Si vous avez la curiosité de vous rendre dans cet espèce de précurseur des métavers qu’est Second Life, vous serez peut-être étonnés de découvrir un message d’accueil sur un panneau d’affichage virtuel, relié directement à YouTube. Pas très immersif, non ?
Par Aurore Géraud, Senior Researcher à L'Atelier, filiale indépendante de BNP Paribas
Et pourtant, la plateforme a certes presque 20 ans, mais ses créateurs l’ont conçue en ayant à l’esprit les opportunités que ce type d’environnements pouvaient offrir en termes de diversité des canaux de communication et, donc, de cibles potentielles : ses créateurs et ses utilisateurs ! Car déjà à l'époque, on voit naître des gazettes virtuelles tenues par des journalistes-avatars qui relatent l’actualité de la plateforme. Aujourd’hui, les environnements virtuels que l’on pensait jusqu’à présent réservés aux joueurs de jeux vidéo sont passés d’un type de divertissement unique à de véritables vecteurs de transmission de l’information, à de véritables médias.
La pandémie n’y est certainement pas pour rien. Chacun chez soi, il a fallu réinventer notre façon de travailler, d’apprendre et de se divertir. Toutefois, tout comme Second Life, les outils étaient déjà là depuis bien longtemps. Ils attendaient simplement l’évolution des méthodes de consommation des utilisateurs pour briller.
Immersion et communauté : vers de l’information interactive
Immersion, interactivité et proximité sont en effet devenus monnaie courante quand il s’agit de consommer des contenus. Et les métavers ont cet avantage de posséder en leur cœur la technologie capable d’apporter ce type de formats sans effort.
La transmission de l’information peut ainsi se faire dans un premier temps d’avatar à avatar. Si on reprend encore une fois l’exemple de Second Life, au début des années 2000, les universités de Caroline du Nord, de l’Ohio, l’Arkansas, du Wisconsin ou encore de Leeds - parmi tant d’autres - y installent une ‘branche’ virtuelle. Nombre de professeurs tentent l’aventure de cours magistraux au sein de mini amphithéâtre, mais également des cours immersifs, des mises en situation et simulations, permettant aux étudiants d’apprendre autrement.
C’est le cas, notamment, d’Estelle Codier, professeure associée à l’université d’Hawaï. Elle y a formé des étudiants infirmiers pendant des années. L’avantage de ce type d’environnement pour elle, se trouve dans l’interaction. Ce ne sont pas des cours classiques, les étudiants cachés derrière leurs avatars gagnent en confiance et posent plus de questions qu’ils ne le feraient en cours.
Si l’on applique la technique au domaine journalistique, on peut s’imaginer un journaliste répondre aux questions de son audience, être capable de couvrir des sujets en profondeur, proposer des débats, et, pourquoi pas, effectuer des interviews par ce biais. L’enrichissement est certain puisque le public est présent et, à la différence de médias classiques, capable de faire des retours en direct. Et pourquoi pas de co-créer.
Si on l’applique au domaine des médias, plus largement, un créateur de contenu se retrouve face à face avec sa communauté. Il peut alors défendre son œuvre ou répondre aux curiosités et ainsi créer une forme de complicité, d’intimité, d’exclusivité. Un exemple serait celui de l’avant-première du dernier Star Wars sur Fortnite. Le réalisateur était présent sous forme d’avatar pour interagir avec les utilisateurs.
Mais l’information peut également « s’expérimenter ». Quand les contenus, vidéos, articles, peuvent être statiques, les mondes virtuels ont ce potentiel de montrer, d’offrir un espace où il est possible de « voir » et de s'éduquer par soi-même. On retrouve ici le principe de gamification.
Durant la COP26, l’Université de Stirling a ainsi développé une application qui met l’utilisateur dans la peau d’un chef d’État qui doit installer des barrages hydroélectriques. Un mauvais positionnement et une inondation ou la destruction de la biodiversité sont vite arrivés. Cet exemple montre l’éventail de possibilités : se mettre à la place de quelqu’un pour mieux comprendre leurs problématiques, mais aussi intégrer les conséquences d’une action concrète dans la société…
Reporters sans « frontières » et véritable diversité
Mais le potentiel des mondes virtuels va au-delà des nouveaux formats. L’information gagnera à ne plus être limitée par les frontières physiques, et la diversité devrait s’inviter à la fois dans l’audience mais aussi dans la création de contenus.
Ainsi, Reporter sans frontières a dévoilé l’année dernière une bibliothèque virtuelle sur Minecraft qui défie la censure de certains pays. Disponibles librement dans le petit univers pixelisé, on retrouve des articles de journalistes exilés, emprisonnés dans leurs pays d’origine pour avoir voulu dévoiler des malversations. Une façon aussi de se battre face à la désinformation.
De même, dans les pays où les personnes LGBT+ sont persécutées, les métavers pourraient offrir des environnements plus sains afin de leur permettre d'accéder à de l’information, s’éduquer, communiquer avec des personnes dans leur situation, quand ils n’ont pas autour d’eux des personnes bienveillantes. Un environnement également où il leur sera possible d’être véritablement eux-mêmes, la personnalisation des avatars permettant d’exprimer son originalité ou sa personnalité de façon libre.
Enfin, on prédit que les métavers seront dans un premier temps accessibles par mobile. Cela implique que des minorités économiques puissent avoir également accès à ceux-ci. Elles pourront alors également avoir accès à des contenus qui leur étaient jusqu’alors limités.
La second vague...
De journaux physiques à journaux en ligne, de chaînes hertziennes à streaming, de radio à podcast : la digitalisation des médias est directement impactée par l’évolution des technologies. Si la première vague venait de l’apparition d’Internet, la seconde viendra de ces nouveaux environnements plus immersifs mais aussi plus communautaires. Aux médias de s’adapter, encore une fois… Peut-être en se concentrant sur le positif...