Par Lisa Rodrigues, MediaLab de l'Information, France Télévisions
Repenser le social, c’est la ligne directrice de la nouvelle étude de l’agence internationale We Are Social. L’année passée a vu les internautes redoubler d’efforts et de créativité pour maintenir un lien social au travers des plateformes et réseaux digitaux. Les relations humaines n’ont pas eu d’autre choix que de se créer et de vivre par écrans interposés, avec les limites que l’on connaît. Pourtant, des enseignements sont à tirer de cette expérience particulière du social en 2020.
Si les possibilités marketing et communicationnelles de ces outils digitaux sont évidentes, le social reset plébiscité par l’étude permet également d’envisager des pistes d’innovation et d’amélioration pour le journalisme. De la collaboration accélérée à un réajustement de l’audience cible, en passant par une digitalisation intelligente et raisonnée, petit tour d’horizon des principaux chantiers du social à lancer dans les médias.
Un véritable journalisme de co-construction
Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, les citoyens ont montré leur intérêt pour des sujets d’actualité et les grandes questions de société. Pour pouvoir en discuter ou s’informer pendant la pandémie, ils ont aussi – et surtout – démontré une incroyable capacité d’adaptation. Ainsi, paradoxalement, si les contacts physiques sociaux ont été diminués, les connexions entre personnes n’ont jamais été aussi rapides et faciles grâce aux messageries en ligne et autres réseaux numériques.
La communication est la clé pour continuer à lancer des projets et à produire des contenus collaboratifs. Elle s’est fortement développée entre les membres des rédactions en télétravail, mais elle doit aussi s'améliorer entre citoyens et journalistes. Intégrer son audience à la vie du média permet de co-construire une dynamique de travail bénéfique à tous, tout en mettant à profit la créativité du public.
Les médias doivent ainsi utiliser les nouveaux canaux de socialisation pour créer une passerelle entre citoyens et journalistes. Dans la presse écrite, le traditionnel courrier des lecteurs devient peu à peu digital, et est de plus en plus pris en compte dans la réflexion des rédactions pour mieux rendre compte de l’actualité. Côté nouveaux formats, Brief.me demande chaque semaine à ses lecteurs de choisir le sujet de la newsletter du weekend. La BBC propose régulièrement aux auditeurs et téléspectateurs de donner leur avis sur les programmes ou la stratégie du groupe. Ces initiatives sont appelées à se multiplier, à s’enrichir et à prendre de nouvelles formes.
Des journalistes plus proches de leur audience
Lors des confinements, la population a surtout construit des réseaux sociaux et d’entraide de proximité au travers, par exemple, de groupes Facebook ou de discussions WhatsApp. Ces chaînes de solidarité se sont souvent maintenues après les déconfinements, rendant encore plus visible l’importance des communautés locales. Cette volonté de réajustement d’échelle du social se perçoit aussi avec la belle audience de la presse quotidienne régionale : 19,3 millions de Français – soit presque un tiers de la population – la lisent chaque jour, tous supports confondus, selon une étude ACPM-One Next.
Pourtant, la proximité ne doit pas seulement être géographique, elle doit aussi être humaine, relationnelle. Et pour cela, rien de mieux que les réseaux sociaux, devenus un des canaux d’accès les plus utilisés pour interpeller ou attirer l’attention des médias et des journalistes. Les rédactions sont plus proches des citoyens et peuvent suivre leur communauté de lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs pour adapter leurs contenus, notamment. Les équipes en charge des plateformes sociales pour les médias enfilent ainsi de plus en plus souvent la casquette de médiateur.
Même si les réseaux sociaux sont loin d’être la seule manière pour les journalistes de s’adresser au public, il n’en reste que ces outils les rendent plus accessibles, à condition de faire une distinction très claire entre compte professionnel et compte personnel. Les contenus publiés sur des comptes personnels pouvant être perçus par certains internautes comme étant publiés « au nom de » la rédaction génèrent parfois des mésaventures, comme récemment au New York Times.
La transparence et les valeurs claires
Se montrer sur les réseaux sociaux, être présent et créer du contenu ne suffit plus. Désormais, pour les internautes, les personnalités et entités publiques doivent être plus transparentes sur leurs valeurs et leurs convictions et, d’une certaine manière, s’engager.
L’engagement en ligne sur des sujets de société est maintenant chose courante et débouche de plus en plus sur des actions dans le monde physique, à l'instar du mouvement Black Lives Matter. Il n’est plus seulement demandé aux médias de couvrir ces évènements, il leur est aussi demandé de prendre en compte certaines revendications dans leur travail. Par exemple, pour rester sur le sujet de l’égalité et de la diversité raciale, le Kansas City Star s’est excusé en début d’année de sa couverture de l’actualité des Afro-Américains sur plusieurs décennies, et de plus en plus de rédactions se posent la question de la diversité dans leurs équipes.
Pour les médias, ces prises de position montrent aussi une forme de reconnexion avec la réalité. La critique de rédactions hors-sol a souvent été formulée ces dernières années, et cela a certainement joué sur la baisse de confiance envers les journalistes et sur la baisse d’audience de certains formats. Sans pour autant devenir militants, les médias ont une parole publique puissante et doivent, à la demande de leur lectorat, l’utiliser à bon escient. Beaucoup prennent donc des engagements sur des sujets comme l’écologie. The Guardian a ainsi stoppé l’année dernière la diffusion de publicités pour les énergies fossiles.
Une relation raisonnée avec les outils sociaux
Une multitude d’outils sociaux digitaux sont disponibles. Certaines plateformes en particulier se sont révélées lors de la pandémie. Les challenges TikTok, les réunions Zoom, ou une session ClubHouse par Elon Musk en personne sont la "nouvelle normalité". Les applications permettant de se retrouver au travers d’avatars ont également cartonné, en particulier dans le monde de l’entreprise, où l'on essaie de reproduire numériquement une vie sociale professionnelle et un semblant de relationnel au travail.
Les réseaux sociaux intègrent progressivement de nouvelles fonctionnalités pour répondre à cette demande d’humanisation dans les interactions sociales en ligne. Twitter, par exemple, développe des outils audio et Instagram a introduit des formats longs, des vidéos et plus d’écrit. Les médias sont, globalement, tous présents sur ces plateformes, en essayant de se tenir au courant des derniers outils à leur disposition, en gardant leurs distances avec certains d'entre-eux, et en les utilisant à bon escient dans le respect de leur propre charte éditoriale et de leurs valeurs.
L’apparition de nouveaux formats et de nouveaux réseaux peut être vue comme une possibilité d’innovation et de rapprochement avec le public. Il ne s'agit pas pour les médias de se lancer tête baissée dans la création de comptes tous azimuts, mais plutôt de tirer le meilleur de ces outils d'interactivité sans perdre leur propre personnalité. Le "Social Reset", ce n'est pas juste la présence sur les réseaux sociaux, c'est la mise en place d'un véritable dialogue avec l'audience, n'importe le canal ou la plateforme.
Avec le Social Reset, le journalisme de demain ne peut et ne doit plus rester dans l'entre-soi.