Par Mickaël Mavoungou-Nombo et Barbara Chazelle, France Télévisions, Media Lab
Des hors-la-loi sévissent sur les réseaux sociaux. Pas de panique, ils sont inoffensifs. Bien que cela leur soit interdit, les moins de 13 ans sont de plus en plus nombreux à s’y inscrire, en mentant sur leur âge, tout simplement. L'agence Heaven, en partenariat avec l’Association Génération Numérique, vient de sortir la 3e édition de son baromètre* Born Social, une enquête organisée à la rentrée des classes pour analyser l’usage des réseaux sociaux par ces clandestins du web.
(Pour se remettre dans le bain, notre résumé de la 2e édition est disponible ici)
6h10 passées en ligne chaque semaine pour les 7-12 ans
Le smartphone est l’équipement multifonction incontournable pour les ados cherchant l’autonomie, la socialisation, et le divertissement. Mais c’est la tablette familiale qui sert de premier terminal pour s’inscrire sur les réseaux sociaux.
54,1% des enfants sont inscrits aux réseaux sociaux dès la 6e. Ce chiffre atteint 71,5% en 5e.
La consommation internet des 7-12 ans est en hausse depuis 2015. Ils ont passé en moyenne 6H10 en ligne chaque semaine en 2017. Soit une augmentation de 45 minutes entre 2015 et 2017, malgré une vigilance accrue des parents dont 79% qui ont des enfants de 6 à 12 ans déclarent limiter le temps passé devant un écran.
L’agence rappelle que si “la TV reste majoritaire en temps passé, cette durée baisse sensiblement : moins 9 minutes par jour pour les 4 à 14 ans entre 2017 et 2018.”
56% utilisent les réseaux sociaux pour regarder de la vidéo
Pour les pré-ados, les réseaux sociaux sont des outils de communication avec leurs proches avant tout. 75% d’entre eux déclarent utiliser les réseaux sociaux pour discuter avec leurs amis et leur famille. Par exemple, cela leur permet de se tenir au courant entre camarades de classes si un professeur est absent, ils s’envoient les devoirs à faire etc.
56% des élèves de 5e sondés font usage des réseaux sociaux pour regarder des vidéos, 40% pour partager des photos et des vidéos, 27% pour suivre des célébrités. La volonté de s’informer est faible : seuls 13% s’y informent sur l’actualité et 4% partagent des liens et des articles.
Les 7-12 ans présents sur de plus en plus d’applications sociales et multiplient ainsi leurs contacts
Ce qui est d’autant plus impressionnant c’est le nombre d’applications qu’ils utilisent qui ne cesse d’augmenter : les élèves de 5e sont inscrits en moyenne à 3,9 plateformes sociales en 2018. Près de 10% sont inscrits sur 6 réseaux.
On note également que chez les moins de 13 ans, les filles sont plus proactives que leurs camarades masculins : 58% d’entre elles sont sur les réseaux sociaux contre 50% chez les garçons, ce qui témoigne pour ces élèves de 6e, “d’un plus grand intérêt des filles pour les outils de socialisation” selon Heaven. La différence tend à s’estomper durant les années collège mais reste sensible : en 3en 88% des garçons sont inscrits contre 93% des filles.
Les réseaux sociaux leur permettent de multiplier leurs contacts, bien au delà de la classe dans laquelle ils évoluent : 53% des élèves de 5e interrogés affirment avoir entre 50 et 400 contacts dans le réseau qu’ils utilisent le plus. Les “super-sociaux”, ceux qui comptent entr 400 et plus de 1000 contacts, représentent 11% des élèves de 5e. Des influenceurs en herbe !
Snapchat et Instagram toujours en tête, TikTok et WhatsApp détrônent Facebook
- Snapchat : première messagerie dès l'école élémentaire
Dans le monde des moins de 13 ans, le boss des réseaux sociaux c’est de loin Snapchat. 85,3% déclarent être présents sur l’application, soit une augmentation de 8,6 points par rapport à 2017. C’est la plateforme de prédilection des jeunes pour discuter, s’envoyer des photos des vidéos et ainsi la première messagerie à l’école élémentaire.
Parmi les avantages cités, le caractère éphémère des publications reste valorisé. Diverses fonctionnalités (lenses, bitmoji, flammes…) favorisent le jeu et l’engagement entre amis. La diffusion de “fichas”, snaps compromettants envoyés à un ami pour tester sa loyauté, reste une pratique courante. Les “fichas” sont ressortis par tous les amis à l’occasion d’un anniversaire par exemple. Les pré-ados ne trouvent pas un grand intérêt pour les médias présents dans Discover mais apprécient les contenus d’influenceurs de la télé réalité. Enfin, l’absence des parents sur la plateforme reste un avantage.
- Instagram : un riche complément de YouTube
Instagram connaît aussi un franc succès chez les moins de 13 ans : 66,7% sont présents sur l’application. Car comme pour Snapchat, c’est une plateforme qui s’appuie d’abord sur le visuel. Le format Stories rencontre un grand succès et, chose étonnante, l’édition des stories est parfois préférée sur Instagram à cause du plus grand nombre de filtres proposés, entre autre. Le réseau social est lui aussi encore peu utilisée par les parents ce qui procure un sentiment de liberté mais dans le doute, les pré-ados font usage de la messagerie privée.
Enfin, la richesse et le nombre en augmentation de contenus diffusés sur Instagram augmentent le temps passé sur l’application, notamment la possibilité de suivre des contenus liés à ses passions grâce aux hashtags qui trient les contenus par thématique. L’application est aussi utilisée comme complément à Youtube pour trouver des contenus complémentaires publiés par leurs influenceurs préférés.
- Facebook : le réseau des vieux
Tandis que Snapchat et Instagram ont obtenu les félicitations du jury, Facebook voit ses résultats régressés sévèrement. Le réseau social qui compte le plus d’utilisateurs à travers le monde, ne fédère que 28,7% d’inscrits chez les moins de 13 ans et perd 18,9 points en un an. Entre 2016 et 2018, le taux d’inscrits en 6e a été diminué par 2. Les seuls avantages de la plateforme de Mark Zukerberg sont les jeux sur Messenger et l’inscription aux sites qui facilitée par Facebook Connect.
Facebook, considéré comme étant démodé et ringard chez les plus jeunes, passe de la 3ème à la 5ème place, dépassé par l’application de playback TikTok et la messagerie instantanée WhatsApp. Heaven rappelle que la désertion de Facebook est un “phénomène globalisé” : aux Etats-Unis, on a pu observé une baisse de 20 points d’usage entre 2015 et 2018 chez les 13-17 ans. “Aujourd’hui, ce sont les parents qui incitent leurs enfants à s’inscrire à Facebook” ! selon l’agence.
- Twitter : en passe de disparaître complètement des radars
Twitter aussi connaît une importante diminution de l’usage chez les moins de 13 ans. 12,8 points perdus par le réseau social pour les élèves de 5ème. Certains ne connaissent même pas Twitter. Il y a un désintérêt de la majorité des pré-ados et pour ceux qui y sont, ils recherchent avant tout la possibilité de suivre des célébrités et leurs youtubers préférés. Twitter reste également largement associé à l’humour, aux traits d’esprit.
- TikTok, l'app de l'année
La croissance de l’année est pour l’application TikTok, qui connaît une croissance de 12,6 points chez les 5e entre 2017 et 2018 ! Anciennement connue sous le nom “Musical.ly” avant son rachat par la firme chinoise ByteDance pour 1 milliard de dollars, l’application de playback compte 500 millions d’utilisateurs dans le monde, principalement en Asie. En France, le chiffre de 2,5 millions d’abonnés a été revendiqué par TikTok. C’est une application très largement féminine avec 62% des filles en 5e déclarent être inscrites.
La dimension “sociale” des plateformes vue comme un point de faiblesse. Les plateformes réagissent.
Les pré-ados sondés affirment vouloir rester sur les réseaux (surtout sur Instagram), mais les réseaux sociaux sont surtout perçus comme une “commodité de communication” : les contenus ne sont pas si essentiels et les jeunes n’hésitent pas à archiver ou supprimer des publications, voire à rebooter leurs comptes.
2018 a été une année de bascule dans la perception des réseaux sociaux avec une prise de conscience accrue quant au temps qui leur est consacré. Les moins de 13 ans ont par ailleurs une meilleure connaissance des possibilités de ciblage à disposition des réseaux sociaux. 28,25% d’entre eux savent que les réseaux sociaux n’ont pas le droit de collecter leurs données (ce sujet a été beaucoup discuté avec la RGPD). Mais une question subsiste : comment ces obligations peuvent-elles être respectées pour des enfants dont la présence sur les réseaux sociaux est interdite ? Des procédures légales ont été lancées, des sites ont été fermés et on assiste à un renforcement international des législations sur le sujet avec la COPPA aux Etats-Unis et en Chine.
Entre le RGPD, les nombreuses études publiées sur l’impact des écrans sur les plus jeunes et les récents scandales liés à la collecte abusives de données personnelles, les géants de la tech ont tenté d’apporter un début de réponse. Les plateformes affichent leur volonté de permettre une meilleure maîtrise de son temps et que celui-ci soit "intentionnel, positif et inspirant".
Parmi les initiatives visant à protéger les plus jeunes, on retiendra :
- Messenger Kids (Facebook), disponible en français canadien depuis juin 2018. Les activités sont variées : messages vidéo, des textes, des filtres 3D… Les contacts sont approuvés par les parents. Il n’y a pas de publicités ni de données collectées.
- l'amélioration de Youtube Kids en proposant 2 versions de l’application “younger” et “older”. Les parents ont la possibilité de sélectionner les chaînes diffusées et 150.000 vidéos dérangeantes ou non pertinentes ont été supprimées.
- Avec iOS 12, Apple permet aux parents de suivre et limiter le temps d’usage du smartphone de leurs enfants. Les parents peuvent également modérer des contenus et sélectionner des applications.
Dans la même logique, Facebook et Instagram proposent les mêmes fonctionnalités de gestion du temps depuis août 2018. - Amazon propose une version d’Alexa pour les enfants depuis mai 2018 avec des contenus spécifiques et un tableaux de bord pour les parents. Dans cette version kids, l’usage de la politesse est stimulée.
- Certains réseaux sociaux appliquent la vérification de l’identité pour limiter des droits d’accès : Tencent (jeux en ligne) doit intégrer un système de vérification de l’âge réel des joueurs pour imposer des restrictions de temps aux joueurs et Yubo impose une vérification d’identité lorsque l’utilisateur veut changer sa date de naissance. WhatsApp a carrément décidé de faire passer l’âge légal de l’inscription à son application à 16 ans.
Le rapport aux marques : le placement de produit par les YouTubers bien mieux assimilé que les pubs traditionnelles
Comme l’année dernière, les marques de luxe sont souvent citées parmi celles qui sont le plus suivies par les moins de 13 ans. Il est plus facile d’aller sur le compte Instagram d’une marque plutôt que d’aller sur son site internet. Les pré-ados auraient une “attirance pour les produits qu’ils ne voient pas dans la cour de récréation.”
Ces jeunes ont une bonne connaissance des placements de produits qui sont très visibles via les youtubers. C’est un type de publicité qui est beaucoup plus facile à identifier que certains formats plus traditionnels tels que les liens sponsorisés ou même les posts sponsorisés de marques. Conséquences : l’usage en hausse des adblocks. 17% des élèves de 5e déclarent en avoir déjà utilisé un.
*sondage réalisé sur 16 578 élèves de classe de 6e et 5e