 minutes pour les drames américains et 22-30’ pour les comédies) avec notamment les plateformes comme Netflix ou Amazon qui s’arrachent des talents du monde entier en leur offrant carte blanche et final cut.
Les formules rigides du passé ne semblent plus s'appliquer aujourd’hui et il est de plus en plus rare qu’une série affiche des durées uniformes par épisode, signe « objectif » d’une liberté de création plus importante et d’une montée en gamme artistique incontestable.
Une série de « 13 films »
La nouvelle norme des épisodes de série se rallonge de plus en plus lorgnant vers le long métrage. Ce faisant, la série change de statut, avec comme moule esthético-marketing Mad Men, vendu à l’époque (2007), comme une série de « 13 films ».
Dans l’univers des networks et du câble non premium, la longue durée d’un épisode envoie le signal d’une appartenance à ce monde sans coupure de pub à grande portée créative.
Des chapitres plus que des épisodes
Le rallongement de la durée permet par exemple aux auteurs de conserver des scènes sans dialogues qui auraient été coupées au montage il y a encore quelques années (à l’instar des 12 minutes dans le pilote de la saison 5 de The Americans où l’héroïne creuse une tombe ou les 20 minutes non dialoguées du finale de The Leftovers).
« Le téléspectateur ne sait plus à quoi s’attendre d’un épisode à l’autre », comme le dit Alan Yang le co-créateur de Master of None, qui peut ainsi passer d’un épisode d’une durée de 21 minutes (s02e03) au superbe épisode s02e09 Amarsi un Po de 57 minutes.
La consommation d’affilée de plusieurs épisodes (plus de 3 d’affilée) change complètement l’expérience de visionnement et rapproche la série de l’expérience immersive de la lecture. Le roman s’est avéré la matrice ces dernières années des séries de prestige. Elles ont adopté les différents attributs de cette forme : storytelling dense, écriture nuancée, idées innovantes, voix nouvelles, anti-héros ambigu, dispositif choral (souvent une famille dysfonctionnelle) en somme une série qui encapsule l’air du temps (par son thème, sa technique, son ambition).
D’où la découpe désormais en « chapitres » des séries plus qu’en « épisodes ». Les tailles des chapitres dans un roman ne sont pas mécaniquement uniformes. La longueur répond à l’évolution dramatique voulue par l’auteur, avec une exposition de la situation plus ou moins rapide, une mise en place de l’univers plus ou moins lente, une construction des personnages plus ou moins fouillée, des accélérations de tempo, des climax dramatiques, etc. C’est la direction de l’histoire qui dicte désormais la durée des épisodes / chapitres.
Le côté roman du Binge-Watching, notamment pour les séries des plateformes de SVOD, permet une liberté de montage et de création plus forte, jusqu'à travailler l’exposition d’une série non plus sur la première partie du premier épisode mais de l’étendre sur la totalité du pilote, voire sur plusieurs.
Prétentieuse, esthétisante, ennuyeuse
A rebours, une autre façon de voir les choses se fait jour et prend de l’ampleur ces derniers mois, avec d’une part, la critique de la complaisance : la longueur de l’épisode signale fortement sa soi-disante importance et son appartenance aux « séries dite de prestiges ». Le budget et la production value l’emportent plus souvent sur le moyen de servir au mieux la narration de l’épisode. Comme si « plus » (de temps et de budget) devenait automatiquement « mieux » (prestige et qualité). Game of Thrones, par exemple, n’en peut plus de montrer ses muscles sur chaque fin de saison (s07e05 59’, s07e06 71’ et s07e07 81’), mais fait souvent du surplace pendant plusieurs épisodes sans aucun problème.
Tandis que l’ennui pointe souvent son nez, bon nombre de showrunners vantent les mérites des contraintes issus des networks (coupures pub, case horaire) qui obligent à resserrer la narration en s’appuyant sur la structure en acte (une pause chaque 15 minutes). Le créateur de The Good Place voit du gras dans la plupart de ces épisodes de prestige: « Donnez moi deux heures avec un monteur, et je vous dégage 15 minutes sans problème ».
D’autre part, une critique esthétisante se fait entendre : « Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle ? ». C’est ce que semblent nous dire ces épisodes à rallonge, se laissant aller à la tentation esthétisante. Le docudrama Wormwood sur Netflix, pourtant salué pour sa forme nouvelle mariant reconstitution Drama Premium et documentaire a pris cher quant à son format de 6 épisodes alors qu’un film de deux heures bouclait l’affaire.