Les 10-13 ans passent près de 15 heures en ligne par semaine. Voici ce qu'ils y font.

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Media Lab et Prospective

Pour s'inscrire sur les réseaux sociaux, il faut avoir 13 ans. Et 15 ans pour se passer du consentement parental selon les règles du RGPD. Mais ce n'est un secret pour personne que les pré-ados mentent sur leur âge pour accéder aux plateformes en ligne. Cette pratique les rendant invisibles, l'agence Heaven, en partenariat avec l’Association Génération Numérique*, interroge chaque année les 10-13 ans pour comprendre leurs comportements en ligne. Dans sa 4e édition de son baromètre* Born Social paru aujourd'hui, on apprend que si Snapchat et YouTube restent les chouchous des pré-ados, les plateformes de messagerie en lien avec les jeux en ligne font cette année une percée remarquable.

14h53 passées en ligne par semaine 

Selon les données de Data Gouv, 84% des enfants de 12 ans disposeraient d’un smartphone qui constitue leur moyen de connexion privilégié.

Ils passent 14h53 par semaine sur Internet, soit plus de 2h par jour, une consommation semblable au Royaume-Uni où les 8-11 ans sont connectés 13h35 par semaine (+23% entre 2014 et 2018) selon le Kids Digital Media Reports de PWC 2019

Mais que les parents ne s’avisent pas de leur faire la leçon, car ils sont d’après leur progéniture de bien mauvais exemples : 39% des adolescents pensent que leurs parents passent trop de temps sur leur mobile.

L’écran de télévision fait toujours partie du paysage dans le foyer, mais est « clairement relégué derrière le smartphone ». Jimmy, interrogé par Heaven dans le cadre de l’étude, admet qu’« à la maison, on n'a plus forcément de chaînes, on a des applications pour regarder films ou séries ».

Émergence de pré-ados ultra-connectés

« Le processus d’accès aux réseaux sociaux est progressif et s’effectue de façon bien plus précoce que les âges induits par la RGPD ne le prévoit (...) Être inscrit sur les réseaux sociaux est banal dès la 6e », explique l'agence. Les 10-11 ans sont déjà majoritaires (54,7%) à l’être à l’entrée au collège et le taux d’inscription atteint environ 90% en 3e.

Mais la prise de contact avec les plateformes se fait en réalité dès le milieu du primaire, souvent avec des fonctionnalités ludiques comme les lenses et les filtres avec lesquels des proches vont jouer avec les plus jeunes. La fonction de messagerie se propage fin primaire et le collège est synonyme de début d'exposition publique.

Pour la première fois cette année, Heaven constate que si le nombre d’inscriptions reste à la hausse pour les 6e et 5e, il est à la baisse pour les 4e et les 3e. A voir si cette tendance se poursuit dans le temps.

Pour les pré-ados, les réseaux sociaux servent principalement à communiquer avec ses proches et à regarder des vidéos. Mais il existe des différences significatives entre genres. Les filles montrent un usage de socialisation beaucoup plus fort que les garçons. Alors que ces derniers regardent davantage de contenus et jouent aux jeux vidéo, les filles de 5e privilégient davantage les discussions et le partage de photos et vidéos. S’informer reste une pratique peu répandue chez les deux groupes (autour de 12%) qui ne partagent quasiment jamais des liens ou des articles (3%).

80% des pré-ados interrogés compte un nombre de contacts restreints aux très proches (<50 contacts) ou ayant un cercle un peu plus étendu (>50, <200). Mais 9% d’entre eux déclarent avoir entre 400 à plus de 1000 contacts, ce qui dépasse largement le cercle habituel d’un élève de 5e (collège, famille, activités extra-scolaires). Des influenceurs en devenir !

Snapchat, Instagram, TikTok toujours en tête

En 5e, les élèves sont inscrits à en moyenne 3,6 plateformes sociales (hors YouTube).

Snapchat confirme son statut de leader avec une croissance de 5 points encore cette année. Désormais 90% des inscrits à un réseau social le sont sur Snapchat, 66% sur Instagram et 45,7% sur TikTok.

Snapchat, messagerie no1

Snapchat est toujours privilégié comme une messagerie ludique avec un usage en « one to one ». Le caractère éphémère des publications est valorisé et diverses fonctionnalités (lenses, bitmoji, flammes…) favorisent le jeu et l’engagement entre amis.

Pour les pré-ados, l’usage des Stories sur Snapchat est secondaire et non généralisé parmi les utilisateurs. Quant aux contenus partenaires Discover, ils sont largement ignorés par les plus jeunes.

Instagram : deux comptes plutôt qu’un pour gérer son image

Sur Instagram, les collégiens apprennent à gérer leur image. Et pour éviter les faux pas, ils sont de plus en plus nombreux à cloisonner leurs publications en fonction de leurs amis, quitte à créer plusieurs comptes.

Contrairement à Snapchat, les Stories sont plébiscitées pour leur authenticité. La messagerie est de plus en plus utilisée et les pré-ados accueillent avec bienveillance le développement de fonctionnalités d’achat sur Instagram.

TikTok divise

Tiktok est toujours en croissance (+3,3 points) et toujours majoritairement adopté par les filles.

« Créer une vidéo sur TikTok est davantage perçu comme un jeu ou une performance que comme un moyen de s’exposer ou de se valoriser ». Mais tout le monde n’est pas unanime sur lesdites performances parfois jugées innovantes ou au contraire malaisantes.

Peu de célébrités sur la plateforme, mais des créateurs de tout âge, pas forcément connus sur d’autres réseaux et un taux d’engagement qui bat des records.

Whatsapp, l’application utile

WhatsApp prend la 4e place du classement (31,7%, +1,8 points).

La messagerie est jugée utile, sans autre engagement émotionnel, pour communiquer avec ses parents ou en groupe au sein du collège.

Facebook toujours en baisse, passe dernière Messenger

Facebook qui n’intéresse plus que 20% des pré-ados, accuse une baisse cette année de près de 8 points et passe même dernière Messenger.

En 4 ans, le taux d’inscription sur la plateforme de Mark Zuckerberg a perdu 69% parmi les élèves de 6e et 59% chez les 5e. Le réseau est considéré comme étant celui « des vieux » avec du contenu peu attrayant (texte/photo vs vidéo).

Sa mauvaise réputation quant à la gestion des données personnelles le précède dans les cours de récré et le questionnaire d'inscription est vu comme trop intrusif.

Messenger, pour les jeux

Les jeunes interrogés dissocient Messenger de Facebook et sont donc moins suspicieux à l’égard de l’application.

La force de Messenger, c’est son magasin de jeux, qui démarque l’application des autres messageries. Les chatbots passent totalement inaperçus.

Twitter pour suivre des « adultes intéressants »

Twitter n’est que peu adopté par les élèves de 5e inscrits sur les réseaux sociaux. La plateforme est identifiée comme celle qui permet de suivre les « adultes intéressants » comme des participants à des émissions de téléréalité, des gamers, sportifs, Youtubers...

Twitter reste une source de contenus humoristiques (memes, blagues...), mais n’en a plus le monopole, Instagram et TikTok étant de sérieux concurrents sur ce créneau.

Discord, entre la messagerie et le forum

C'est la surprise de cette année, Discord commence à être cité comme application de référence par une partie des interrogés, parfois même celle sur laquelle ils passent le plus de temps. Une autre partie des sondés n'en a jamais entendu parlé.

Avec plus de 250 millions d’utilisateurs, Discord est une application de messagerie vocale et textuelle bien connue des gamers, mais aussi de plus en plus des jeunes en général qui apprécient la fluidité et la qualité des échanges organisés en forums (appelés « serveurs ») qui rassemblent une communauté autour de sujets de discussion variés.

Twitch, pour le live streaming

À l’instar de Discord, Twitch (racheté par Amazon en 2014)  a d’abord été adoptée massivement par les gamers, mais on y trouve aujourd’hui d’autres communautés qui s’y retrouvent sur bien d’autres sujets et apprécient les interactions en direct avec les streamers.

Avec l'ouverture d'un bureau à Paris début septembre, Twitch est sans aucun doute la « petite » plateforme qui monte.

YouTube... pour tout le reste !

YouTube, devenu un média incontournable, « bénéficie d’une unanime et très haute cote d’amour de la part de tous les plus jeunes. » 

Dans les cours de récré, les collégiens discutent de ce qu’ils y regardent, comme on discutait autrefois du programme de la veille au soir à la télé.

« Devenir streamer ou Youtuber est une perspective caressée par tous ou presque » affirme Heaven. Et pour ceux qui ont déjà une chaîne, elle devient un espace de discussion entre amis.

 Les plateformes montantes (que vous ne connaissez sans doute pas)

  • Google Hangout & Google Docs

Souvent utilisés à des fins professionnelles, ces outils Google ont été adoptés par les plus jeunes qui ont trouvé plus simple d’avoir la bénédiction de leurs parents pour la création d’une adresse gmail par leurs parents que pour leur inscription sur un réseau social.

Hangout est ainsi utilisé comme messagerie ou pour appeler les copains.

Quant à Google Docs, ils sont détournés depuis 2018 comme messagerie. Dans les salles de classe, on ne se fait plus passer des petits bouts de papier d’une rangée à l’autre, on partage un document en faisant mine de prendre des notes ou on chatte dans la partie commentaire, mais aussi, plus tristement, on l'utilise comme vecteur de harcèlement.

 

  • House Party

Plus connue aux Etats-Unis qu’en France, cette application permet d’appeler simultanément 8 contacts.

L’application vient d’être rachetée par l’éditeur de jeu vidéo Epic, qui vient de l’intégrer dans Fortnite. Un concurrent sérieux pour Discord ?

  • Plato, « la seule appli de messagerie conçue pour s'amuser »

Classée n°5 sur iOS en août dans la catégorie social network, cette application fusionne jeu et application de messagerie.

  • Triller, un concurrent pour TikTok

Triller permet la création et partage de vidéos verticales, principalement de type chorégraphie avec extrait musical. L’application compte déjà 15 millions d’utilisateurs dont 7,5 actifs mensuels mais devra faire preuve d’ingéniosité pour inquiéter le chinois TikTok.

  • F3 , « l’endroit le plus honnête sur internet »

L’idée de F3, c’est de poser des questions éphémères et anonymes à ses amis pour en apprendre davantage sur eux… ou découvrir ce qu’ils pensent de nous.

A noter que cette pratique est relativement répandue dans les Stories où les utilisateurs demandent à leurs contacts de leur poser des questions auxquelles ils répondent en texte ou en vidéo sur Instagram, Snapchat ou Youtube.

  • Hoop, un Tinder pour demander son Snap à de nouveaux amis

« Si quelqu’un te plaît, demande-lui son profil Snap, sinon passe au profil suivant » peut-on lire sur l’AppStore.

Tendances à suivre

  • Émergence d'un écosystème lié aux jeux en ligne

Les jeux vidéo en ligne, tels que Fortnite, sont en plein essor et participent à la socialisation numérique. Les jeux multi-joueurs nécessitent de pouvoir communiquer par texte, mais surtout par chat vocal et l'on observe l'émergence d'une tendance autour de la messagerie et du jeu.

Parallèlement à la pratique du gaming, les enfants s'intéressent aux moyens de s'améliorer en regardant d'autres gamers jouer et commenter leurs parties sur Youtube ou Twitch. Et quand on voit les rémunérations des professionnels de e-sport, peut-être que l'on verra dans cette génération de plus en plus de vocations pour devenir pro-gamer.

  •  Le chat vocal

Les plus jeunes favorisent de plus en plus la communication via la voix (appel et messages). A suivre en parallèle, l'adoption des enceintes intelligences/chatbots vocaux et toutes les applications qui permettent les chatrooms vidéo à plusieurs.

  • Virtuoses des outils numériques

Quoi que l'on pense des différentes applications et de l'usage qui en est fait par les 10-13 ans, on ne peut qu'être admiratif de la grande dextérité que les plus jeunes développent avec des outils parfois complexes. La plupart sont passés maîtres dans l'art du montage vidéo et/ou de la retouche photo. Avec la montée en puissance de Discord, on constate aussi que des interfaces plutôt arides ne leur font pas peur et qu'ils manient rapidement les threads et les nombreux bots qui s'y trouvent.

Cette agilité est aussi synonyme de volatilité : s'ils se lassent faute de renouveau dans les fonctionnalités ou si une meilleure application sort sur le marché, les pré-ados n'hésitent pas à désinstaller de leur téléphone des applications qu'ils jugent inutiles ou dépassées. Vous êtes prévenus.

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*Méthodologie : Exploitation de données quantitatives apportées par l’association Génération Numérique (1921 élèves de 5e et 6e répondants)