Info locale et hyperlocale : après l'engouement général, le temps du pragmatisme

Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de l'Innovation

Les médias d’info locale et hyperlocale ont fleuri partout sur le web ces dix dernières années, faisant souffler un vent de fraîcheur dans une industrie en proie à la morosité. Certains n’ont pas hésité à les considérer comme la planche de salut de la presse locale, alors frappée de plein fouet par le déclin de la presse papier.

Mais une décennie après la hype, que reste-t-il de ce nouveau pan de l’industrie médiatique ? La London School of Economics publie un rapport sur les défis et les perspectives de l’info hyperlocale, basé sur l’observation de l’industrie britannique : portrait d'une industrie pragmatique, consciente de la crise de son secteur, qui commence à se structurer et se professionnaliser. 

La structuration progressive d’une industrie

"Après l’engouement des débuts, les petits éditeurs indépendants de la presse numérique locale ont commencé à rencontrer des difficultés pour élargir leur audience. Mais ils semblent aujourd'hui être devenus partie intégrante d’un écosystème émergent qui ne peut plus être ignoré."

C’est en ces mots que la journaliste et chercheuse suédoise Carina Tenor, auteure du rapport, décrit l’état actuel de la presse en ligne locale. Si ce pan de l’industrie, encore à ses balbutiements il y a dix ans, est toujours là aujourd’hui malgré la concurrence féroce des géants du web, c’est d’abord parce qu’il a réussi à se forger une identité collective et à se structurer.

Une structuration qui s’est notamment opérée autour deux organes, le Centre du journalisme communautaire de l’université de Cardiff (C4CJ), né il y a six ans, et son Réseau de l’information communautaire indépendante (ICNN), lancé en janvier dernier et dédié aux nouveaux acteurs de l’info locale. En parvenant à rassembler 87 membres à travers le Royaume-Uni, l’ICNN permet aujourd’hui aux petits éditeurs d’info indépendants de parler d’une voix unifiée pour défendre leurs intérêts et nouer des partenariats avec d’autres médias.

Un succès dont sa directrice Emma Meese se félicite : "Un long chemin a été parcouru depuis le lancement du C4CJ il y a six ans. Même si l’écosystème est encore fragile, je le trouve beaucoup plus stable aujourd'hui qu’il y a quelques années. Nous avons aujourd'hui l’opportunité de réunir tous ces éditeurs qui font un travail admirable à l’échelle hyperlocale à travers le Royaume-Uni, pour parler d’une seule voix."

Parmi les nombreux dossiers sur lesquels le réseau planche, celui de l’accès à a carte de presse est particulièrement symbolique du combat de ces nouveaux acteurs pour être reconnus en tant que véritables médias. Car comme en France, la carte de presse britannique est délivrée à condition de tirer la majorité de ses revenus du journalisme... ce qui exclut de fait les éditeurs de sites communautaires qui le plus souvent ne vivent pas de cette activité. L’ICNN est donc en pleine négociation avec la National Union of Journalists, principal syndicat de journaliste du Royaume-Uni, pour faire évoluer les règles. Un combat que les acteurs de l’info locale numérique n’auraient certainement pas pu mener sans un organe représentatif comme l’ICNN qui endosse ce rôle de porte-parole.

Aksonsat Uanthoeng via Pexels

L'hyperlocal se professionnalise

Caerphilly Observer, site d’info locale gallois, est membre de l’ICNN. Son créateur Richard Gurner, interrogé dans le rapport, explique : "Le secteur est indéniablement monté en puissance, on observe un vrai phénomène de professionnalisation des éditeurs indépendants". Sans pour autant verser dans l’idéalisme : même si Caerphilly Observer est rentable, ce n’est pas le cas de toutes les publications, dont "beaucoup restent très fragiles". Lui-même avoue chercher à diversifier ses revenus pour échapper au duopole Google/Facebook, qui emporte tout sur son passage.

Un duopole qui s’intéresse justement à l’hyperlocal, avec d’un côté Facebook qui travaille au développement des groupes pour favoriser l’engagement des communautés d’intérêt ; et de l’autre Google, qui vient d’accorder une bourse de 250 000€ au C4CJ dans le cadre de son fonds DNI, pour développer son projet Value My News : une suite d’outils qui permettra aux médias d’info locale de vendre leurs contenus à d’autres éditeurs pour générer de nouveaux revenus.

Le Centre s’est félicité de cette nouvelle, expliquant : "C’est une véritable avancée pour la pérennité du secteur. Les nouvelles formes de financement fournies par cet outil vont donner un coup d’accélérateur bienvenu aux petits éditeurs indépendants du territoire britannique."

Preuve que le secteur se professionnalise, l’ICNN cherche aussi à devenir le représentant de l’industrie de l’info locale auprès des grands acteurs de la publicité. Le but : déployer des solutions de vente collective d’espace publicitaire aux annonceurs. Car comme l’explique Emma Meese, la directrice du réseau : "Les grosses agences de pub et les annonceurs ne veulent pas traiter avec un petit éditeur isolé dans son village au fin fond du Royaume-Uni. Mais si vous vous regroupez à 100, 150 ou 200 éditeurs, alors cela devient intéressant pour eux de toucher tous les recoins du pays."

 

Image de Une : Lora Ohanessian via Unsplash