Par Jeanne Marchalot, Direction de l’Innovation, France Télévisions.
Dans Petites proses, Michel Tournier affirme : « un livre a toujours deux auteurs : celui qui l'a écrit et celui qui le lit ». Selon l’écrivain, le lecteur est un co-créateur et participe donc à la co-construction du récit. La lecture active et potentiellement multiple du lecteur le rend essentiel à l’existence même du récit. Michel Tournier place le lecteur au centre même du processus de création dans un rôle actif et incontournable. L’écrivain et son lecteur deviennent un duo nécessaire à l’existence même du récit.
La question de la narration et du récit est toujours une question essentielle au XXIème siècle car l’être humain a toujours besoin qu’un narrateur lui raconte des histoires. Simplement ce qui change et qui va dans le sens des paroles de Michel Tournier, c’est son rôle : de passif, il souhaite devenir aujourd’hui un acteur du récit. Se pose alors le principe de la co-construction dans toute forme de narration, et notamment filmique (au sens générique du terme).
En même temps que sont apparus puis ont évolués le cinéma et la télévision, la réflexion sur ces médias a posé la question du langage et de fait celle de la participation de celui qui regarde. Le spectateur dans la salle obscure est en situation d’hypnose ; le téléspectateur dans son salon regarde un poste de télé – vision (vision à distance), comme si la télévision était de la « radio illustrée » pour reprendre les mots d’Orson Welles. Si le cinéma et la télévision engendrent une certaine passivité du télé/spectateur, où se situe désormais la co-construction du récit audio-visuel ?
A l’ère du digital, le spectateur s’est mué en un conso-acteur et/ou un utilisateur avec un changement profond de ses attentes et des usages. Je regarde le contenu que je veux, quand je veux, sur la plate-forme que je choisis, sur le support (mobile) que je veux et avec qui je veux. En plus de cette délinéarisation (engendrée par la numérisation des contenus), l’utilisateur veut participer activement au contenu.
Cette interactivité narrative, accompagnée d’une gamification du récit, se retrouve dans le jeu vidéo et les expériences immersives en réalité virtuelle (VR) et en réalité augmentée (AR). L’utilisateur dans la VR au casque par exemple crée le chemin et la linéarité de la fiction par son regard et son engagement corporel. Il crée ainsi une expérience quasi unique avec un ressenti très personnel. Prenons 7 lives, film VR réalisé par Jan Kounen, coproduit par France Télévisions. Dans ce film, chacun fait sa propre narration en portant son regard sur un des quatre personnages et construit de cette façon sa propre expérience. Celle-ci a été pensée linéairement et non-linéairement pour laisser un rôle actif et unique à l’utilisateur. Il s’agit aujourd’hui de dessiner l’UX design, soit le parcours de l’utilisateur.
Dans la réalité virtuelle, la possibilité constante du off et du hors champ, la spatialisation du son et le handtracking (être en interaction avec les mains sans manettes) permettent à l’utilisateur d’être au centre de la co-création de l’œuvre virtuelle et au cœur d’une expérience qui va l’impliquer corporellement, sensoriellement et émotionnellement. Cela change fondamentalement son rôle. Il devient co-constructeur du récit : il est en son centre. La conception d’une expérience immersive doit au préalable penser à cette position de l’utilisateur.
Ce dernier devient ainsi un spectateur/téléspectateur 3.0. Comment aujourd’hui le mettre au centre d’un media comme la télévision ? Comment l’impliquer, co-construire avec lui ? Une des réponses possibles est la proposition d’expériences immersives et interactives, développée à France Télévisions au sein de la direction de l’Innovation, dans le département des Recherches narratives, dont l’objectif est d’explorer le storytelling de demain avec les nouvelles technologies.