Par Diana Liu et Laure Delmoly, MediaLab, France Télévisions
Le COVID-19 a généré un volume colossal de données suscitant de nombreux formats de « visualisation de données » dans les médias. Mais toutes les dataviz ne se valent pas. Si certaines peuvent rendre l’information plus compréhensible, d’autres peuvent être mal interprétées et contribuer à la désinformation.
Autre difficulté : l’incertitude criante autour du COVID-19. Les études scientifiques réalisées sont relatives. Les chiffres étudiés sont imparfaits en raison de différences d’un pays à l’autre sur la définition d’un cas confirmé ou sur la politique de dépistage de la population.
Selon Alberto Cairo, auteur de « Comment les graphiques mentent », une dataviz réussie ne permet pas seulement de visualiser les données mais de véhiculer un message. Méta-Média vous a sélectionné les dataviz les plus pertinentes pour comprendre la pandémie en cours.
Expliquer la propagation du virus
« How The Virus Got Out » du New York Times est un article de scrollytelling immersif, dont la visualisation de données illustre la propagation du virus de Wuhan au monde entier.
Son exécution coche toutes les cases d’une visualisation réussie selon les critères du site de dataviz « Information is Beautiful » : une histoire parlante, un objectif clair et des visuels harmonieux.
À noter : les courts textes explicatifs pour aider le lecteur à comprendre les graphiques et une palette de couleurs efficace qui relie texte et visualisations (le rouge indique les cas de contamination, le vert les déplacements).
Source: New York Times
Visualiser son évolution dans le monde
Source : John Hopkins University
Si le tableau de bord de l’Université de John Hopkins reste une ressource incontournable, certains médias adoptent d’autres angles graphiques pour informer sur la progression du COVID-19. Le New York Times illustre le taux de croissance des cas par pays via une carte choroplèthe : la nuance d’une couleur est proportionnelle à une variable (ici le doublement des cas).
Source: New York Times
Le Financial Times a publié une série de graphiques permettant de visualiser la courbe de mortalité dans les différents pays.
Source : Financial Times
Dans une vidéo postée sur le compte twitter du journal, John Burn-Murdoch, journaliste senior en data-visualisation, explique les décisions graphiques prises par son équipe.
The FT’s senior data-visualisation journalist John Burn-Murdoch explains the must-see daily graphs, which show how cases and deaths are growing around the world. pic.twitter.com/yt3eY1OCrY
— Financial Times (@FinancialTimes) March 30, 2020
L’utilisation de l'échelle logarithmique sur l’axe des ordonnées au lieu de l'échelle linéaire plus traditionnelle permet de mettre l'accent sur la contagiosité du virus. La visualisation facilite la comparaison entre des pays qui se trouvent à un stade similaire et permet d'éventuelles prévisions.
L'étoile désigne le début des mesures de confinement pour chaque pays et aide le lecteur à identifier le moment où la courbe de décès pourrait commencer à évoluer différemment.
Alerter sur l’effet domino des spreaders
Source : Reuters
Pour mettre l'accent sur la croissance exponentielle, l’article de Reuters intitulé « Les clusters coréens » suit les traces de la « patiente 31 », dont les déplacements début février ont provoqué de nombreux clusters dans le pays.
Cette série de visualisations se démarque par sa clarté chronologique et alerte sur l’effet domino des individus sur la propagation du virus.
Autre élément graphique rarement vu dans les dataviz sur le COVID-19 : l’utilisation d'iconographies en forme de personnes pour représenter les cas confirmés. Un tel choix aide le lecteur à « humaniser les chiffres ».
Source : South China Morning Post
Une autre dataviz qui insiste sur la transmission entre individus : celle du South China Morning Post : « Comment le COVID-19 s’est propagé à travers un bus à Hunan ». A partir d'images obtenues par un système de vidéosurveillance, les chercheurs ont pu reconstituer la propagation du virus via un passager infecté.
Mais ils reconnaissent leur « connaissance limitée » sur les modalités de transmission du virus — dans cette dataviz les passagers assis juste à côté du porteur initial n’ont pas été infectés.
Expliquer l’importance de la distanciation sociale
Source : Le Monde
Ce graphique résume l’objectif visé par les mesures de distanciation sociale : ralentir la progression de l’épidémie pour protéger le système hospitalier d'un risque de saturation. Sans doute une des visualisations les plus « virales » sur Internet.
Popularisé par The Economist - qui s'est inspiré du graphique du Centre américain de prévention et de contrôle des maladies (CDC) - la simplicité de cette dataviz a suscité de nombreuses reprises et améliorations. Drew Harris, population health analyst, a rajouté l'horizontale indiquant la capacité d'accueil maximale du système hospitalier. Certains scientifiques ont créé des versions animées qui illustrent les comportements associés aux deux courbes. Le succès de cette dataviz sur twitter a donné naissance au hashtag populaire #flattenthecurve.
Experts are saying we must aim to #StopTheSpread rather than just #FlattenTheCurve. So here's our new graphic. Explanation & link in the thread below. Please share far and wide & translate if you can! #Covid_19 #COVID2019 pic.twitter.com/aKMV6Qb3w1
— Dr Siouxsie Wiles (@SiouxsieW) March 13, 2020
Appréhender l’effet de réseau
Source : Washington Post
Quelques semaines après le succès de #flattenthecurve, le Washington Post a publié une série de dataviz dans un article intitulé « Pourquoi des épidémies se propagent de manière exponentielle et comment aplatir la courbe ». En proposant 4 scénarii de propagation de la fausse maladie « la simulitis » - liberté totale, quarantaine, distanciation modérée et distanciation étendues - le journaliste graphique Harry Stevens met l'accent sur l’effet de réseau et l’importance de la distanciation sociale pour freiner le virus.
Le succès de cette dataviz est sans doute due à une illustration intuitive d’un concept difficile à appréhender : la croissance exponentielle.
Cartographier les métiers les plus exposés
Source : New York Times
« Les travailleurs qui sont le plus à risque face au coronavirus » - autre article de scrollytelling du New York Times - analyse les risques d'exposition au virus dans le milieu professionnel à partir des données du Bureau américain des statistiques du travail.
Grâce au scroll progressif, l’article guide le lecteur dans la compréhension de la visualisation et met en exergue les informations à retenir. À la fin de l’article, les lecteurs peuvent parcourir eux-mêmes la visualisation interactive.
Le COVID-19 est un événement important pour les journalistes graphiques qui sont soumis à une importante charge de travail mais aussi à une responsabilité croissante envers la santé publique. Prochaine étape : des dataviz qui aborderont des angles jusqu’ici peu couverts (ie. l’impact socio-économique du virus) et une évolution des messages véhiculés par les dataviz existantes. Mais à l'ère du Big Data et de la désinformation, il est primordial d'effectuer un travail de dataviz responsable.
Image de Une, source : Unsplash