Par Arnaud Wéry, journaliste au weblab de L’Avenir.net. Billet invité
Réengager le public et renouer le lien de proximité (et de confiance) avec les citoyens : tel est le défi que doivent relever aujourd’hui les médias, et plus particulièrement les télés locales, dont la pérennité dépendra de leur capacité à remobiliser leurs communautés régionales.
En Belgique, Matélé – l’une des douze télévisions locales francophones – a développé une stratégie d’engagement fondée autour des groupes Facebook. Diederick Legrain, rédacteur en chef adjoint de la rédaction, revient sur son expérience.
Comment l’idée d’ouvrir un groupe Facebook plutôt qu’une fanpage est-elle née ?
Cela remonte à sept ans, quand j’ai lancé un groupe pour accompagner la promotion du livre de recettes Namur Gourmande, qui compte aujourd’hui 18.000 membres. J’ai vu le potentiel en termes d’implication et de contribution des internautes. A Matélé, c’était pour l’opération #tousàtable, que nous avions lancée pour favoriser la création d’auberges espagnoles IRL et virtuelles entre voisins, entre membres d’associations ou entre collègues autour du thème du locavorisme.
Justement, pour cette opération #tousàtable, quels étaient les objectifs du groupe Facebook ? Et les avez-vous atteints ?
Le but de l’opération était de mobiliser et d’impliquer notre audience web, de créer une communauté d’utilisateurs actifs et de contributeurs. L’opération a regroupé une quarantaine de communautés locales (comités de quartiers, collègues au sein d’une entreprise, associations diverses…) et le groupe Facebook nous paraissait être la bonne méthode de relier toutes ces personnes.
Concrètement, quel a été l’apport de ce groupe Facebook dans votre opération ?
Le groupe a créé une émulation entre les participants, qui se sont amusés à tester de petites productions : photos, minividéos, recettes, etc. Il nous a permis de dialoguer avec eux et de recueillir des idées pour des reportages.
Lors d’une présentation de #tousàtable devant des journalistes à Moscou, tu expliquais qu’il avait fallu un peu de temps avant de voir le groupe sérieusement grandir. As-tu pensé que vous aviez fait une erreur en ne misant pas sur une fanpage ?
Le groupe a démarré très lentement, mais je pense avec le recul que cela vient du fait que le nom #tousàtable n’était pas porteur. Il aurait fallu lancer une communauté autour d’un concept du genre « Locavores Namur », qui aurait démarré plus facilement et duré plus longtemps.
À la suite de cette expérience, les télévisions locales de la Communauté Wallonie-Bruxelles ont lancé le groupe « T’es un vrai fan de volley si… » pour accompagner une émission intitulée Volley Games. C’était en 2017. Le groupe continue de vivre mais est-ce que le magazine télé est toujours diffusé?
L’émission n’est plus diffusée, mais son statut éphémère était connu et c’est la raison pour laquelle on n’a pas fait de groupe sur le nom de l’émission mais bien sur le volley : ainsi le groupe continue de vivre sa vie et permet aux télés locales de dialoguer avec les fans de ce sport.
L’expérience nous a surtout permis de lancer un autre groupe qui a eu beaucoup plus de succès, « L’esprit de clocher », qui a accompagné toute l’opération de reconstruction du clocher de la Collégiale de Ciney. Celui-ci avait été détruit par une tempête et symbolisait les dégâts énormes que la commune a subis lors de cette époque. Les idées de reportages, les témoignages et photos reçus des habitants grâce à ce groupe ont été essentiels à notre couverture médiatique.
Aujourd’hui, combien de groupes Facebook gère la rédaction de Matélé ?
18 groupes : 15 groupes communaux ainsi que #tousàtable, L’esprit de clocher (lancé à Ciney) et Fan de volley. Avec les 15 groupes communaux, nous avons dépassé les 6.000 membres en quelques semaines… ce qui représente plus du tiers de l’audience qui avait été acquise en sept ans avec la fanpage ! Les interactions sont innombrables et nous avons très régulièrement des idées de reportage grâce à ces groupes.
Quelle est la principale difficulté dans la gestion de ces communautés ?
Ne pas avoir de tableau de bord qui permette de monitorer tous les groupes : il faut sans cesse passer de l’un à l’autre pour faire du community management, surveiller ce qui se dit, publier, etc. C’est un boulot énorme !
Les groupes Facebook offrent moins de possibilités que les fanpages, notamment pour les publications et le suivi des statistiques : n’est-ce pas handicapant ?
Les groupes Facebook ont fortement évolué depuis février 2018. Facebook a décidé d’améliorer leur fonctionnement en créant de nouveaux outils de gestion et en formant des gestionnaires de groupe de tous les pays à ces outils, notamment lors du Communities Summit de Londres. Il y a désormais des statistiques dans les groupes (même si elles restent moins fines que sur les fanpages) et il est possible de programmer des publications. Il y a beaucoup plus d’outils qu’on ne le pense.
Quels sont les conseils que tu peux donner à la suite de l’expérience de la rédaction de Matélé avec la mise en place et la gestion des groupes Facebook ?
- Ne pas créer de groupes autour d’une seule émission ou chaîne mais autour d’une communauté préexistante : foodies, habitants d’une commune, amateurs de sports, etc. ;
- Mettre en place des règles et les expliquer avec beaucoup de patience ;
- Répondre à toutes les interpellations sur le fonctionnement du groupe et la politique éditoriale du média ;
- Faire confiance aux groupes : ceux-ci évoluent parfois d’une manière qui n’avait pas été prévue initialement, mais qui correspond à ce que les membres en attendent. Il faut suivre le mouvement ;
- Rester en adéquation avec les valeurs du média.
Bref, les bénéfices des groupes Facebook sont nombreux, et il n’y a pas que les télés locales qui l’ont compris : depuis quelques mois, de plus en plus de médias investissent ce nouveau canal pour réengager leurs communautés. Un moyen aussi de rompre avec l’image d’un journalisme hors-sol, déconnecté des préoccupations des citoyens – à condition de faire les choses bien, et d’y mettre les moyens, avec un vrai travail d’éditorialisation des contenus et d’animation des communautés.
Pour découvrir d’autres projets de webjournalisme en presse locale, vous pouvez retrouver Arnaud Wéry sur son blog.