Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab
Si les professionnels des médias se sont d'abord étonné du boom de l'audio, ils ont vite intégré les podcasts dans leur stratégie de marque média. L'audio possède de sérieux atouts dans un écosystème en pleine mutation. Retours d'expérience à l'occasion de la deuxième édition du festival "Médias en Seine" organisée aux Echos et à la Maison de la Radio.
Un usage facile
Dans une société où l'attention est devenue une ressource rare, le podcast possède un avantage concurrentiel indéniable. Il se consomme dans toutes les situations. On écoute du contenu en faisant du sport, dans nos trajets, en cuisinant. Selon une étude du cabinet Edison Research, 26% des écoutes de podcasts sont réalisées depuis un smartphone aux États-Unis. Les professionnels des médias ont bien compris que pour se démarquer ils devaient aller chercher leur public dans tous les temps de la vie quotidienne.
“L’audio est un moyen d’aller chercher un public à un moment de la journée où il n’est pas forcément disponible pour lire” déclare Renée Kaplan, responsable des publics et des nouveaux contenus au Financial Times.
L'écoute non linéaire de l'audio explose. Elle apparaît comme un réel relai de croissance, y compris pour les radios.
"Plus le contenu est fort, plus il est écouté sur la durée. Pour exemple les programmes Les chemins de la philosophie et Affaires sensibles qui dépassent les 4 millions de téléchargement en podcast pour une écoute de 100 000 auditeurs en direct " déclare Sibyle Veil, présidente de Radio France.
Plus qu'un nouveau format, le podcast devient un élément essentiel dans la stratégie d'audience des marques médias. Le quotidien britannique qui produit des podcasts depuis le début des années 2000 affirme avoir réellement déployé une stratégie podcasts début 2019.
France Culture, qui produit des podcasts natifs depuis deux ans en fait également un élément clef de sa stratégie d'offre de service public.
« Ce qu’on veut donner, c’est une véritable alternative à des gens qui ne veulent pas passer toute leur vie devant des écrans ou bien à des parents qui veulent que leurs enfants connaissent une forme de narration autre que visuelle » déclare Sandrine Treiner de France Culture à propos des podcast natifs.
Et jean-Paul Philippot, administrateur de la RTBF d'affirmer "La consommation non-linéaire d'audio est quatre fois plus importante chez les moins de trente-cinq ans que chez les plus de cinquante-cinq ans"
Cette facilité d'usage est renforcée par une stratégie de distribution multi-plateforme qui plaît à l'audience.
“L’audience des podcasts est éclatée et diverse. Elle n’est pas forcément attachée à une plateforme. C’est l’auditeur qui choisit son propre mode d’écoute” rappelle Thomas Rozec de la société de production de podcasts natifs Binge Audio.
Selon l'étude du cabinet Edison, Plus de la moitié des américains âgés de plus de 12 ans ont écouté un podcast, soit 144 millions de personnes.
Un format authentique
Si la radio reste le premier média de confiance, le podcast natif est apprécié pour son authenticité. Libéré des contraintes de la radio (flash info, pause musicale), il permet à la parole de se déployer sans interruption.
"Le podcast est un format de l’intime. On s'adresse à une personne qui a ses écouteurs" rappelle Thomas Rozec de Binge Audio.
L'audio réussi le pari d’allier la rigueur de l’éditorial à l’émotion. “L’émotion, c’est une façon de faire passer une information. L’animateur d’un podcast est le premier personnage du podcast. Quand il parle de lui, il crée tout de suite un lien avec l’auditeur” explique Jules Lavie, rédacteur en chef du podcast Code source, un podcast natif du Parisien.
Dans un contexte de défiance envers les médias, l'audio est donc un excellent moyen de restaurer le lien et donc la confiance. Lauren Bastide, productrice de la Poudre a réussi à créer un sentiment d’appartenance “Je voulais créer quelque-chose de familier. Je voulais que l’on rentre dans mon podcast, comme on rentre dans des chaussons”. Au delà de cette impression de familiarité, le Podcast La Poudre s'adresse à une communauté de femmes engagées : les auditrices comme les invités sont mobilisables à tout instant pour relier une initiative citoyenne ou féministe. Lauren Bastide sollicite cette communauté régulièrement via les médias sociaux. Cette communauté de valeurs entre la journaliste et son public vient renforcer la relation de confiance.
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« Ça c’est la surprise : les invitées de La Poudre sont devenues elles-mêmes une communauté. »
— La Poudre Podcast (@lapoudreNE) October 8, 2019
Une liberté de ton
Le podcast natif avec son temps long est un excellent moyen d'élargir une ligne éditoriale.
Code Source, le podcast d'information du Parisien permet de tirer profit de l'expertise des journalistes de la rédaction pour présenter des personnalités politiques ou sportives. Le podcast permet une approche magazine de l'information en la "mettant en récit".
“Faire un podcast d’information, c’est apprendre à raconter une histoire. On ne pose pas les questions habituelles. Le journaliste raconte son sujet. A partir de ce son récit, je travaille la trame narrative. J'essaye de trouver un bon début, d'identifier un combat avec des hauts et des bas et de travailler la fin. Mais tout cela, je le fais avec des informations et des faits vérifiés” explique Jules Lavie.
[🎧 PODCAST 🎧] Crash, déprime, cocaïne… Frankie Dettori, le jockey star
🔊 L’italien est le favori du Prix de l’Arc de Triomphe, ce dimanche. Rescapé d’un accident d’avion, suspendu plusieurs fois, sa vie est un roman.
➡️ Écoutez > https://t.co/UEYmDBQNNa pic.twitter.com/n28pk049o8
— Code source (@codesource) October 5, 2019
“Code Source permet d’aller chercher une audience plus jeune et de montrer une autre facette de notre marque média” rappelle Pierre Chausse, directeur adjoint en charge du numérique au Parisien.
Et Renée Kaplan du Financial Times d'ajouter “L’audio est un moyen d’aller chercher un public plus large que celui du papier qui est très connoté. Les auditeurs découvrent qu'au FT nous traitons également des sujets politiques et culturels”
L'essor des smartspeakers
Du point de vue des usages, les amateurs de podcasts donnent le ton pour les années à venir. La révolution de l'audio déjà très visible dans le monde anglo-saxon est en marche.
« J’adore le podcast mais ce n’est pas l’incarnation du changement » alerte Mukul Devichand, directeur de BBC Voice.
Celui-ci invite à se pencher sur l'essor de la recherche vocale et la multiplication des enceintes connectées dans les foyers.
"26% des britanniques ont un smart speaker chez eux. 1 million d’utilisateurs uniques mensuels écoutent via un smart speaker des contenus audio de la BBC" déclare-t-il Mukul Devichand.
“Plus de la moitié des foyers américains ont une enceinte connectée. Celles-ci sont pour l'instant adaptées à la langue anglaise mais au vue de la puissance de leur écosystème et de leur IA, elles vont bientôt se mettre à niveau et pénétrer le marché européen et asiatique. A partir de ce moment les chiffres UK et US se répandront dans le monde” a affirmé par ailleurs Tony Archibong, Vice Président de TuneIn.
Ce changement d'environnement technologique change le rapport des auditeurs au contenu qui passent d'une attitude passive à un comportement actif.
"Les nouvelles générations ne connaîtrons jamais un environnement où l'on écoute passivement une émission de talk ou un programme musical. Ils sont habitués à un environnement où l'on va chercher le contenu audio, où l'on peut le manipuler. Hey Alexa play... Hey Google Play..." explique John Saroff, CEO de Chartbeat.
Si la demande de programmes musicaux, d'information et de la météo se fait de plus en plus via la commande vocale, nous sommes tous déjà potentiellement équipés.
“Vous avez tous déjà tous un assistant personnel sonore dans votre poche. 30% du search des britanniques de moins de 44 ans se fait via le système google-android" explique Mukul Devichand.
Un fait remarqué par le directeur de BBC Voice : au delà de la simple recherche, la commande vocale fait naître la volonté d’engager une conversation.
"L’utilisateur ne demande pas à son assistant personnel « dis-moi ce que la BBC raconte sur le Brexit » mais « dis-moi ce qui se passe avec le Brexit » Tout l’enjeu pour la BBC sera d’être le média utilisé !" conclut Mukul Devichand.
De même, l'utilisateur ne demande pas les prévisions météo du jour mais "Est-ce que j'ai besoin de porter un manteau aujourd'hui ?". La BBC travaille actuellement sur la granularité des réponses à une telle question afin d'obtenir une réelle impression de conversation.
Voice AI assistants will approach audio not as "programs", but as "sets of knowledge" - discovery and bundling (and by extension eventually production and business) of audio may change as much w/ rise of voice as text did w/ rise of search, @MukulDevichand suggests #MediasenSeine pic.twitter.com/Qd0lJWUGTK
— Rasmus Kleis Nielsen (@rasmus_kleis) October 8, 2019
Nous assistons à un vrai changement dans la façon dont les gens s’informent et se fidélisent à une marque Media. Les médias doivent repenser la distribution de leurs contenus et leurs formats à la lumière de ces nouveaux usages et comportements. Facilité d’usage, authenticité et liberté de ton : l’audio a de réels atout pour faire la différence. "Un tiers des Européens ont pendant la dernière semaine écouté un contenu audio à la demande" rappelle Jean-Paul Philippot de la RTBF. La bataille à mener est désormais celle de la recherche vocale main dans la main avec les professionnels de l'IA.
Crédit photo : Laure Delmoly