Par Hervé Brusini, Président du Prix Albert Londres, ancien rédacteur-en-chef de France Télévisions
Voici donc venu l’âge du centenaire pour la radio. Ajoutez quelques mois supplémentaires, et vous aurez la naissance du journal parlé, le 6 novembre 1922.
Il est vrai que déjà, « l’on parlait les nouvelles » dans les théâtres des années 1880, ou au café Procope en 1893. Au fil des années, le succès du média radio a connu un succès autrement plus rapide que celui de la petite lucarne. A tel point que le Vatican lui-même s’est senti obligé d’avoir Son émetteur, pour délivrer Son information, Ses messages.
L’Église s’est alors confrontée à la modernisation de l’acquisition des connaissances, y compris les plus immédiates, comme la découverte de ce qu’il se passe à proximité ou au loin. Face à la presse écrite ou au cinéma, la radio lui est apparue comme un média plus sûr que les autres, moins périlleux pour l’âme. A condition d’avoir une morale...catholique évidemment.
La naissance du journal parlé en France, premiers rapports de force
. Maurice Vinot, de son vrai nom Gabriel Germinet. Le premier journal parlé ;
Depuis près de 10 ans déjà, des bulletins d’information résonnaient dans les foyers européens. En France, l’ingénieur Gabriel Germinet avait conçu dès 1922, un radio-journal diffusé sur l’antenne de « Radiola » une station privée. En fait, l’homme se cachait derrière un pseudo Maurice Vinot. Germinet-Vinot était un formidable amateur des ondes, à la fois technicien et passionné de théâtre. Il avait d’ailleurs déposé l’idée de ce journal parlé auprès de l’organe chargé de la propriété industrielle sous le nom de « Paris info sans fil ». Grâce aux nouveaux appareils à lampes, nul doute que cela ferait merveille. Il s’agissait d’une sorte de radio-gazette parisienne avec des chroniqueurs souvent rassemblés dans les cabarets montmartrois.
Le véritable démarrage eut lieu d’une cabane de bois plantée au pied du pilier nord de la Tour Eiffel le 3 novembre 1925. Le général qui dirigeait la zone avait donné son accord. Effet bienveillant garanti, un panneau « danger de mort », avec le dessin d’une tête aussi réjouissante, accueillait le visiteur. Il pouvait y avoir des reportages diffusés en direct sur « Radiola ». Les dépêches de l’agence Havas venant nourrir en nouvelles ce moment quotidien d’un genre nouveau de la TSF. Selon les spécialistes, l’air de famille avec nos radios actuelles sauterait aux oreilles.
A l’époque, « En haut lieu », comme on disait alors, on prit ombrage de l’influence grandissante de ce média nouveau, et privé de surcroît. Ce n’était là que le début d’une longue histoire de tiraillements divers entre public et privé, où le personnel politique pensait qu’une élection peut se remporter par les ondes...
L’Église doit avoir SA radio
PIE XI et Marconi inauguration de Radio Vatican
10 ans plus tard donc, en 1932, le Vatican se dotait lui aussi de son émetteur pour une radio à l’éthique indiscutable celle-là, puisque répondant aux critères catholiques de la « bonne parole ». Se priver d’un tel moyen de diffusion devenait insupportable, pire une erreur pour qui a pour fonction de diffuser le message biblique. D’autant qu’à Rome l’état d’esprit général était l’émerveillement à l’écoute de la radio. C’est ainsi que tout un corpus vint encadrer la pratique du journalisme radiophonique, et de l’information devenue de temps réel. Car le Vatican ne pouvait demeurer silencieux et inactif sur ce qui forgeait désormais la connaissance des événements. A sa relecture, cet ensemble de doctrines et recommandations ne manque pas d’évoquer les questions posées aujourd’hui à propos de l’univers numérique de l’information. Et sur toute cette histoire, le livre « les médias, textes des Églises » publié au Centurion est une somme documentaire rare.
Les recommandations du Vatican pour une bonne radio
Le 6 avril 1926, dans « la semaine religieuse de Paris », le cardinal Dubois, exprimait une première fois les préoccupations de l’Église à l’égard de la TSF. C’est « une merveilleuse invention », « un instrument de progrès » affirmait-il en préliminaire.
Mais attention, poursuivait l’ecclésiastique, « cette géniale création peut servir également le bien et le mal. Les centres d’où partent les ondes mystérieuses sont à volonté, un foyer de vérité ou d’erreur, de vertu ou de corruption, de délassement moral ou de plaisir coupable... » Et de préconiser « une loyauté scrupuleuse » pour les concepteurs de programmes, et « une vigilance attentive » pour les auditeurs, en allant jusqu’à leur conseiller de « protester » en cas de non « respect des consciences, de la vérité et de la vertu ».
Alors il fallut édicter une première salve de directives à l’endroit des fidèles et des prêtres. Les années 1927 et 1928 ont vu paraître quelques textes de mises au point émanant du Saint Siège. Consigne fut donnée à l’église allemande, de diffuser de la musique sacrée à la radio, mais était-il précisé, s’il ne « s’agit pas de chants exécutés durant l’office divin lui-même ». Sinon, c’était un « abus...pratiqué sans le consentement du Saint-Office ». Soucieux de garder les paroissiens en présentiel, comme on aime à le dire en ce moment, le Vatican affirmait aussi comme une forme de bataille de l’audience. « Il ne faut jamais suggérer l’idée qu’une audition de TSF peut remplacer l’assistance au service divin et suffire aux obligations du dimanche ». Fermeté absolue de l’injonction.
Radio Vatican, se battre pour l’audience
PIE XI dans les jardins du Vatican à proximité de l’émetteur de radio Vatican
D’ailleurs, somme toute, une bonne radio était une radio catholique, était-il suggéré en toile de fond de ces recommandations.
Car, « la radio est un des moyens les plus influents que Dieu nous ait donnés, et que l’intelligence humaine ait inventé pour atteindre la grande masse » écrivit l’épiscopat hollandais dans une lettre d’avril 1930.
Autrement dit, « la radio est d’une importance capitale pour l’église », il fallait donc se battre « contre les dangers d’une radio non catholique » en fabriquant ses propres programmes. Et faire que « bientôt, il n’y aura plus une seule famille où la radio catholique ne pénètre pas ».
Toujours la bataille de l’audience, mais cette fois dans le champ même du nouveau média, au milieu des autres offres de programme. Tout cela parce que dans les salles obscures, l’autre moyen de diffusion de l’information, le cinéma, n’est vraiment pas recommandable. Le « cinéma, c’est la cupidité qui spécule sur la sensualité », un cri de répulsion proféré par l’évêque de Vicence, en février 1929. Il poursuivait son réquisitoire en pointant « les scènes de séduction, les intrigues des adultères, les dévergondages des milieux les plus abominables... ». Les voilà bien, les risques du cinéma, grondait l’homme d’église. La saleté de l’image salissait l’âme. L’alarme était lancée. « Que les cinémas de patronage et des paroisses apportent le plus grand souci à la révision des films, que dans les salles ils ordonnent la séparation des sexes, et que le spectacle ne se prolonge pas au-delà de minuit. » Cette vision, si l’on ose dire, du 7e art, était très partagée à l’époque, même si certains dans l’église, y voyaient aussi un instrument d’éducation...
Radio Vatican
La radio, elle au moins, ne présentait pas tous ces dangers. Bien sûr, l’église recommandait la vigilance, mais le média était en quelque sorte considéré comme intrinsèquement praticable. Alors, le Vatican s’est doté de sa propre Antenne, Radio Vatican dont la mission est encore de faire entendre « la voix du pape »
Sa sainteté se nommait alors Pie XI. Ambrogio Achille Damiano Ratti, de son nom de baptême, savait se faire respecter. On lui doit l’apparition papale au balcon de Saint Pierre. On le décrivait autoritaire, capable d’ironie, et surtout en mesure de faire face au nouvel homme fort au pouvoir, Benito Mussolini, un anticlérical dont PIE XI n’appréciait guère l’idéologie. Après les accords du Latran signés en 1929 précisément avec le Duce, le voici à la tête de l’État du Vatican nouvellement créé. Un État désormais en mesure d’avoir SA radio. Et dans le contexte du moment, politiquement tiraillé entre fascisme, nazisme et communisme, et médiatiquement tourmenté, confronté aux méfaits de l’image, cela semblait hautement nécessaire. La chose fut d’autant plus réalisable que l’Italie comptait parmi ses concitoyens l’un des grands inventeurs des techniques de la radio, Guglielmo Marconi. Et c’est lui qui sera chargé de la mise en œuvre de l’émetteur situé dans l’enceinte même du micro-État.
G. Marconi
Le 12 février 1931, les catholiques découvraient la voix de leur souverain pontife sur l’antenne de Radio-Vatican « ...Pouvant le premier NOUS servir d’ici de l’œuvre admirable de Marconi, Nous Nous adressons pour la première fois à tous les hommes et à toutes les choses en leur disant, maintenant et par la suite les paroles de la Sainte Écriture... Gloire à Dieu qui en ces jours, a donné aux hommes une telle puissance, que leurs accents vont jusqu’aux extrémités du monde ».
PIE XI, « les journalistes sont des haut-parleurs »
L’installation de l’émetteur du Vatican
Universalité, temps réel, force d’influence, Pie XI était bien conscient des pouvoirs et enjeux qui étaient les siens à l’instar des autres puissants de la planète. Quatre jours plus tard, son encyclique Casti Connubii, reprenait le verdict de l’évêque de Vicence. Le cinéma y était qualifié de « mal », au même titre que ces « variétés », ces spectacles que les « adolescents des deux sexes » allaient voir dans des salles avec une « assiduité désolante ».
Par comparaison, la presse apparaissait à l’instar de la radio, comme un instrument « d’éducation du peuple, de vie intellectuelle » écrivait en 1931 un cardinal allemand. Il déplorait « Le film qui projette ses images avec une rapidité telle qu’elles papillonnent... que leur changement aussi rapide que l’éclair rend à peine possibles, la pensée et la réflexion... »
Avec le journal en revanche on pouvait prendre le temps de la relecture, de l’intelligence ajoutait le prélat de Münich. Soit. Mais pour le pape l’essentiel était ailleurs. A chercher du côté du journalisme lui-même. Lors d’un pèlerinage de la presse catholique à Rome en juin 1933, Pie XI exprimait clairement sa pensée.
« D’aucuns ont dit que les journalistes sont les ‘porte-voix’ de l’opinion publique, d’autres, qu’ils en sont parfois les fabricants. L’une et l’autre définition paraissent vraies...Il suffit de considérer la souveraine importance de l’opinion publique, une force pourtant indéfinissable et insaisissable... ».
Pie XI semblait donc entériner l’exercice, la pratique journalistique. Une sorte de constat papal d’un fatum éditorial, « C’est ainsi, des professionnels font l’information...», semblait-il reconnaître. Mais attention, un principe de responsabilité s’applique à eux, il y a la bonne et la mauvaise info. Pie XII théorisera longuement plus tard sur tous ces points, a fortiori avec l’apparition de la télévision.
Pour sa part, PIE XI, expliquait qu’il existait également des journalistes catholiques. Et ceux-là étaient selon lui, en quelque sorte des radios humaines. « Pour user de la terminologie moderne, disait-il toujours en 1933, on pourrait qualifier les journalistes catholiques, non plus seulement de porte-voix, mais de haut-parleurs de l’Église, de la vérité, de la foi chrétienne... »
C’est très certainement ce qu’on appelle la radio incarnée à défaut d’incarnation radiophonique. Un an plus tard, PIE XI s’adressait cette fois aux journalistes français. Le 7 janvier 1935, à Rome il leur affirmait : « Je sais que vous avez conscience de votre pouvoir...de ses redoutables responsabilités. Vous êtes les grands seigneurs de la parole. » Et citant un grand poète italien, il ajoutait : « La parole est la maîtresse du monde. Ne jamais trahir la vérité... »
Le président Pompidou, lui, parlera plus tard de « voix de la France » même s’il parlait de la télé à l’époque de l’ORTF. Décidément, la radio encore et toujours.