Les nouvelles technologies au service de l’humain et de ses intuitions (Médias en Seine)

Par Diana Liu, France Télévisions, MediaLab

Le progrès technologique peut susciter une réponse plutôt manichéenne - soit on se revendique “early adopter” technophile soit on se montre techno-sceptique voire technophobe. Le festival Médias en Seine était l’occasion de parler innovation, start-ups, IA et nouvelles technologies. L’objectif : se débarrasser des discours à sensation pour réfléchir réellement sur ces techniques émergeantes et leurs enjeux dans un paysage médiatique en profonde mutation. Au programme : des prévisions ni utopiques ni dystopiques, mais plutôt pragmatiques, qui considèrent l’innovation comme un élargissement de l’intuition humaine. 

L’accessibilité et l’intuition au cœur des futures technologies

A quelles nouveautés devons-nous nous attendre ? Le matériel va changer, les moyens de télécommunication vont évoluer et beaucoup plus vite qu’on le croit. Les grandes lignes de cette évolutions : "Une plus grande accessibilité utilisateur sur le plan technique et dans la création des contenus" d’après Simon Latapie, directeur des opérations à VLC et Guillaume Grallet, spécialiste des technologies du Point et de France 24

Pour obtenir cette accessibilité, l’outil clé sera « l’interopérabilité » — la capacité des systèmes (et des utilisateurs) à lire et à communiquer sans discontinuité via n’importe quel format et n’importe quelle plateforme. L’idée : adapter les contenus pour qu’on puisse les consommer quand on veut, de la manière la plus fluide possible.

Mais pour permettre cette interopérabilité, encore faut-il de la 5G. Et celle-ci tarde à être déployée en France. « La 5G est une évolution très importante du standard. C’est la faculté technique à fabriquer des fonctions techniques qui sont comprises par tous les équipements qui vont l’adapter » explique Bernard Fontaine, directeur de l’innovation technologique à France Télévisions. À suivre aussi : les travaux sur la 6G en cours actuellement dans divers pays, en Finlande et en Chine chez Huawei.

Simon Latapie précise que « l’accessibilité est souvent synonyme d’intuition, plus que de nouvelle technologie. » En effet, c’est l’intuition des utilisateurs qui influence l’évolution des nouvelles technologies. Les lunettes de réalité augmentée telles les Google Glass rentreront-elles dans ce cas de figure ? Guillaume Grallet parie dessus. Il y a aussi la commande par le cerveau, qui semble venir tout droit d’un film de science-fiction… mais pas tant que ça. « Facebook a racheté CTRL Labs, un studio new-yorkais qui a mis au point un bracelet qui veut interpréter les signaux électriques de notre cerveau — en gros, savoir ce que l’on pense. Il faut suivre les travaux de la Royal Society en Angleterre et les législateurs chiliens qui s’intéressent aux données neurologiques. »

Groupes médias et start-ups doivent s’associer pour innover ensemble

Anticiper les usages de demain suscite l'enthousiasme, mais on se heurte souvent à une autre réalité — les difficultés de mise en application, particulièrement au sein des grands groupes. Dans les médias comme dans d’autres industries, on oppose les start-ups agiles et disruptives aux plus grandes structures qui ont tendance à méfier du risque et du changement. Or pour affronter les défis des mutations du paysage médiatique, mieux vaut collaborer que rester en concurrence.

Deux exemples de collaboration de start-ups technologiques avec un groupe Média : Excense, un logiciel qui permet de réaliser des présentations interactives riches, impactantes et pédagogiques, et Newsbridge, une plateforme d’indexation et de montage d’images vidéos qui aide les journalistes et les documentalistes dans la création de reportage. Les deux start-ups se sont associés avec France Télévisions afin de développer leur produit en collaboration avec les équipes des chaînes, dans un intense processus de test-and-learn.

Quels sont ces nouveaux savoir-faire techniques ? Dans le cas de Newsbridge, l’IA et les technologies cognitives permettent de s’attaquer à un problème de taille : l’inondation d’une télévision par les contenus vidéo. « En 2018, on a tourné plus de 15 millions d’heures de vidéo. Dans 10 ans, on pourra multiplier ce chiffre par 10. La problématique à laquelle on répond est donc — comment traiter tout ce contenu-là avec des équipes qui ne sont pas de taille illimitée ? » explique Frédéric Petitpont, fondateur de Newsbridge.

Lorsque le développement de produit se fait en temps réel avec les utilisateurs, la technologie s’adapte plus rapidement aux besoins de ces derniers. « Ce qui est intéressant c’est de voir comment la technologie peut aider les personnes à travailler avec plus de confort et moins de contrainte. » ajoute Frédéric Petitpont.

L’intelligence artificielle n’a pas vocation à nous remplacer, mais à nous assister

Nous avons tous entendu des prédictions apocalyptiques sur la nouvelle ère de l’intelligence artificielle. Selon Dr. Luc Julia, co-créateur de l’IA Siri, et Eric Scherer, directeur de la prospective et de l’innovation à France Télévisions, "il ne faut pas basculer dans une science fiction à la RoboCop, mais appréhender et canaliser cet outil à bon escient."

Les cas d’utilisation d’IA se multiplient dans plusieurs secteurs — la médecine, les transports "et les médias" nous rappelle Eric Scherer. « Les algorithmes appliqués nous ont déjà permis d’améliorer des choses, comme la personnalisation des contenus à la place du “carpet bombing” - soit le fait d’inonder tous les canaux avec le même contenu . » Les bots traitent déjà les résultats sportifs, financiers et électoraux dans les rédactions et permettent ainsi aux journalistes de se dégager du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée : interview, enquête, analyse. L'IA permet également de réduire le bruit d'internet ou de détecter les signaux faibles.

La prochaine étape à franchir ? Utiliser l’IA pour lutter contre les fake news et la désinformation. « On essaie de regarder comment on peut labeliser une information à partir des ses composants. Comme un label bio sur un produit alimentaire qui identifie les colorants et les additifs, on espère à terme pouvoir avoir un label pour une information vérifiée et traçable. » L’IA pourrait également être un outil d’interaction et de co-création de contenus entre les médias et leur audience.

Il ne faut pas pour autant minimiser les polémiques autour de l’IA telles que les deepfakes ou le problème du biais algorithmique. « Il y a des problèmes éthiques liés au choix des données pour nourrir les algorithmes et aux choix des ingénieurs qui les développent. » affirme Eric Scherer. Mais ces questions ne doivent pas empêcher les groupes média de se servir de ces outils à des fins constructives. « N’ayons pas peur, mais ne soyons pas non plus des bisounours. Il faut comprendre la puissance de l’outil pour faire en sorte de contrer les méchants qui vont l’utiliser à mauvais escient. » ajoute le Dr Luc Julia.

 

Quel est le rêve du créateur de Siri pour l’intelligence artificielle ? « Que celle-ci m'assiste dans mes tâches quotidiennes, comme un criquet sur mon épaule, et qui m'aide à faire en sorte que mon travail soit plus intéressant au final » Dans un monde en constante mutation et disruption, c’est ce à quoi les responsables des nouvelles technologies devraient aspirer : des outils plus accessibles et intuitifs, un travail collaboratif pour mettre en place ces outils et une approche réfléchie de l’IA — pour les professionnels à Médias en Seine, l’humain doit rester au cœur de l'innovation technologique.

Crédit photo : Franck, Unsplash