Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de l'innovation
Dépassé, le mythe de l’inventeur devenu millilardaire grâce à une appli révolutionnaire lancée depuis ses bureaux la Silicon Valley ? Pas encore, car les clichés sont tenaces. Mais il semblerait bien que la légende commence à se fissurer, alors qu’émergent studios de création et autres company builders proposant de nouveaux modèles d’innovation.
Réunis au festival Futur.e.s, plusieurs acteurs de cet écosystème alternatif sont venus témoigner qu’un autre modèle est possible pour les start-ups.
L'incubateur de start-up, dépassé❓
De nvx modèles pr les projets comme les studios de création ont le vent en poupe ♨ ; on en discute à #futuresparis :
— @GrisoliaMathieu - @quattrocentoeye
— @Ge_Russell - @bymaddyness
— @MarialyaB - @104paris
— @ishanbjw - @_DINSIC pic.twitter.com/hX06Anqk9D— Futur.e.s (@futuresfestival) 22 juin 2018
En finir avec l’hégémonie de la Silicon Valley
Quoi de mieux pour parler de modèles d’innovation alternatifs que d’inviter un entrepreneur repenti de la Silicon Valley ? Première guest star de la journée, le cofondateur d’Evernote Phil Libin a livré un témoignage sans concession sur ses années passées dans le Saint des Saints des start-ups.
Après vingt ans de carrière et avec quatre créations d’entreprises à son actif, Phil Libin explique avoir pris conscience que « le modèle de la Silicon Valley n’est peut-être pas le meilleur, car il nous pousse à penser au business plutôt qu’au produit », et contraint donc les gens à devenir des entrepreneurs avant d’être des inventeurs.
Soucieux de raccourcir au maximum le « time to market », impatients de lancer leur premier « MVP » (minimum viable product), les cols blancs de la Silicon Valley vont trop vite, selon Phil Libin, sans prendre le temps de créer des produits de qualité qui répondent à un véritable besoin – ce que Libin appelle un « meaningful problem ».
Selon lui, un individu qui veut lancer son produit aujourd’hui se trouve face à deux possibilités : innover au sein d’une grande entreprise, et bénéficier de ses méthodologies et de ses moyens financiers… mais aussi subir ses lenteurs administratives ; ou bien lancer sa start-up, et pouvoir travailler rapidement et avec agilité, mais en prenant des risques financiers.
Avec ses associés, Phil Libin a donc créé All Turtles, un start-up studio dédié aux innovations en matière d’intelligence artificielle qui se veut à mi-chemin entre ces deux voies, en accompagnant des entrepreneurs dans la création de leur start-up. Le projet s’inspire de l’industrie hollywoodienne, confrontée il y a dix ans aux mêmes problématiques que le secteur de la tech aujourd’hui : une grosse machine peinant à sortir de sa propre inertie, aliénée par la recherche effrénée du blockbuster et victime d’un esprit conservateur peu propice à l’innovation. Une spirale finalement brisée par l’arrivée de nouveaux acteurs comme Pixar, puis Netflix ou encore Amazon, cités en exemples par Phil Libin pour avoir réussi le difficile mariage entre un état d’esprit très entrepreneurial et la production de contenus de qualité premium répondant à une véritable attente.
Moins d’incubateurs, plus de « studios de création »
S’émanciper du modèle de la Silicon Valley et proposer d’autres façons de soutenir les start-ups, c’est aussi ce que cherchent à faire certains studios de création français venus témoigner à Futur.e.s de leur vision de l’innovation.
Quattrocento se présente par exemple comme un company builder, ou « fabrique d’entreprise », qui accompagne des scientifiques issus du milieu de la recherche dans les sciences du vivant. Avec un parti pris : porter à leur place le risque financier et opérationnel de leur projet et partager ensuite la valeur du produit avec eux.
Mathieu Grisolia, project manager chez Quattrocento, explique : le modèle d’innovation traditionnel entraîne l’entrepreneur dans « un cycle où on passe son temps à chercher de l’argent, à faire des tours de table pour démontrer la valeur de son idée ». Quattrocento cherche précisément à libérer les porteurs de projet de ces démarches longues et chronophages, en trouvant des financements en amont pour leur permettre de se recentrer sur ce qui compte vraiment : leur produit.
Autre caractéristique de ces modèles d’innovation alternatifs, leur volonté de s’émanciper du modèle de la Silicon Valley et sa surreprésentation d’hommes blancs vingtenaires diplômés de Stanford, pour favoriser les espaces ouverts, décloisonnés, qui confrontent les univers et cassent les silos.
C’est la vision défendue par Marialya Bestougeff, directrice de la 104factory, l’incubateur du Centquatre dédié aux industries culturelles et créatives. Selon elle, les nouveaux lieux d’innovation doivent avant tout permettre des rencontres et des échanges interdisciplinaires, entre artistes, chercheurs, philosophes, créer des ponts entre les métiers et s’ouvrir à l’international, pour devenir de véritables « laboratoires vivants ».
"Il faut favoriser la diversité et c'est ce qu'on fait au @104paris. L'invention, l'innovation vient du mélange : il faut démultiplier les structures d'accompagnement, et qu'elles aient toutes leur singularité" @MarialyaB #futuresparis
— Futur.e.s (@futuresfestival) 22 juin 2018
Autre modèle d’innovation alternatif, celui proposé par beta.gouv.fr, qui comme l’a malicieusement souligné son porte-parole Ishan Bhojwani, n’est ni un incubateur, ni un lieu dédié aux start-ups. Unique en son genre, beta.gouv.fr est une structure de la DINSIC qui accompagne la création de « start-ups d’Etat ». Le but : créer des services publics numériques nationaux répondant à des problèmes identifiés par des agents de l’Etat (conseillers de Pôle Emploi, agents de l’Education nationale…). Des projets sans visée économique, sélectionnés selon un seul critère : l’impact et l’utilité réelle du produit pour ses usagers.
Accompagnant aujourd’hui une soixantaine de start-ups, Beta.gouv.fr permet à des agents publics de devenir des intrapreneurs et organise leur accompagnement par des coachs, développeurs ou encore designers pour leur fournir un espace où ils peuvent innover en toute liberté, et surtout « faire un pas de côté par rapport à la bureaucratie et gérer leur agenda, leur budget, leurs ressources humaines ou encore leur communication sans passer par des cercles de validation interminables ».
Diversité des profils des entrepreneurs, focus sur le produit plutôt que sur le busines : les nouveaux modèles d’innovation amènent un vent de fraîcheur sur les start-ups et revendiquent un état d’esprit placé sous le signe de la bienveillance et du décloisonnement, selon les mots de Mathieu Grisolia. Avec, toujours, un objectif en tête : « déresponsabiliser l’innovation », pour ne plus chercher à tout prix à créer de la valeur, mais commencer par créer « des lieux où on peut simplement avoir des idées et les tester ». Un retour aux sources en somme.
Crédit image : Daria Nepriakhina on Unsplash