Par Jérôme Cathala, Directeur des affaires internationales, Secrétaire général adjoint
Il n’y a pas que les tweets incendiaires de Donald Trump ou, en France, les propos insultants de certains politiciens : c’est bien la confiance des publics dans les journalistes professionnels et les médias traditionnels qui s’érode gravement. Le constat est connu : le fossé s’élargit, et il faut trouver les moyens d’en comprendre les raisons et de le combler. Mais comment ? se sont demandés il y a quelques jours plus de 600 journalistes venus à Edimbourg pour l’édition 2018 de NewsXchange.
Le patron de la BBC Tony Hall a proposé ses réponses –ou plutôt sa réponse: remettre le public au centre de nos réflexions.
BBC News : "nous n’avons rien à vendre mais un service à rendre"
Dans un monde interconnecté et compliqué, plus agressif aussi, le rôle du journalisme de service public est majeur, plus important que jamais, a-t-il rappelé. « Nous n’avons rien à vendre mais un service à rendre » dit Tony Hall, qui propose une façon de faire de l’info plus horizontale : « it’s not broadcast to anymore but broadcast with ». Pour le broadcaster britannique public, la feuille de route dressée par Tony Hall –ancien directeur de BBC News- tient en 5 points :
- Traquer les « fake news » ou plutôt la désinformation, insiste Tony Hall qui souhaite nommer les choses : « nous devons être capables de dire ce qui est vrai ou non dans le flux des infos. »
- Expliquer : l’explication des faits est une notion-clé. Pourquoi cela est-il advenu ? Quel est le contexte ? « Expliquer l’info est aussi important que donner l’info ».
- Analyser, notamment grâce aux données (datas). Puis, mettre les données à disposition du public grâce aux data-journalistes et aux moyens de les mettre en images, de les rendre accessibles.
- Spécialiser: seule la spécialisation des journalistes leur permet de maîtriser leurs sujets, d’en comprendre les tenants et les aboutissants, et ainsi d’apporter une valeur-ajoutée à l’info.
- Attirer, pour être proches des publics. Le DG de la BBC insiste sur le renouvellement des rédactions, sur les profils souvent trop identiques des journalistes : « nous devons avoir dans nos rédactions les meilleurs talents de toutes origines. Notre organisation doit ressembler à notre public ! »
Back to basics !
L’ancien journaliste Tony Hall affirme ainsi l’utilité de, sans cesse, revenir aux sources du métier.
Et le président de CBS News, également présent au NewsXchange 2018, n’a pas dit autre chose : « arrêtons, dit-il par exemple aux journalistes américains, de suivre les polémiques lancées par le président Trump. Quand il met en scène lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche une algarade avec le correspondant de CNN Jim Acosta, puis lui fait retirer son accréditation, il fait cela pour plaire à son public, à ses électeurs qui détestent les journalistes. En rajouter signifie rentrer dans son jeu. »
Le représentant de CNN acquiesce. Les journalistes doivent rester neutres et impartiaux lancent d’une même voix CBS et CNN. Restons pros ! car en ces temps de polarisation des débats, avec les désintermédiations de type Twitter qui permettent à chacun de s’exprimer sans filtre et sans médiateur, et ainsi de donner un avis mais pas une information, le public a plus besoin que jamais de journalisme professionnel.
Quant à se rapprocher de son public en lui ressemblant, deuxième point majeur pour le DG de la BBC Tony Hall, les médias du monde entier ont ce même souci. Et les expériences sont très diverses.
Fossé de génération
Concurrent de la BBC en Grande-Gretagne, Sky News a compris comme d’autres qu’ils avaient un problème de fossé de génération : le public jeune ne se retrouve pas dans les informations diffusées par le groupe privé. Pour tenter d’y remédier, Sky a choisi de former lui-même des apprentis-journalistes sans diplômes ni expériences, mais issus des quartiers populaires. La jeune Kumba Kpakima, apprentie à Sky news, est venue au NewsXchange expliquer, images à l’appui, comment elle a réussi à faire un reportage à Brixton –son quartier d’origine- avec des dealers.
« Sky n’en revenait pas, dit-elle en substance, mais moi, je les connais ! » Cette démarche « communautaire », très anglo-saxonne, n’est sans doute pas dupliquable partout.
La YLE (télévision publique finlandaise) a détecté le même désintérêt du public jeune, et mène une expérience éditoriale proche de ce que Radio Canada a fait avec RAD. Elle a lancé une offre numérique pour les jeunes appelée KIOSKI et réalisée uniquement par les jeunes journalistes qui disposent d’un espace à part de la rédaction classique. En fait, tout le monde essaie de s’adapter, même les « nouveaux médias ». Instagram, à l’écoute de son milliard d’abonnés, a lancé il y a 4 mois Instagram TV qui veut présenter des vidéos plus longues et plus didactiques.
Vieux broadcasters ou médias numériques, chacun remet donc au goût du jour la vieille formule journalistique « écrire pour son public ». La grande télévision japonaise NHK aussi. Mais elle essaie, elle, de combler un fossé générationnel assez différent des autres. Le problème japonais est celui du vieillissement de sa population. Les plus âgés, qui par ailleurs habitent majoritairement à l’extérieur des centres urbains, ne se retrouvent pas toujours dans les informations ou les programmes habituels.
La NHK a donc créé une équipe de journalistes pour s’adresser spécifiquement aux séniors et produire des sujets proches de leurs préoccupations…