Par Leora Kornfeld, consultante en médias et en technologie. Billet invité présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre la plateforme FMC Veille du Fonds des Médias du Canada (FMC) et Méta-Media. © [2018] Tous droits réservés.
Véritable artisan de la démocratisation de la création, YouTube a permis à de nombreux vidéastes de s'affranchir des barrières à l'entrée de la télévision et du cinéma pour diffuser leurs œuvres.
Pour autant, le web n'est pas le Far West juridique que l'on croit : des droits de diffusion numériques aux droits d'auteur, il y a des choses à savoir avant de publier une vidéo en ligne. Au Canada, le festival Hot Docs a réuni un panel d'experts pour discuter de cette épineuse question.
Il ne fait aucun doute que nous traversons une période extraordinaire en ce qui concerne la production médiatique. Il est possible d’utiliser un téléphone pour filmer des courts et longs métrages, des célébrités peuvent être créées à partir de rien sur les médias sociaux et les plateformes vidéo ainsi que les créateurs n’ont plus qu’à appuyer sur un bouton pour rendre leurs œuvres accessibles à la planète entière.
En effet, le Web offre de nombreux moyens de contourner les médias traditionnels et, bien qu’il soit réputé pour être erratique, voire carrément anarchique, lorsqu’il est entre autres question de droit d’auteur ou de monétisation, l’écosystème du Web a considérablement gagné en maturité au cours des dernières années. Cependant, comme c’est le cas d’ailleurs pour tout nouveau système, il y a moult pièges à éviter et de nombreux acronymes à connaître. Ceux qui nous intéressent ici sont VSDFP (vidéo sur demande financée par la publicité), VSDA (vidéo sur demande par abonnement) et VSDT (vidéo sur demande transactionnelle).
De telles nouvelles perspectives en matière de production, de distribution et de monétisation d’œuvres numériques ont été discutées à l’occasion du Festival Hot Docs qui s'est tenu récemment à Toronto. Modéré par Emilia Zboralska de la zone transmédia de l’Université Ryerson, le panel a réuni l’expérience et l’expertise de Reuven Ashtar, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et gestionnaire de YouTubeurs, d’Alex Hryniewicz, du studio de production et de distribution Little Dot Studios spécialisé dans les plateformes en ligne et ayant des bureaux à Londres et à Los Angeles, ainsi que de Mark Swierszcz, gestionnaire des installations de production YouTube Space à Toronto.
Connaissez vos droits (numériques)
Il arrive que l’on pense aux droits numériques après coup et, selon Alex Hryniewiczas, c’est un problème pour les producteurs et les distributeurs à la fois.
« Nous trouvons que certains droits ont été carrément cédés en échange de rien, dans le cadre d’un lot, et ce, même s’ils ne sont pas utilisés. C’est une source de frustration. Comme cinéaste, vos droits vous sont précieux. Vous devez vraiment choisir soigneusement les droits que vous cédez […] Si vous avez une certaine connaissance des droits associés à la VSDFP et à la VSDA ainsi que de la non-exclusivité, par exemple, ça peut vous être fort utile au moment de négocier une cession de droits. »
Une autre question ayant fait l’objet de discussions est celle de la mise en ligne de contenu et l’incidence que cette pratique peut avoir sur les stratégies adoptées par des festivals. Les droits en ligne font parfois partie des arrangements pris avec un festival. Le cas échéant, les films ou les clips sont accessibles par un lecteur intégré au site du festival. Même si le lien est protégé par un mot de passe, les droits risquent de subir des contrecoups en aval.
Reuven Ashtar, avocat spécialisé en propriété intellectuelle et gestionnaire de YouTubeurs, a résumé la situation en quatre mots : « L’ambiguïté est votre ennemi. » On ne soulignera jamais assez l’importance de mettre les choses sur papier.
« Si les droits sont cédés au Canada seulement, faites-en mention dans le contrat. Si un joueur comme Netflix invoque une “entente standard”, ne lésinez pas sur les conseils juridiques. Et rappelez-vous que tout le monde ne possède pas une expertise en matière de droits numériques. »
De nouvelles avenues pour les courts et longs métrages
Les producteurs de courts métrages se voient aussi offrir de nouvelles possibilités en ligne, car le format court s’est avéré historiquement difficile à présenter à l’extérieur du circuit des festivals. Sur Internet, il n’y a ni horaires fixes ni restrictions de formats. Donc, n’importe quoi – d’un film de 5 secondes à un long métrage – peut être présenté.
Cela étant dit, Hryniewicz de Little Dot Studio met en garde les producteurs et les réalisateurs de courts. Ils doivent gérer leurs attentes par rapport à leurs œuvres, particulièrement en ce qui concerne la monétisation :
« Un court métrage est davantage une carte de visite vous permettant de démontrer que vous êtes capable de créer une œuvre cohérente d’une durée de, disons, 10 minutes. Et, une fois que vous avez fait cette démonstration, vous pouvez ensuite bâtir la confiance en produisant des œuvres d’une durée de 30, 60 ou 90 minutes. Vimeo, par exemple, possède un énorme cachet au sein de la communauté des cinéastes. »
Sans surprise, Mark Swierszcz, qui gère le YouTube Space de Toronto, soutient que la mise en ligne de contenu sur YouTube est une façon de faire la promotion de son travail sans devoir attendre le feu vert de quiconque tout en ayant la souplesse de faire de la monétisation publicitaire ou pas. Tout est laissé à la discrétion du créateur.
Little Dot Studios offre des options VSDA et VSDFP à ses clients. Il est possible de s’abonner à son application Real Stories pour 5$ par mois et le studio exploite aussi la chaîne Real Stories sur YouTube, où il compte près de 1,5 million d’abonnés et où ses documentaires sélectionnés de partout dans le monde ont été visionnés à plus de 335 millions de reprises. La chaîne accueille entre 600 000 et 1 million de vues par jour et partage ses revenus publicitaires avec les cinéastes. L’an passé, l’entreprise a versé 3,5 millions de dollars américains à des cinéastes, en hausse de 200% par rapport à 2016.
L’avenir de la vidéo en ligne
Swierszcz de YouTube a souligné que la vidéo en ligne est de plus en plus visionnée à l’aide de clés et de boîtes de diffusion en continu et qu’il en résulte une nouvelle forme de consommation « décontractée » sur YouTube à la maison. En même temps, 50% des visionnages sur YouTube sont faits à partir d’un appareil mobile. Par conséquent, la plateforme répond aux besoins de celles et ceux qui recherchent à la fois des courts métrages et des longs métrages.
Lorsqu’il est question de composer avec des problèmes de droit d’auteur et de piratage sur la plateforme, Swierszcz a qualifié le système Content ID de YouTube – qui permet le repérage et le signalement de matériel faisant l’objet d’un droit d’auteur, puis permet aux propriétaires des contenus signalés de décider s’ils veulent bloquer, surveiller ou monétiser les contenus republiés – « d’une des plus grandes innovations numériques au même titre que le GPS ».
Cependant, Content ID n’est pas infaillible. Après tout, le système doit traiter quelque 450 heures de contenu vidéo mises en ligne sur le site chaque minute, alors il est compréhensible qu’il se trompe parfois.
Selon Swierszcz, YouTube investit massivement dans Content ID et, par conséquent, le système ne pourra que continuer d’être amélioré. Par exemple, des fonctionnalités permettent déjà la sous-cession de droits liés aux photos et aux clips audio présentés dans des vidéos. Aussi, les paiements aux détenteurs de droits peuvent être faits automatiquement.
Quant à l’avenir de la production et la distribution d’œuvres numériques, Ashtar anticipe aussi des options développées à l’extérieur de la gigantesque plateforme vidéo de Google.
« Facebook deviendra un joueur plus important dans le segment de la vidéo. Et n’oublions pas Snapchat, qui mandate désormais la production de contenu original. Enfin, Twitter génère aujourd’hui la moitié de ses revenus de la vidéo. »