Cet article est tiré d’un billet originellement publié sur media-innovation.news. Il est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre WAN-IFRA et Méta-Media. © [2018] Tous droits réservés.
Cinq questions à Clemens Prerovsky, CDO de l’APA-medialab, sur les projets en cours, les leçons apprises et les bonnes pratiques.
L'APA-MediaLab est le lab de l'Austria Presse Agentur, l'agence de presse autrichienne. Lancé en janvier 2017, il a pour but d'améliorer la mise sur le marché des produits de l’agence et de dépasser les silos existants dans l'entreprise en matière d'innovation. Entre temps, le directeur du lab est parti créer une entreprise avec son frère, et Clemens Prerovsky a pris le relais.
1Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Nous avons beaucoup de choses sur le feu et nous travaillons en ce moment sur un projet très ludique. Quand nous participons à des événements, on nous demande souvent des démonstrations. Nous nous sommes donc mis à travailler sur une application qui utilise la reconnaissance faciale et interprète les émotions en utilisant un logiciel en open source. L'application génère ensuite automatiquement un message que vous pouvez publier sur les réseaux sociaux. En d'autres mots, elle vous permet d'écrire un post avec votre visage.
Mais ce n'est pas uniquement le côté ludique du produit qui nous intéresse, il y aussi de vrais objectifs derrière. L'application intègre des technologies que nous pourrions exploiter dans le futur, comme la reconnaissance des émotions, la détection des visages, la génération automatique de texte et l'intelligence artificielle. C’est vers cela que nous nous dirigeons.
En mai, nous avons lancé notre premier projet d'apprentissage automatique : il classe les contenus d'info pour permettre aux clients de gérer quels sont les articles qui leur sont envoyés chaque jours. Pour l'instant, on a encore quelqu'un qui lit 300 articles chaque matin pour faire une sélection - l'idée est d'automatiser cette tâche à terme. Je suis convaincu que l'on peut y arriver. En tant qu'agence de presse, nous avons des années et des années de données que nous pouvons utiliser pour former un réseau de neurones à cette fin.
2Qu'est-ce qui a changé depuis la création du lab en janvier 2017 ?
Quelque chose va probablement changer très bientôt : la façon dont nous établissons la feuille de route pour le lab. Jusqu'à présent, tout le monde peut prendre rendez-vous avec nous et nous nous efforçons de traiter équitablement toutes les idées émanant des différentes branches de l’entreprise, en collectant les demandes pour établir une feuille de route. C'est un processus assez compliqué et les propositions sont trop souvent axées sur le court terme.
J'aimerais que cela change radicalement, et que ce soit le lab qui fournisse les sujets de la feuille de route. Nous avons aussi une activité de recherche et de veille sur les tendances et, pour le moment, ce volet est quelque peu absent de notre feuille de route - exception faite de l’IA. Je voudrais donc que l'on se tourne davantage vers l'avenir, que l'on décide où l'entreprise veut être dans quelques années et que l'on travaille ensuite ensemble dans ce sens.
3Quelle est la leçon principale que vous avez tirée de cette expérience ?
Une des grandes leçons que nous avons apprises, c'est que la participation à un Design Sprint pendant une semaine est perçue comme un véritable engagement. Cela se comprend, parce que vous abandonnez totalement vos missions habituelles pendant une semaine. Mais personne ne semble se rendre compte qu'il aurait autrement fallu six mois pour développer le même projet.
L'autre chose, c’est que les Design Sprint organisés par Google impliquent des tests le vendredi, ce qui est compliqué en Autriche. Ici, les gens essaient généralement de tout faire le vendredi matin pour pouvoir partir tôt. Ce qui signifie moins de disponibilité pour faire des tests avec nous.
C'est pourquoi nous avons modifié le sprint. Nous l'avons allongé pour que les développeurs puissent continuer à coder le vendredi et que nous fassions les tests utilisateur la semaine suivante. Cela fonctionne très bien et permet aux développeurs d'avoir plus de temps pour faire leur travail.
Nous avons également essayé un sprint très court une fois, qui n'a duré que deux jours et demi. Le propriétaire était très heureux du résultat, mais pas moi : je trouvais les idées trop similaires, comme alignées les unes sur les autres, parce que nous n'avions pas effectué la phase de contribution créative au début. Cela ne suffisait pas. D'ailleurs, on a terminé avec sept croquis qui représentaient plus ou moins le même produit.
4Quel a été votre « meilleur échec » ?
Il y a quelques mois, nous avons fait un sprint sur les supports vocaux pour trouver de nouvelles façons d'utiliser la voix dans les médias. Pour l'instant, la seule chose que vous puissiez vraiment faire est de demander les infos à Alexa. Vous recevez une mise à jour qu'elle lit, et c'est la même chose matin et soir. Nous avons donc voulu trouver de nouvelles idées d'usages de la voix pour les médias.
Tout allait très bien et on avait fait coïncider le lancement du sprint avec l'arrivée de Google Home en Allemagne, pour être équipés et préparés. Mais nous nous sommes vite aperçus que même si Google Home fonctionne en allemand, il n'a pas d'API allemande : on ne pouvait donc rien faire avec, personne ne pouvait développer une application en allemand. C'était un échec.
Nous avons décidé d’utiliser Alexa comme alternative, mais ses capacités de reconnaissance vocale sont encore assez médiocres. Cela ne nous a pas découragés pour autant : nous avons fini par utiliser les capacités de reconnaissance vocale de son système. Elles ne sont pas aussi performantes, mais au moins elles étaient disponibles, et ce gratuitement.
Et nous avons pris beaucoup de plaisir, même si Alexa n’arrêtait pas d’échouer ! La méthode du sprint a ceci de positif qu'elle vous permet de vous adapter à la situation, même quand rien ne fonctionne. Plutôt que de rester bloqués sur le Google Home, nous sommes parvenus à contourner le problème pour mener à bien le sprint.
5Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui cherche à démarrer un lab d'innovation dans les médias ?
Tenez-vous en à la méthode et suivez les règles, au moins au début. Tout peut s'effondrer assez rapidement, mais je vois souvent des gens qui commencent à changer de méthode avant même d'avoir essayé de la suivre correctement, au moins une fois, pour voir comment cela fonctionne.
Ce fut l'une des premières choses que j'ai voulu essayer quand je suis arrivé à la tête de l'APA-medialab : suivre les règles. Même si nous avons joué avec les durées des projets, je n'aime pas trop changer de méthode. Les méthodes agiles sont si concentrées que supprimer une tâche revient à éluder toute une partie du processus. C'est comme conduire une voiture à trois roues.
Ce que vous pouvez faire, c’est prendre des parties de la méthode pour les utiliser dans différents contextes. Chaque pièce est là pour résoudre un problème spécifique, au sein d’une étape spécifique d’idéation. Donc bien sûr, vous pouvez les réutiliser dans d'autres situations.
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