Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab
PARIS - Trois mois de débats, d'abord véhéments puis constructifs, entre citoyens et journalistes d'une douzaine de grands médias d'information français, viennent de déboucher sur 250 propositions. 10 priorités ont été mises en avant cette semaine sur une plateforme collaborative. Le principal message est le souhait des citoyens d'être davantage partie prenante dans la couverture de l'actualité.
La Croix, le groupe EBRA, France Media Monde, France Télévisions, Radio France, TF1, la Voix du Nord, 20 minutes, le Parisien, Ouest France, France Info, et un acteur techno (Google News Initiatives) ont pris des engagements pour changer et doper la confiance.
250 propositions citoyennes et 10 solutions priorisées par le vote
- Permettre aux publics de mieux distinguer journalistes (factuels) et éditorialistes (défendant des partis pris, y compris humoristes et polémistes)
- Proposer des débats contradictoires qui assurent une pluralité des points de vue, y compris un panel de citoyens non-experts.
- Contraindre les médias à mettre en place un fact-checking en temps réel sur les informations diffusées en direct.
- Généraliser la déclaration des conflits d’intérêts des experts sollicités par les médias sur le modèle des Déclarations Publiques d’Intérêt (DPI) dans la santé.
- Conserver une traçabilité et un archivage des fausses informations formulées par les personnalités publiques - notamment politiques - qui s’expriment dans les médias. (le "casier infox")
- Proposer une présentation de l’information permettant de mieux appréhender la complexité d'un sujet, par exemple en accédant à une pluralité de points de vue.
- Promouvoir une plus grande diversité de profils de journalistes afin de refléter la population (âge, sexe, origine géographique, etc.) notamment les profils scientifiques.
- Publier les éléments de langage fournis aux rédactions par le gouvernement, les partis politiques, les syndicats et les lobbies de manière à pouvoir les distinguer des analyses journalistiques.
- Créer un consortium national médias / Etat / police /justice / GAFA / universités / startups ayant pour mission de lutter contre la désinformation et s’appuyant sur des technologies de pointe.
- Faire davantage connaître le “médiateur de l’information” et faire évoluer son rôle en mettant en place un collège d’auditeurs / lecteurs / téléspectateurs avec un pouvoir d’interpellation.
Une démarche de co-construction entre journalistes et citoyens
Plus qu’une simple démarche de consultation, ce dialogue entre médias et citoyens, qui s'est déroulé du 4 novembre 2019 au 3 février 2020 est une véritable démarche de co-construction.
Les journalistes des médias partenaires se sont engagés à redoubler d'effort sur 3 sujets communs (lutte contre les fake news, éducation aux médias, association des citoyens à la production de l'information).
La plateforme a réuni 32 500 visiteurs et 13 200 contributions avec une moyenne de 8 messages par contributeurs et des top contributeurs, très engagés sur la question et force de proposition.
“Les médias devraient gagner de l’argent au vote et non au clic. Le clic est hasardeux alors que le vote est le résultat d’un choix.” François Very, top contributeur
“Je voudrais des reportages sur du positif et sur des citoyens qui construisent” Emmanuel Zancky, top contributeur
“J’avais un regard très dur sur la profession. Mais je me suis rendue compte que la tâche des journalistes n’est pas facile. Ils sont jugés et jaugés en permanence par des publics très différents. C'est impossible de satisfaire tout le monde.” Nicole Degbo, top contributrice
Les échanges ont eu lieu sur la plateforme en ligne, lors de débats en présentiel et lors d'ateliers d'écriture collective visant à imaginer les médias en 2050. A noter que les jeunes se sont peu exprimés sur la plateforme en ligne, lui préférant les ateliers ou les réseaux sociaux.
Les médias s’engagent sur des solutions concrètes
La plupart des rédactions ont ouvert des chantiers et se sont engagés à mieux déployer certains déjà en cours.
- Re-contextualiser l'information dans le temps long
- Mieux mettre les événements en perspective, notamment au niveau européen
- Revenir sur des événements passés & comparables
- Nourrir le débat démocratique
- Développer de nouveaux formats d'éducation aux médias
- Lutter contre les Fake News grâce aux nouvelles technologies
- Rencontrer des témoins de l'actu
- Encourager les citoyens à suggérer des idées de portraits aux journalistes
- Continuer à développer l'offre d'éducation aux médias
- Lancer une plateforme collaborative où les citoyens peuvent faire des suggestions d'enquête et avoir un échange direct avec les journalistes.
- Guidelines en interne pour que les journalistes évitent de se présenter aux municipales
- Développer un Labo des idées citoyennes
- Mieux vérifier l'information
- Développer les diversité des profils journalistiques en terme de recrutement
- Renforcer l'indépendance et la transparence
- Traiter l'urgence climatique d'un point de vue européen
- Renforcer l'offre en matière de fact-checking
- Développer les visibilité du Médiateur
- Renforcer la représentativité des citoyens via le maillage hexagonal et ultra-marin
- Faire remonter les sujets des citoyens à des journalistes
- Devenir leader européen de l'éducation aux médias
- Lutter contre les infox (et notamment via une "bataille de diffusion")
- Développer l'éducation aux médias et à l'information
- Recruter des journalistes issus de la diversité
- Maintenir les moyens d'une information de proximité de qualité
- Accompagner les lecteurs dans leurs combats territoriaux
- Lutter contre les fakes news
- Répondre aux mails des internautes
- Promouvoir un journalisme de solution
- Lancement d'une plateforme collaborative intitulée nouvelles voix
- Développer la médiation avec les lecteurs
- Travailler davantage avec les jeunes sur la crise climatique et le développement durable
- Assumer beaucoup plus la dimension d'agir
Un constat : les journalistes aiment leur public et se disent prêt à faire évoluer la profession. Certains reconnaissent leurs erreurs - information vérifiée trop vite, incapacité à voir venir la crise des gilets jaunes - et s'engagent à redoubler de vigilance.
Les grands axes de travail sont définis : être davantage à l'écoute des citoyens pour faire remonter les sujets, distinguer les faits des commentaires, activer le comparatisme afin de donner de véritables clefs d'analyse. Et François Ernenwein de conclure "Comment voulez-vous que la démocratie vive si les citoyens ne partagent pas un volume raisonnable et éclairé d'information ? La hiérarchisation de l’info est une lecture du monde”.
Crédit photo : Chaunu