Par Clara Schmelck, journaliste, philosophe, spécialiste des nouveaux médias. Billet invité
Snapchat, Instagram, Facebook, LinkedIn : la « Story » est à la mode. Davantage qu’un format repris par toutes les plateformes sociales et de plus en plus privilégié par les médias d’information et de divertissement, il faut y voir un nouveau moment du journalisme.
Révolution de l’espace temps
Les journalistes avaient l’habitude de relater l’actualité sur un espace pré-configuré : ils occupaient ainsi du temps d’antenne sur une chaîne de télévision ou à une radio, ou remplissaient les pages d’un journal. A présent, ils produisent et diffusent l’information dans une pluralité de formats et pour de multiples supports dont le propre est de constituer un espace infini : un site internet, une application, un réseau social, un podcast. Les journalistes prennent ainsi en compte l’espace où ils racontent l’actualité et non plus seulement le temps de l’actualité. Le but est de raconter des histoires qui puissent prendre place exactement là où les gens racontent leurs propres histoires.
Aller chercher sa cible là où elle est au moment où elle y est permet davantage qu’un rapprochement avec le « consommateur » d’information : cela inscrit l’information dans le même espace/temps que sa vie personnelle. Par voie de conséquence, il y a plus de probabilité qu’il se sente concerné par des événements auxquels il n’aurait pas prêté attention entre les lignes d’un journal et qu’il soit tenté de rechercher un complément en allant sur les sites ou les chaînes des médias.
Ni temps long, ni format snakable
C’est dans ce contexte qu’un nouveau terrain d’expression de l’information est apparu : la « story ». Ni direct, ni récit au passé, ce que suggère pourtant le mot « story » (histoire), ce mode inédit d’expression crée une immédiateté qui n’est pas nécessairement du direct et qui a souvent fait l’objet d’une préparation préalable. En d’autres termes, la Story sort de l’alternative temps long/format snakable (à picorer).
Premier à lancer le format en 2013, Snapchat revendique 13 millions d’utilisateurs quotidiens en France, dont 80% qui déclarent avoir plus de 18 ans. Ils y reviennent en moyenne 20 fois par jour, pour un total de 30 minutes d’utilisation.
En complément des « stories », Snapchat propose depuis novembre des « shows », filmés en format vertical, adaptés à un smartphone. Ils ont aussi été lancés en France, en Grande-Bretagne, en Irlande et en Norvège. L’objectif de ce format est de retenir les utilisateurs plus longtemps sur la plateforme. L’accent est mis sur des formats d’actualité de 3 à 7 minutes et des programmes de fiction pourraient venir plus tard.
Au delà du format, un mode de vivre le journalisme
La « Story » ne se réduit pas à un format. Il faut y voir une logique qui s’éprouve aussi à échelle des rédactions. Autrement dit, les journalistes fabriquent leurs « stories » en fabriquant leur propre « story » : de plus en plus, ils vont être amenés à élaborer l’information en interagissant sur les espaces conversationnels numériques avec leur communauté de lecteurs pendant les différentes étapes de leur enquête.
Ces espaces conversationnels sont les comptes Twitter des médias et des journalistes, les pages Facebook des médias, les groupes Facebook et les messageries privées. Il y a aussi des platefomes de curation de contenus comme Slack, qui permettent une mise en commun des idées et des informations entre membres d’une rédaction mais aussi entre membres d’une rédaction et internautes qui souhaitent prendre intérêt à un travail d’enquête. Les membres de la communauté ont la possibilité d’inciter un journaliste à orienter l’enquête dans des directions auxquelles il n’avait pas pensé, ou encore apporter des éléments d’information qu’il sera chargé de vérifier. La mission du journaliste du futur ne se réduit donc plus à la production de contenus dans une logique verticale up to bottom (de haut en bas). Elle intègre une composante de dialogue avec une communauté.
Damien Van Achter, journaliste, enseignant et fondateur de l’incubateur Pilot, estime que le journalisme doit changer structurellement, au -delà d’une production de contenus plus qualitatifs et d’une diversification de l’offre de la part des médias. Une information originale doit nécessairement être conçue dans une logique horizontale, par des rédactions ouvertes, en interaction avec leur communauté :
« Plus je documente un processus auprès de ma communauté dans le cadre de la réalisation d’une enquête, par exemple, plus on m’accorde de la confiance, plus je me sens impliqué dans la construction de sens, et mieux mon enquête circule. La communauté sert d’aiguillon. C’est un levier génial quand on enquête, parce qu’on se sait, et on se sent empowéré au service de la communauté dans laquelle on se met ! »