Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab
S'engager sur le territoire, être à l’écoute de sa communauté et collaborer. Voici le mot d’ordre de la seconde édition du festival d’information locale qui s’est tenu fin septembre. Malgré les difficultés économiques, l’intérêt pour l’information locale est réel. Une bonne nouvelle pour les professionnels qui ajustent leur stratégie afin d’essayer de développer des modèles économiques plus pérennes.
Maintenir l’intérêt et la confiance pour l’information locale
Le journalisme local renforce le sentiment du lecteur d’appartenance à une communauté. Il lui fournit des informations utiles pour sa vie quotidienne. Il l’aide à penser l’évolution de sa ville et de la société. “Le journalisme des grandes villes n’est pas suffisant. En l’absence d’investigation locale, le risque est d’avoir une mauvaise perception de la société. Les exemples sont nombreux : les Gilets Jaunes en France, le Brexit en Grande Bretagne, l’élection de Trump aux Etats-Unis” rappelle Rasmus Kleis Nielsen, Directeur de l’Institut Reuters.
Dans une économie de l’attention de plus en plus fragmentée et compétitive, les médias locaux demeurent les mieux placés en terme d’attention. Selon un récente étude de l’Institut Reuters, 47% des personnes interrogées sont intéressées par l’information locale.
Alors que la vie politique est très polarisée et que le journalisme des grandes villes en souffre, ce n’est pas le cas du journalisme local. Celui-ci réunit en effet toutes les classes sociales et tous les niveaux d’éducation dont l’intérêt converge vers le même type d’information. "La localité est peut-être ce qui réunit le plus en ces temps de polarisation.” déclare Rasmus Kleis. Un constat encourageant pour l’avenir dès lors que les médias locaux restent à l’écoute de leur communauté : Que souhaitent les lecteurs ? Quelles sont leurs valeurs ? Que peut-on leur apporter ?
S’engager auprès de sa communauté et de son territoire
La PQR s’engage de plus en plus vis à vis de sa communauté. Sandrine Thomas, Rédactrice en chef de La Montagne s'est fait la porte-parole d’un mouvement sur les réseaux sociaux pour améliorer la qualité de la ligne SNCF Paris-Clermont. L’objectif ? Améliorer le quotidien de ses lecteurs qui souffrent des retards incessants et de la dégradation de la ligne. L’engagement du journal La Montagne auprès de ses lecteurs a contribué à maintenir le dialogue avec le gouvernement.
Autre exemple : l’obtention pour la région d’un second hélicoptère de secours pour pouvoir acheminer des blessés de la route et de montagne vers les CHU les plus proches. Le média local ne se contente plus de couvrir l’information mais s’engage pour améliorer les choses.
Etre porte voix de sa communauté et s’engager pour la région et ses citoyens, c’est également la ligne de conduite de Voix du Nord. “Il y a une attente des gens autour de cette notion d’utilité surtout de la part des nouvelles générations - les "impact natives". Le média local est particulièrement adapté à cette mission” explique Gabriel d’Arcourt, Directeur général.
Le quotidien s’est ainsi récemment mobilisé sur le harcèlement scolaire via des rencontres, enquêtes et témoignages pour aboutir à huit propositions de solutions à la rectrice dont trois sont mise en application. Autre initiative de la Voix du Nord, un partenariat avec Croisons le Faire, un collectif d’entrepreneurs dont l’objectif est d’identifier des initiatives positives pour la communauté et de les répliquer à l’échelle de la région. La Voix du Nord couvre les success stories mais contribue également à les identifier.
Les journalistes d’information locale se mettent au service de leurs lecteurs pour contribuer à faire émerger des solutions. Rue89 Strasbourg a ainsi mené plusieurs opérations de terrain dans des quartiers populaires pour écouter les habitants et faire remonter des sujets. Un quartier récemment rénové avait ainsi totalement disparu de toutes les plateformes de service - basées sur des coordonnées GPS - en raison d'un changement de nom des rues. Suite à la parution de l’article dans le journal, le problème a été résolu très rapidement.
Collaborer avec d’autres acteurs
Collaborer avec des médias nationaux est également un moyen pour les médias locaux de mettre en valeur leur savoir faire. La BBC collabore ainsi avec les médias d’information locale britanniques. 150 journalistes ont été recruté au sein de médias locaux “pour être des journalistes de la démocratie locale”. Ils couvrent l’actualité en Angleterre, en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord et fournissent des contenus utilisés par 900 médias locaux.
“La BBC prend en charge le salaire des journalistes affectés dans les rédactions locales. Cela nous permet d’avoir une bonne couverture de la politique locale et d’échanger des bonnes pratiques. Les médias partenaires ont accès au contenu de la BBC, produisent des contenus locaux et nous partageons des jeux de données” explique Matthew Baraclough, Responsable de ce Local News Partnerships.
1 500 articles sont ainsi produits par semaine dont 99 % sont utilisés par au moins deux partenaires. Le budget est de 8 M£ dont 5 pris en charge par la BBC.
"LNP est une grosse contribution à l’écosystème de l’information en Angleterre et cette organisation est reproductible. C’est d’ailleurs déjà le cas en Nouvelle-Zélande (12 journalistes) et au Canada (105 journalistes)” ajoute Matthew Baraclough.
Autre exemple de collaboration à l’échelle locale : le partenariat de Nantes Métropole avec Ouest France durant la pandémie pour imprimer deux éditions spéciales avec les données suivantes : aide alimentaire et sociale de la ville, dates de réouverture des écoles et des marchés, coordonnées des associations qui fournissent des masques. L’enjeu de ce partenariat était de médiatiser des informations importantes de la ville grâce à la PQR.
Envisager des modèles économiques hybrides
Si les médias locaux connaissent une crise de leur modèle économique avec la chute des ventes print et la concurrence des GAFAS auprès des annonceurs, l’intérêt des lecteurs leur permet d’innover dans leur modèle économique et d'envisager des modèles hybrides.
En France, Maïté Torres a créé Made In Perpignan en 2016, Flo Laval a créé Far Ouest -une revue qui raconte la région entre journalisme et série documentaire - et Pierre-Olivier Bobo a fondé le média associatif Sparse. Ces trois médias locaux ont chacun un modèle économique qui repose sur plusieurs activités : la formation aux médias, la création de contenu pour des tiers et le crowdfunding.
Différents business model ont ainsi émergé dans les médias locaux : Lincolnite en Grande Bretagne via un modèle basé sur la publicité, Bristol Cable avec un modèle basé sur l’abonnement, Our Media en Norvège sur une structure collaborative et associative et Texas Tribune aux Etats-Unis sur la base des dons des lecteurs.
Mais l’innovation peut également être "manageriale" afin de concentrer tous les efforts sur le modèle de revenus. Au Canada, le groupe Village Media - qui compte 14 sites internet d’information locale et 22 sites partenaires - s'inspire de la méthode Lean. Les équipes du Quartier General occupent plusieurs fonctions : stratégie, back-office, soutien informatique et même certaines tâches d’édition. Le groupe mutualise les coûts de fonctionnement et peut ainsi concentrer son investissement sur l’acquisition de nouveaux lecteurs et d’annonceurs.
Les nouveaux entrants sur le marché de l’information locale sont nombreux et les modèles économiques sont de plus en plus diversifiés. “L’âge d’or des années quatre-vingt dix est derrière nous. Si le journalisme produit est de qualité et que la structure parvient à en vivre, c’est déjà un succès” commente Rasmus Kleis. Le journalisme local doit se concentrer sur ce qu’il fait de mieux : produire de l’info utile, fournir un sentiment d’appartenance à la communauté et contribuer à faire vivre les débats de société au niveau local. Et Gabriel d’Arcourt de conclure : “Le média local doit servir de catalyseur pour impulser des mouvements qui le dépassent lui-même".
Crédit photo : FIL de Nantes