À l’origine, l’ambition d’Unity était de rendre la conception de jeux vidéo accessible à tous. Aujourd’hui, alors que plus de 50 % des jeux sur mobile, consoles, PC et VR ont été réalisés avec ce moteur, la société renouvelle ses ambitions. Unity ne sert plus seulement à la réalisation de jeux, mais plus généralement à la création d’expériences interactives.
Entretien avec Mathieu Muller, product manager chez Unity Technologies, mené par Chrystal Delfosse
Le public est-il prêt à voir émerger cette évolution ?
Ce que l’on voit, c’est que l’adoption de la réalité virtuelle a largement augmenté ces derniers temps. Cela a été une adoption croissante qui n’a jamais diminué depuis son lancement. Jusque-là, la fragmentation du hardware limitait cette croissance, soit on était portable avec une qualité moyenne, soit on était branché à un PC avec de la haute qualité. Le Quest 2 de Facebook a permis, pour la première fois, d’utiliser le même appareil pour avoir du contenu portable ou streamer du contenu depuis un PC en très haute qualité. En plus d’être utilisé pour le jeu vidéo, le Quest 2 est reconnu dans certains pays comme un outil de bien-être pour faire du sport ou se détendre. C’est donc un outil qui se retrouve partout et qui peut être adopté par une population large aussi bien casual que hardcore gamer.
Cela dit, même si grâce à l’Oculus Quest 2, Meta possède la technologie, avec un écosystème et une multitude de services qui fonctionnent très bien ensemble, je ne crois pas qu’il y aura un seul métavers créé par Facebook, tout comme il n’y aura pas un seul appareil. Depuis le store du Quest 2 ou depuis Steam, il est toujours possible de télécharger et d’installer des applications indépendantes. À Unity, nous sommes persuadés qu’il existera plusieurs métavers, c’est même tout l’intérêt.
Quel est le rôle de Unity dans la construction des métavers ?
Au début, notre rôle était de démocratiser la création de jeux vidéo. Aujourd’hui, notre but est de démocratiser la création de contenus interactifs de manière plus large - et donc, par extension, des métavers. Nos outils sont accessibles à n’importe qui. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faut appuyer sur trois boutons pour créer un métavers, en tout cas, pas au stade actuel. Mais, globalement, on veut donner la possibilité aux gens de créer ces contenus originaux, ces environnements et ces interactions qui donneront envie aux utilisateurs de se retrouver. Notre pari, et ce qui a fait notre business, c’est de réussir à créer des outils qui sont à la fois professionnels et accessibles à tous, ainsi que de créer un écosystème qui réunit ces deux milieux. Et en pratique, que ce soit dans le jeu vidéo ou dans la VR, il y a de plus en plus de titres comme The Ramp par Paul Schnepf, The Falconeer par Tomas Sala, Vermillion VR par Thomas van den Berge aka Thomas Mountainborn, qui sont réalisés par une seule personne et parfois même assez jeune.
Quels sont les enjeux de la régulation de ces espaces virtuels ?
Je pense que c’est l’opportunité de réguler de manière différente l'Internet. Aujourd’hui, on a associé l’ensemble des contenus avec une individualité physique : je suis connecté avec un compte ou un identifiant qui me représente, mais il n’y a pas d’intermédiaire entre ma personnalité physique et virtuelle. Sauf que cet aspect binaire actuel fonctionne mal : soit on empêche la liberté d’anonymat, soit on met en danger la responsabilité.
C’est pour cela que je trouve la notion d’avatar centrale. En régulant des avatars et en leur donnant une réalité juridique, ils deviendront un intermédiaire à la personne physique, avec une responsabilité, des droits et des devoirs. Je pense que cela pourrait aider à réguler l’Internet et permettrait de conserver un anonymat physique dans un environnement virtuel, tout en ayant des responsabilités. Alors, en cas de conflit ou de délit, on pourrait accuser un avatar, mais sans savoir qui est derrière tant qu’il n’y a pas de procédure juridique.
Finalement, quelle est la différence entre la vie réelle et les métavers ?
Il ne faut pas avoir peur des métavers, ce n’est qu’une façon de faire ce que l’on fait dans le monde physique, mais en ayant un impact écologique plus faible. Parce que nous n’avons plus à voyager au bout du monde pour travailler ensemble, par exemple, et parce que nous ne sommes plus obligés de produire des objets en plastique pour faire des activités. Désormais, cela peut se vivre de manière virtuelle.
C’est ma vision personnelle, et je suis moi même surpris d’en arriver à cette conclusion, mais je pense qu’à un moment, il est possible que l’on se passe d’une grande partie de notre matérialisation actuelle, car presque tout sera disponible en réalité augmentée. Par exemple, un appartement n’aura besoin que des choses essentielles pouvant être manipulées et que le reste sera projeté ou joué de manière virtuelle. Si on en arrive là, utiliser un hardware n’aura plus grand intérêt. Alors, s’implanter une puce qui se branche directement à nos yeux et dont l’énergie est produite par notre corps pourrait avoir du sens. Cela nous permettrait de nous passer de l’équipement plastique.
Cela paraît être de la science-fiction, mais quand on extrapole les tendances, qu’on regarde plus loin après 25 ou 30 ans de métavers, on pourrait imaginer que l’homme en arrive là. Le transhumanisme est une forte notion de science-fiction qui ne s’est jamais réellement produite, et, pour moi, le métavers pourrait être la dernière étape avant d’y arriver. S’il devient essentiel, alors on y arrivera naturellement. C’est ce qui est excitant en ce moment : nous sommes en train de regrouper tout un tas de choses qui n’avaient rien à voir ensemble, et c’est une étape majeure qui est complètement corrélée aux enjeux environnementaux. C’est comme ça que toute l’histoire de l’être humain s’est fabriquée : lorsqu’il est confronté à un problème, l'homme trouve une technologie pour le dépasser et l’âge suivant se base dessus. Alors, je pense que notre âge courant s’arrêtera au métavers et le suivant commencera au début du transhumanisme, comme nous sommes passés de l'Âge du Bronze à l'Âge du Fer.
Photo de Une : NORITSU KOKI sur Unsplash