Par Barbara Chazelle, France Télévisions, MediaLab et Prospective
Suite à une refonte impopulaire, 2018 avait été difficile pour Snapchat et beaucoup avaient crié à la mort de l'application. 2019 au contraire, est l'année d’un retour en force qui aura défié les pronostics. La croissance de Snapchat est tirée par les séries originales (aux Etats-Unis), par la refonte de sa version Android et par les nombreux filtres de réalité augmentée proposées. La plateforme met aussi l’accent sur des contenus originaux produits par des partenaires médias triés sur le volet.
A l’occasion du lancement de 20 Minutes sur Discover, Snapchat a saisi l’occasion de réunir Anne Kerloch de 20 Minutes, Jean-Guillaume Santi du Monde et Julien Mielcarek de BFMTV pour faire le point sur ce format lancé en novembre 2018. Nous ajouterons ici le retour d’expérience de France TV.
13,6 millions d’utilisateurs quotidiens en France
Dans ses dernières prévisions sur les utilisateurs des réseaux sociaux dans le monde, eMarketer a actualisé ses estimations pour les utilisateurs de Snapchat de 2019 à 2023. A la fin de l’année, Snapchat comptera 293 millions d’utilisateurs dans le monde (+14,2% vs 2018) et la société d’études de marché prévoit 63 millions de nouveaux utilisateurs d’ici 2023 (contre 52 millions précédemment).
Snapchat revendique 201 millions d’utilisateurs quotidiens dont 13,6 millions en France qui ouvrent l’application en moyenne 30 fois par jour.
Et fierté, « les 13-24 ans sont plus nombreux sur Snapchat que sur Facebook, Instagram et Messenger réunis » a déclaré Molly Benn, responsable des partenariats pour Snapchat France.
Discover, un espace protégé pour les marques
La présence de ces jeunes utilisateurs est une aubaine pour les médias, dont certains bénéficient d’une vitrine sur Discover, un espace dédié aux partenaires et influenceurs.
Molly Benn a rappelé que Discover est une plateforme fermée, avec pour objectif de « répliquer une expérience d’intimité pour les contenus des éditeurs partenaires », 30 désormais en France. Si l’espace médiatique est restreint, cela a aussi protégé la plateforme des fake news et autres contenus viraux indésirables. Les marques n’en sont que mieux protégées.
Retours d’expérience d’éditeurs sur les « shows »
Les shows sont des programmes vidéo quotidiens ou hebdomadaires, « idéalement de trois à cinq minutes » produits par des éditeurs partenaires. Une quinzaine de contenus sont publiés par jour.
- Motivation
Première motivation : atteindre les moins de 18 ans.
« Nous souhaitions être au contact de personnes qui n’ont pas la télé et ne s’informent pas comme nous », a précisé Julien Mielcarek, Directeur de la rédaction BFMTV.com.
Pour Jean-Guillaume Santi, responsable Snapchat Discover du Monde, « l’Edition quotidienne », qui reprend les dominantes de l’actualité, relève d’une « mission de service public » visant à bien informer les jeunes lecteurs.
20 Minutes, dont un tiers de l’audience print a moins de 30 ans, voulait surtout proposer une nouvelle expérience et faire travailler l’esprit critique des jeunes pour discerner le vrai du faux avec son show « Oh My Fake »
Le succès d’audience des « shows » devient un réel argument de visibilité pour faire venir certains invités.
« On touche 800.000 spectateurs uniques par épisode, donc plus que sur l’antenne à certaines heures. Lorsque l’on invite un artiste par exemple, on lui propose un passage sur Snapchat en plus de l’antenne et d’un article » a expliqué Julien Mielcarek.
- Stratégie de marque
Il y a deux écoles : les éditeurs qui choisissent de mettre en avant leur marque média (le Monde, FranceTv Sport, Slash, Paris Match, Brut…) et ceux qui préfèrent l’entrée par marque de leurs « shows » (Oh My Fake par 20 Minutes, VROOOOM par RMC, Le look à copier, La Pépite de BFM…)
- Stratégie éditoriale
Il est intéressant de voir qu’il n’y pas de recette miracle, chaque éditeur menant ses propres expérimentations en s’adaptant au fil des résultats d’audience.
Chez BFM, les thèmes déclinés sur Snapchat sont principalement sous-traités à l’antenne, comme la mode ou la culture rap.
Au Monde, deux ou trois sujets sont sélectionnés par édition.
« Il faut trouver des moyens d’attirer les utilisateurs sur des sujets vers lesquels ils n’iraient pas spontanément, le tout saupoudré par des thématiques plus connues ».
Les actualités nationales majeures (décès de Johnny Hallyday, de Jacques Chirac, incendie de Notre Dame de Paris) fédèrent tout particulièrement.
Selon Dorothée Topin, responsable partenariats social media chez France TV, « il y a de la place pour des thématiques sérieuses. On obtient de très bons résultats sur des sujets lourds de société ».
Sur le sport, constat partagé par RMC et FranceTV : il faut privilégier le chaud, les contenus extérieurs plutôt que les interviews de joueurs.
Enfin, il faut convaincre rapidement. Un contenu de 2 minutes, s’il est regardé 30 à 40 secondes, est considéré comme un succès. Oubliez le générique, entrez directement dans le sujet. Le tutoiement est souvent adopté et si le sujet est incarné, le journaliste n’hésitera pas à interpeller le public. Le montage est rythmé, l’habillage plus pop que sur d’autres supports et bien évidemment on jouera avec la verticalité de l’écran pour intégrer un maximum d’images.
- Impact dans la rédaction
« Etre sur Snapchat, c’est accepter un bouleversement permanent ! » a déclaré le directeur de la rédaction BFMTV.com.
Au Monde, une équipe dédiée de 6 personnes y est consacrée (deux journalistes, deux monteurs, un motion designer, et un responsable). Chaque jour, les sujets sont sélectionnés lors d’une conférence de rédaction.
« Les articles sont complètement réécrits. On ajoute du contexte, car on n’a pas la possibilité d’ajouter des liens hypertextes qui renverraient à des articles antérieurs. Parfois, on opte pour un format ‘bullet points’, très efficace. »
Chez BFM, 20 Minutes ou France TV, les équipes travaillent pour d’autres supports de diffusion. 20 Minutes se fait accompagner par Spicee pour la post-production, BFM s’appuie sur la rédaction TV et retravaille ensuite le sujet diffusé à l’antenne.
« Les contenus diffusés sur Snapchat ne sont pas exclusifs. On ne s’interdit pas de les publier ailleurs ensuite. Les codes narratifs pour Snapchat sont tellement forts que chez FranceTV Slash, on pense désormais ‘Snap First’ puis on adapte éventuellement pour d’autres plateformes sociales » explique Dorothée Topin.
Un an après leur lancement, les Shows ont trouvé leur public et les éditeurs ont l'air satisfaits des performances. L'application a réussi à faire adopter une nouvelle grammaire visuelle qui inspire les médias pour d'autres plateformes. Si les chiffres de revenus ne sont pas communiqués, on retiendra qu'ils sont en croissance et surtout non soumis à des changements imprévisibles d'algorithmes. La relation Snapchat/éditeurs semble au beau fixe. A suivre...