Par Pascal Doucet-Bon, Directeur délégué de l’information
Se livrer à une synthèse du Festival International du Journalisme de Pérouse 2022, sous l’angle de l’état de la presse démocratique, c’est risquer le désespoir, tant le tableau est noir. Mais quelques raisons d’espérer émergent, à commencer par l’incroyable affluence, boostée par les étudiants italiens très nombreux, à l’assaut de salles désormais trop exigües.
Choses vues et entendue à Pérouse (et les liens qui vont avec !) :
Concentration, perte d’influence des médias « mainstream »
Aucun pays n’échappe au phénomène : face à la baisse rapide des recettes publicitaires (et face aux plateformes en ce qui concernent la télévision) les médias du monde entier, France incluse, se concentrent.
« Pour les journalistes », déplore Alan Rusbidger, rédacteur en chef du magazine Prospect, et ancien patron du Guardian, « cela signifie moins d’employeurs potentiels », « ce qui est terrible pour les journalistes d’investigation si par ailleurs un Etat contrôle les rares groupes restants ou passe des alliances avec eux, comme c’est le cas au Brésil », précise Daniela Pinheiro, éditorialiste d’UOL et une des cibles favorite du "Hate Cabinet" de Jair Bolsonaro.
« Si vous êtes black listé, vous n’avez pas d’autre choix que de rejoindre une structure indépendante sans grand moyen, ou de créer la vôtre sans modèle économique ».
« On voit apparaître, à l’instar du mauvais exemple américain, des groupes privés cachant à peine l’agenda politique, en général populiste, des milliardaires qui les acquièrent », constate Julie Posetti, du Centre International pour les Journalistes. Toute ressemblance avec la situation en France n’est pas nécessairement fortuite…
Un chiffre paroxystique peut résumer le marché d’aujourd’hui :
« Au Brésil (209 millions d’habitants) la circulation cumulée des trois grands quotidiens est d’1,5 million, comparée aux 140 millions d’utilisateurs de WhatsApp et aux 60 millions d’utilisateurs de Telegram, déclarés comme principale source d’information par une large majorité », déplore Patricia Campos Mello, journaliste à Folha de Qao Paulo.
« Les fils WA et Twitter du [parti fondamentaliste Hindou] BJP sont les médias les plus lus en Inde", constate Rana Ayyub, éditorialiste au Washington Post dans son émouvante conférence relatée par Méta-Media. Dans ces pays, les médias traditionnels ont raté le virage numérique.
« La situation en Europe est moins critique, évidemment, mais la tendance est bien la même", rappelle ce rapport de l'Union Européenne de Radiodiffusion
Des médias publics remis en cause
Le « News report » annuel de l’UER, résumé dans cette conférence par Alexandra Borchardt, qui en a coordonné l’écriture, décrit les deux types d’attaques que subissent les médias de service public en Europe. Le premier vient des acteurs politiques dits « illibéraux », le plus souvent classés à l’extrême droite.
« Il s’en est fallu de peu pour que le service public suisse ne ferme ses portes », rappelle Borchardt. « Il s’en est sorti par une très bonne campagne d’information sur son utilité. Le deuxième type d’attaque vient des politiques les plus libéraux, parfois appuyés par un lobbying efficace des acteurs privés. »
Les journalistes-cibles
Le classement annuel de Reporters Sans Frontières le rappelle : la situation de la liberté de la presse en 2022 est la plus critique depuis 20 ans. La reconnaissance internationale (comme pour Rana Ayyub à Pérouse), protège moins que par le passé.
Maria Ressa, prix Nobel de la Paix 2021 fait face cette année à 16 nouvelles « procédures baillon » diligentées par le pouvoir philippin contre elle et son magazine Rappler.
Les cas de cyber harcèlements orchestrés par les Etats, organisés en armée de trolls, sont désormais monnaie courante.
Par ailleurs, « L’autocensure érigée en culture » est aussi décrite dans de nombreuses tables rondes, comme celle Xiao Qiang, rédacteur en chef du China Digital Times
L’espoir dans l’adaptation
Face aux menaces anti-démocratiques, directes ou économiques, les journalistes inventent, même si le programme de Pérouse peut paraître un peu maigre dans ce domaine. Le monde compte plusieurs collectifs de journalistes indépendants, connus et internationaux comme l'ICIJ, dont la conférence a fait salle comble, ou Splann! , collectif breton cité parmi d’autres alliances de journalistes locaux.
Forbidden Stories, qui reprend les enquêtes de journalistes assassinés, est aussi mis à l’honneur à propos la mise au jour du scandale Pegasus.
Quant à la lutte contre le cyber harcèlement des journalistes , trois conférences en décrivaient les progrès dans les rédactions ainsi que dans les associations internationales.
Les outils et méthodes d’investigation, nouveaux ou pas, s’enseignent désormais en dehors des seules écoles de journalisme. Pérouse comme d’autres événements internationaux, marque l’apparition d’une « culture de la vérité ». « C’est comme si le journalisme se réveillait enfin de sa sieste de nanti » remarque un confrère italien dans le public d’une des tables rondes :
-le géo journalisme sur lequel Méta Médias vous propose ce focus ,
-les techniques de fact checking des manipulations d’Etat à travers les réseaux sociaux dans cet excellent atelier.
-Les progrès du data journalisme tels que les montre le prix Sigma (must see !)
-Le partage sur la protection des lanceurs d'alerte à travers des plateformes sécurisées comme Globaleaks.
Dans une approche plus entrepreneuriale et tournée vers le changement climatique, voir aussi l’excellente synthèse du Reuters Institute.