Par Barbara Chazelle, collaboratrice scientifique à l'Académie des Médias et du Journalisme (AJM) de l'Université de Neuchâtel. Billet originellement publié sur la plateforme de l'EJO et présenté dans le cadre d'un partenariat avec Méta-Media.
Comme de nombreux médias, la Radio Télévision Suisse (RTS) a entrepris depuis une année une réflexion sur le rajeunissement de ses publics et a lancé plusieurs groupes de travail dont la mission était d’imaginer de nouveaux formats pour atteindre les moins de 35 ans. De cette initiative sont sortis Le Point J, un podcast quotidien qui creuse un sujet d’actualité, Le Rencard, un rendez-vous quotidien en Story sur Instagram et Le Short, un podcast matinal envoyé notamment via WhatsApp à ses abonnés.
C’est sur ce dernier projet particulièrement innovant sur le format mais aussi sur son mode de fabrication que nous avons échangé avec Magali Philip, co-productrice du Short et avec Marie Rumignani, doctorante à l’Université de Neuchâtel et collaboratrice scientifique à la RTS.
Une phase exploratoire inédite
Avant de se lancer tête baissée dans le prototypage de nouveaux formats, la RTS a rassemblé dans son groupe de travail Info35 des journalistes, des responsables de projets numériques, des réseaux sociaux, de la distribution. Cette phase de réflexion a été l’occasion d’une mise à plat des pratiques éditoriales et des usages relatifs à la consommation de l’actualité qui n’est plus linéaire et qui varie selon les publics.
« C’était un groupe volontairement hétérogène, où il manquait certainement des représentants de la technique. En tant que chercheuse, ce fut très intéressant d’observer comment ces informations sur les usages ont été ensuite restituées opérationnellement, par des personnes qui n’étaient pas forcément convaincues au début et qui sont devenues motrices au fil du temps. Cette phase exploratoire était nécessaire pour avoir un même vocabulaire et les mêmes envies pour la suite du projet » se souvient Marie Rumignani.
Une méthode de production innovante
Le projet du Short et le choix de WhatsApp ont émergé dans un de ces groupes de travail.
Comme dans beaucoup de médias traditionnels, les plateformes numériques sont d’abord utilisées pour mettre en avant les contenus TV ou radio et l’on ne se risque que timidement à créer des formats natifs. C’était donc un véritable pari de la RTS que d’imaginer un format journalistique, éditorialisé pour une distribution particulière.
« L’idée était de créer un format matinal pour accompagner la mobilité des jeunes et de contrer la prolifération de fake news qui circulent sur la plateforme de messagerie, » raconte Magali Philip. « Le Short a été confié au journaliste Davy Bailly-Basin. C’est le projet qui a été le plus vite maquetté, et une première version est sortie avec 2 semaines d’avance. »
Un rythme qui s’explique notamment par l’indépendance et la grande dextérité de Davy Bailly-Basin qui produit seul de bout en bout Le Short.
Le journaliste se lève à 3 heures du matin pour choisir l’actualité dont il va parler, rédige son texte, choisit ses bruitages et extraits de films et part ensuite à l’aube enregistrer l’épisode du jour dans les rues de Lausanne pour reproduire l’ambiance « note vocale » qu’un ami aurait pu vous envoyer. Puis il s’occupe du montage, de l’envoi du fichier sur WhatsApp accompagné d’un petit texte et sa publication sur les autres plateformes de podcast (Play RTS, Spotify, Apple Podcast, Deezer) et termine par un Tweet.
Pour Marie Rumignani, ce qui est particulièrement intéressant c’est que Davy Bailly-Basin allie une pratique journalistique classique, en regardant le télé journal du soir et en écoutant la radio pour avoir des lignes directrices, mais les complètent avec la lecture de pure players du web comme Slate ou le Huff Post et d’une veille numérique, notamment sur Twitter pour détecter les signaux faibles.
La chercheuse rapproche la production du Short à la tendance au « liquid journalism », où les pratiques journalistiques se façonnent à un environnement en perpétuel changement, ultra connecté, participatif, mobile. Un courant qui permet de faire émerger des offres et contenus médiatiques individualisés. On voit aussi cette tendance avec la multiplication des newsletters indépendantes ou incarnées par un journaliste précis de la rédaction notamment aux États-Unis.
« Dans le cas du Short, le journaliste est à la fois producteur, présentateur, responsable de la promotion de son contenu. Il est en marge de la rédaction et incarne à lui seul un média original. Cela pose la question de la dépendance à une personne qui a des compétences si précises et si précieuses et de la transmission de son savoir-faire » analyse la chercheuse.
Dépasser le cadre de l’expérimentation
La production du Short, encore expérimentale, se heurte à quelques obstacles pour passer à l’étape supérieure.
Tout d’abord, WhatsApp. Comme tous ceux qui s’y sont collés, utiliser la plateforme à l’échelle industrielle n’est pas si simple. Il faut tester, bricoler et espérer avoir un jour un vrai contact chez WhatsApp qui pourra vous expliquer pourquoi certains messages ne parviennent pas jusqu’à leurs destinataires.
« Le Short compte aujourd’hui 3800 abonnés, mais on a dû ralentir les campagnes de recrutement, car WhatsApp était trop instable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a décidé de distribuer Le Short sur d’autres plateformes de podcast, en cas de problème technique sur la plateforme de messagerie » explique la co-productrice du podcast.
Ensuite, comme souvent pour les expérimentations numériques, le peu de moyen.
Jusqu’au 12 novembre dernier, Davy Bailly-Basin était seul aux manettes. S’il était malade ou en congé, le Short était tout simplement annulé. Il a depuis quelques jours un joker, Joëlle Cachin.
Le budget pour ce format se limite au poste du journaliste et celui d’un développeur pour gérer l’envoi du podcast à 7 heures du matin aux listes d’abonnés à 5 minutes d’intervalle chacune pour éviter les bugs.
Le Short a vocation à devenir un format conversationnel. Environ 10% des abonnés osent déjà envoyer des messages via WhatsApp selon Magali Philip.
Ce sont surtout des réactions ou des encouragements. Mais notre ambition est de créer une discussion sur l’actualité entre les abonnés et une personne de confiance. Pour le moment, Davy ne fait pas encore d’appel aux messages, car nous n’avons encore pas les moyens humains et techniques de les gérer.
Concernant les abonnés, la RTS a réussi avec ce format à toucher les moins de 35 ans, mais aussi des 40-45 ans pour moitié. Pour la co-productrice, « c’est un produit de niche, mais plus généraliste qu’envisagé. » Et si les ados ne sont pas touchés par le format, le public matinal traditionnel de la RTS est rajeuni d’une vingtaine d’années tout de même.
Une bonne nouvelle pour le renouveau des formats audio… et pour le service public selon Marie Rumignani :
La RTS a réussi à nouer un nouvel intérêt, une nouvelle capacité de dialogue avec son public qui attend du service public suisse qu’il se modernise.
___