SXSW 2022 – Amy Webb prédit la fin du marketing dans le métavers

Par Kati Bremme, MediaLab de l’Information

Pour ce 35ème anniversaire de SXSW, et comme chaque année depuis 15 ans, Amy Webb a partagé sa vision du futur basée sur une analyse poussée des données qui lui permet à la fois de détecter des tendances faibles et de confirmer des hypothèses des éditions précédentes. Véritable star de SXSW, la directrice du Future Today Institute et professeure à la NYU Stern School of Business met à disposition son Tech Trends Report en Open Source, accessible à tous, dans la parfaite tradition du Web 3.0. Trois tendances et scénarios clés dans l'édition 2022 : l'Intelligence Artificielle (toujours), la biologie de synthèse (de plus en plus) et bien-sûr le métavers.  

Remettre en question nos modèles de pensée établis à l'exemple d'une image du psychologue Karl M. Dallenbach, voilà le leitmotif de sa présentation qui repose cette année sur la "re-perception" : prendre conscience des espaces blancs pour détecter quelque chose de nouveau dans les informations existantes, essence même de la créativité, de l'innovation et de l'entrepreneuriat et élément incontournable pour gérer l'ambiguïté et l'incertitude du présent.

1La révolution de l'IA, reconnaissance et surveillance

Après quelques années de flottement grâce à des technologies pas encore au point, l'IA modifie désormais définitivement notre perception de la réalité. Quand en 2012, il a fallu 16.000 processeurs et 10 millions de vidéos YouTube pour entraîner une IA à reconnaître un chat, et qu'en 2019 on s'est retrouvés devant des générations automatiques d'images de chat plus que douteuses, les images créées par l'IA en 2022, entraînée par le nombre infini de données que nous générons tous les jours avec nos devices connectés, sont plus vraies que la réalité. L'année dernière, DeepMind a publié dans la revue Nature un article décrivant MuZero, qui a maîtrisé les jeux de Go, d'échecs, de Shogi et Atari sans qu'il soit nécessaire de lui expliquer les règles. Ce fut une étape importante vers des systèmes d'IA fonctionnant dans des environnements inconnus - et un signe que les algorithmes à usage général sont à l'horizon.

Quand on se pose encore des questions sur l'encadrement juridique de la reconnaissance faciale, l'IA est déjà capable d'identifier une personne par son rythme cardiaque ou par sa respiration. L'armée américaine travaille sur la reconnaissance de micromouvements et en 2024 l'IEEE, l'Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens, prévoit de nouveaux standards Wifi. Non pas pour nous aider à mieux communiquer entre-nous, mais pour traiter les données biométriques plus efficacement. Des métahumains d'Unreal Engines, à la plateforme Synthesia pour créer des acteurs synthétiques en 60 langues en passant par GPT3 qui sait générer des textes de plus en plus pertinents, l'IA nous inspire désormais davantage confiance que la réalité

Deux scénarios pour 2027, selon la direction que nous allons donner à ces développements technologiques : l'un positif, où la transparence règne, les systèmes de reconnaissance biométriques sont interdits dans l'espace public, la recherche est plus accessible car partagée, où nous sommes aidés par des coachs d'emploi en IA et où l'Intelligence Artificielle nous permet d'être plus productifs (20% de probabilité). L'autre scénario est négatif (80% de probabilité selon Amy Webb), où nous sommes exposés en permanence à la désinformation en images et vidéos, conçues pour tromper notre confiance ou manipuler nos émotions, où nos données sont détenues par des tiers qui peuvent les vendre et où nous aurons besoin de brouilleurs, peut-être sous forme de maquillage, pour échapper à la surveillance totale par l'IA.

2Métavers, Web3 et décentralisation

Voilà pour la liste des buzzwords que l'on croise cette année à SXSW. Pour Amy Webb, la prochaine itération du web est réelle. Mais les objets de collection numériques (NFT) ou encore la spéculation immobilière dans le métavers ne lui paraissent pas comme des tendances à fort potentiel durable. A vérifier dans quelques années. La prochaine version d'Internet sera en tout cas plus incarnée, plus sensorielle. Une interface plus humaine où l'on utilise davantage notre corps pour communiquer, à travers des wearables, des secondes peaux digitales.

Un monde où nous pourrons créer plusieurs versions de nous-mêmes, en agissant de différentes manières, un peu comme nous le faisons déjà sur les médias sociaux avec différentes facettes sur LinkedIn, Instagram, Twitter ou TikTok. Au concept du métavers manque aujourd'hui l'interopérabilité : il n'est pas possible de transporter nos données dans différents espaces virtuels. En effet, si nous pensons déjà qu'il est difficile de gérer plusieurs mots de passe, qu'en sera-t-il de la gestion de nos multiples avatars dans les différents métavers, chacun avec sa particularité ? Dans ces nouveaux espaces plus ou moins virtuels, il n'y aura plus d'anonymité, mais une pseudonymité, poussée sous forme de Digital ID par plusieurs gouvernements.

Des entreprises comme Golem Network proposent déjà des modèles économiques pour monétiser nos vies (et nos données) dans ces univers connectés. Une sorte de AirBnB des données, selon Amy Webb. Pour la futuriste, les NFT, sans valeur intrinsèque, ne sont en revanche pas un modèle d'avenir, mais l'infrastructure et les protocoles sur lesquels ils reposent le sont d'autant plus. La 5G est déployée dans le monde entier. Que se passerait-il si tout ce temps d'activité pouvait être regroupé dans un seul tableau de bord - notre maison connectée entière gagnera-t-elle de l'argent pour nous ?

Les possessions virtuelles évoluent, passant de l'art, des objets de collection, de la mode et de l'immobilier à des articles dotés d'une fonction ajoutée unique dans le métavers, comme les NFT liés à l'art qui versent un dividende au propriétaire lorsque l'œuvre réelle correspondante est vendue ou consommée, ou qui donnent accès à des environnements virtuels exclusifs. Mais le métavers de Horizon montre déjà ses côtés négatifs avec des accusations de harcèlement. La réponse désormais classique de Facebook - "Nous ne sommes qu'une plateforme" - sera peut-être moins bien acceptée dans le Web3. Grâce à la TDI, la Targeted Dream Incubation, on peut prendre influence sur nos comportements.  

Dans le métavers, les médias devront également commencer à réfléchir à leur proposition de valeur à long terme : Si une plus grande partie de notre vie se déroule sur des plates-formes dotées de fonctions intégrées d'archivage et de lecture, le rôle d'un journaliste doit-il encore être de raconter ce qui s'est passé ?

Le scénario optimiste pour 2032 prévoit une prise de conscience : le Web3 n'est pas décentralisé, mais il est radicalement inclusif, reposant sur la sécurité de la blockchain, accessible à tous. Dans son scénario négatif (auquel Amy Webb attribue 70% de probabilité), nous nous retrouvons avec 12 itérations de nous-mêmes, essayant désespérément de nous souvenir de nos identités. Face à cette abondance d'identités, le marketing numérique est mort. 

3Biologie de synthèse

Les ordinateurs et la biologie ne font plus qu'un. Google, Facebook et Microsoft investissent largement dans la biologie. Nous n'avons pas encore de bébés sur mesure et d'eugénisme, mais des poulets qui arrivent à pleine maturité en 7 semaines. Entre un poulet génétiquement modifiée et un poulet créé dans un bioréacteur, le choix peut s'avérer difficile. La viande synthétique apparait pourtant comme une solution dans un pays où l'on consomme 1,45 milliard d'ailes de poulet en une seule journée à l'occasion du Superball. La viande de culture est d'ailleurs déjà en vente à Singapour, ce qui transformera l'état insulaire en un important exportateur de poulets.

La biologie de synthèse est un domaine scientifique interdisciplinaire relativement nouveau qui associe l'ingénierie, la conception, l'informatique et la biologie. Les chercheurs conçoivent ou redessinent des organismes au niveau moléculaire à des fins nouvelles, en les rendant adaptables à différents environnements ou en leur donnant des capacités différentes. En biologie synthétique, les séquences d'ADN sont chargées dans des outils logiciels - on imagine un éditeur de texte pour le code ADN - ce qui facilite les modifications. Une fois que l'ADN a été écrit ou modifié, une nouvelle molécule d'ADN est imprimée à partir de zéro à l'aide d'un outil semblable à une imprimante 3D.

La technologie de synthèse de l'ADN (transformation du code génétique numérique en ADN moléculaire) s'est améliorée de manière exponentielle et permet aujourd'hui des applications à haute valeur ajoutée, telles que les biomatériaux, les carburants et les produits chimiques spéciaux, les médicaments, les vaccins et même les cellules modifiées qui fonctionnent comme des machines robotiques à l'échelle microscopique. On peut même utiliser l'ADN pour stocker des données, un espace supplémentaire bienvenu face à la gourmandise en termes de données du métavers.

Les deux scénarios prévus par Amy Webb pour un futur à horizon 2037 : du côté positif, la mort devient facultative, tout est génétiquement modifié pour le mieux, la blockchain garantit les développements réglementés au niveau national et international, les collaborations mondiales soutiennent le progrès pour le bien-être de tous. Le scénario catastrophe : 2022 n'aura pas su voir le point d'inflexion, n'aura pas écouté les scientifiques, et des hackers nous font du chantage biologique avec des virus ultraciblés personnalisés.

Nous sommes dans une période d'accélération intense. Les biais persistent, et il s'agit de les fixer. Le rêve de la décentralisation va bénéficier à quelques-uns, mais certainement pas à tous, d'autant plus en l'absence de stratégie nationale et de garde-fous. Nous allons devoir redéfinir ce qu'est la réalité.

 

 

Pour accéder au rapport complèt des Tech Trends 2022