Entre inflation et populismes, la télévision, et plus particulièrement celle de service public, est en pleine crise. Le Festival de TV d’Edimbourg est de retour « dans la vraie vie », devant un contexte marqué par la pandémie mondiale, le Brexit et les impacts économiques de la guerre en Ukraine. Les professionnels de la télévision britannique remarquent avec effroi l’absence de public international qui animait encore la dernière édition de 2019 dans la capitale écossaise.
Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective
Au programme de ce festival, où les services de streaming internationaux ont désormais la même place que les grandes chaînes nationales : comment créer de la valeur (et pour qui) avec des moyens réduits drastiquement ? Globalisation versus contenus locaux, inclusivité et accessibilité, développement durable et couverture de la crise climatique - autant de challenges dans un monde, où la préoccupation première des spectateurs sera bientôt le choix entre « heating, eating or streaming » (se chauffer, manger ou s’abonner à un service de streaming).
Configurer une mise à jour pour récupérer les nouvelles sorties du système, le mot « reboot » était dans la bouche de tout le monde, avec différentes interprétations. Pour les uns, il s'agit de faire revivre les grands succès de la télé (le retour de Big Brother sur ITV, Gladiators sur BBC1...) ; pour les autres c’est aussi de comprendre ce que la génération Z entend sous « regarder la télé » (i.e. streamer sur l’écran TV, voire même regarder une série originale sur Snapchat), quand on est confronté aux derniers chiffres de l’OFCOM qui indiquent que les 16-24 ans regardent 7 fois moins la télévision que les plus de 65 ans.
Autre grand débat qui animait les trois jours du festival : dans un monde marqué par la montée des populismes et les « faits alternatifs », quelle est la meilleure façon d'informer ? La BBC (et les représentants du gouvernement conservateur) défendent bec et ongles l’importance de « l’impartialité » de la télévision de service public, quand la journaliste Emily Maitlis explique dans sa lecture MacTaggart que l’impartialité mal appliquée sous forme d’un « both sides-ism » excessif fait le jeu des populistes.
Retour sur trois jours de débats animés (et parfois tendus) entre plusieurs interprétations de la télévision :
La bataille pour la survie du service public
Pour l’ouverture du festival, le président de la BBC, Richard Sharp, a révisé l’image négative qu’il avait du service public britannique avant d’en prendre les rênes il y a deux ans : « I Used To Think It Was Bloated, Self Important & Heard Too Much Of Its Own Voice », une télévision gonflée, égoïste, trop centrée sur elle-même. Alors que l'avenir du modèle de financement de la BBC est en jeu, l’ancien de Goldman Sachs a affirmé que la BBC doit désormais « développer une certaine sensibilité commerciale » tout en s'efforçant de s'adresser à tous les groupes démographiques, aux minorités et aux nations mal desservies. Le tout avec un budget réduit de 200 millions de livres d'ici 2027, le départ de 1000 collaborateurs et l’objectif d’engager un employé sur quatre issu du milieu ouvrier.
Pendant qu’il vante le succès de l'iPlayer de la BBC, nommé meilleur service de TV à la demande, qui n'est qu'à « 5 à 10 % derrière Netflix » à une fraction du coût de ce dernier, il rejette cependant l'idée qu'il puisse (pour l’instant) être monétisé en dehors du Royaume-Uni. Richard Sharp a aussi mis en avant le lancement du TV Access Project (TAP), une initiative en faveur de l'accès des personnes handicapées (dans la continuité de la thématique clé de la lecture MacTaggart 2021 de Jack Thorne). La BBC en a pris la tête, un moyen supplémentaire pour se différencier des services de streaming internationaux (Netflix y a participé mais n’a pas signé le protocole).
"Being deaf is my proudest identity. Disability is not a barrier. I am disabled because I live and work in a world that disables me".
A bold and vital Alternative MacTaggart, delivered by BAFTA winning @RoseAylingEllis 🤗#EdTVFest pic.twitter.com/Yh8lfPhPz0
— BAFTA Scotland (@BAFTAScotland) August 26, 2022
Concernant l’avenir de la BBC, l’ancien conseiller de Boris Johnson a ajouté : « Je communiquerai avec le gouvernement et je suis convaincu qu'il m'écoutera ».
Mais tout le gouvernement britannique ne semble pas être conscient des énormes efforts que les chaînes publiques ont déjà fait pour s’adapter à la transformation technologique : Baroness Tina Stowell, présidente de la commission Communication et Numérique de la Chambre des Lords, avance dans le débat de clôture du festival que le plus grand problème des médias de service public en Grande-Bretagne serait la menace des géants de la tech et l’urgence de passer au « digital first ». Or, tous les autres participants au débat (et le public dans la salle) affirment que le plus grand problème des services publics britanniques est bien le gouvernement.
L'autre sujet de débat était la privatisation de Channel 4 (qui est rejetée par 96% des interrogés d’un sondage mené par le gouvernement ) et dont la popularité n’est plus à prouver : Channel 4 a remporté le prix de la chaîne de l'année 2022 avec sa philosophie « Alltogether Different », après avoir enregistré un résultat financier record et 13 RTS Awards et 44 nominations aux BAFTA.
Alex Mahon, directeur général de Channel 4, a déclaré : « Être nommée chaîne de l'année est un honneur fantastique et prouve le rôle unique que nous jouons à la télévision, en ligne et dans les communautés à travers le Royaume-Uni. »
La "reboot" serait-il la solution pour pallier le manque de moyens ?
Le directeur de Channel 4, David Abraham, a lancé le sujet mercredi et son directeur des contenus, Ian Katz, est monté sur scène un jour plus tard pour souligner la tendance "déprimante" de la reprise de formats. Charlotte Moore, la directrice des contenus de la BBC, a défendu de son côté que ces reboots demandent « de la créativité et sont un défi ». « Je ne pense pas qu'il soit facile de ramener des titres et d'en faire un succès », a déclaré Moore. « Ce serait un problème si c'était tout ce que nous faisions, mais si vous voulez avoir un impact auprès des jeunes téléspectateurs et inciter les gens à venir, il ne fait aucun doute que [les reboots] peuvent aider. » Relancer un film en tant que série ou réoutiller un format permettrait une percée instantanée auprès du public.
I love Ian Katz's comments about the return of Big Brother. "There is something depressing about this microwave moment of TV, of shows being reheated." As someone who finds reboots incredibly lazy and unimaginative, I think I might steal his phrase. Microwave, reheated TV. pic.twitter.com/fj4ox0blg1
— Rodney Marshall (@RodneyMarshall1) August 25, 2022
Mais il n’y a pas que la BBC qui reprend des programmes comme Gladiators. ITV vient d’annoncer la reprise de Big Brother, et il ne s'agit pas seulement d'un phénomène britannique ou d'un problème lié au genre : le directeur fiction de Paramount+, David Nevins, a présenté l'offre de streaming, qui comprend des reboots tels que Sexy Beast et American Gigolo, ainsi qu'un spin-off de Grease.
Pour optimiser les coûts, Fiona Campbell, directrice BBC Three, a aussi souligné l’importance de se concentrer davantage sur la manière d'apporter de la valeur aux audiences, de ne pas penser en fonction de la programmation, mais en fonction de la mise en avant sur l’iPlayer. Pour elle, l'obsession de l’audience en soirée doit cesser. Pour faire des économies, la BBC pourra produire moins de programmes unitaires et plus de séries.
Un autre moyen de diminuer les coûts a été annoncé par David Nevins, qui a indiqué que des émissions telles que sa prochaine série avec Ewan McGregor dans l'adaptation de Gentleman Of Moscow sont un moyen de recentrer les dépenses, avec un prix plus bas en raison de leur localisation dans un hôtel. Il faudra, selon lui, s'attendre à des changements similaires dans les scénarios, les diffuseurs réduisant leurs budgets et se concentrant sur les personnages plutôt que sur le spectacle.
Journalisme face au populisme – la fin de l’impartialité tant chérie par la BBC ?
Emily Maitlis, la journaliste britannique qui a, entre autres, réalisé l'interview au cours de laquelle le prince Andrew a évoqué ses liens avec Jeffrey Epstein, et qui est une star y compris pour les chauffeurs de taxi, a profité de sa conférence MacTaggart « Boiling the frog : pourquoi nous devons arrêter de normaliser l'absurde » pour inviter les journalistes et les diffuseurs à s'adapter à une nouvelle vague de politiciens pratiquant le populisme pour s'assurer le pouvoir.
Cette nouvelle époque aurait commencé avec son interview de Donald Trump le soir de son élection en 2016, où son supérieur Ian Katz l'aurait exhorté : « Ne normalisez pas ce moment ». Dans sa lecture, elle a retracé le long chemin qu'il lui aurait fallu pour comprendre que face aux « faits alternatifs », le traditionnel both-sides-ism n'est plus l'outil adapté pour rendre compte de la réalité.
Revenant sur son temps en tant que journaliste de Newsnight à la BBC, elle a admis « sa honte » d'essayer de défendre le diffuseur britannique contre les accusations de partialité plutôt que de demander des comptes au pouvoir. Maitlis a pointé du doigt une interview en 2016 avec « l'acolyte » de Donald Trump, Sebastian Gorka, sur Newsnight, dans laquelle elle a passé « la moitié du temps d'interview qui nous était imparti à essayer de défendre notre objectivité et le reste à se plier en quatre pour concilier sa version étranglée de la vérité, juste pour prouver que les critiques qu'il a formulées à mon égard étaient fausses. »
La journaliste, qui a quitté la BBC pour rejoindre le groupe de radio Global au début de l'année, a déclaré que les téléspectateurs étaient « en train de s'anesthésier face à la vitesse croissante à laquelle les faits se perdent, les normes constitutionnelles sont mises à mal, les affirmations sont souvent incontestées. »
Pour Emily Maitlis, « nous faisons preuve d'impartialité lorsque nous rendons compte sans crainte ni faveur, lorsque nous n'avons pas peur de demander des comptes au pouvoir, même si cela nous met mal à l'aise. »
Ian Murray, secrétaire d'État pour l'Écosse (Labour), a décrit la situation avec une image très simple, et juste : Quand le ciel est bleu, on ne doit pas présenter un avis opposé qui dit que le ciel est vert sous prétexte de couvrir « les deux côtés », mais plutôt mettre en avant qu’il y a des gens qui prétendent que le ciel est vert, mais que ce n’est pas vrai – il suffit de regarder dehors (le ciel est gris d’ailleurs à Edimbourg, NDLR).
Agree. Just watched the Charlotte Moore interview. On the one hand she "welcomes" Emily Maitlis' contribution to the debate about BBC impartiality. On the other, she refutes EM's allegations about Robbie Gibb interfering. So she welcomes a liar?#Edtvfesthttps://t.co/F2mcG3jI4Z
— paulusthewoodgnome 🇺🇦💙 (@woodgnomology) August 26, 2022
Face à ce changement de paradigme et ces accusations, Charlotte Moore a défendu l'impartialité et l'indépendance de la BBC à l'égard des pouvoirs politiques, au même moment où Liz Truss, la candidate au remplacement de Boris Johnson, a ajouté de l'huile sur le feu des débats en déclarant que tous ceux qui croient que la BBC est impartiale se trompent. Elle préfère un « honest bias », un parti pris honnête, à une prétendue impartialité. La BBC reste sur sa position : Le public fait confiance à la BBC, il s'attend à ce que nos journalistes "laissent leur opinion à la maison". Deux visions du journalisme qui s'opposent.
Raconter la crise climatique – du changement à la crise à la catastrophe
En lien évident avec la question d’impartialité est le sujet du traitement de la crise climatique. À une époque où l'urgence environnementale est indiscutable, comment transformer cette crise complexe et déroutante en un sujet auquel les téléspectateurs peuvent s'identifier ? Comment exploiter la créativité mondiale pour susciter un changement positif et placer la conversation sur le climat au centre de l'actualité ? La table ronde Based on a true story: How to tell the climate crisis narrative a essayé de répondre à la question.
Pour le producteur Stephen Garrett, le public ne veut pas être assommé par le contenu ou culpabilisé, il faudrait des 'chevaux de Troie'. Lisa Simpson qui devient végétarienne a plus d'impact sur le comportement des publics qu'un documentaire de 52 minutes. Il ne faudrait pas se contenter de cocher encore une case (en plus de la diversité et de l'accessibilité), mais intégrer le sujet dans les succès existants. Pour les représentants du service public, il s'agirait encore une fois à ne pas (trop) s'affirmer militants mais de rester dans un rôle qui rend compte des faits, en y mettant tout d'abord les bons mots : changement climatique ou catastrophe climatique en passant par la crise climatique.
@apathysuckseggs discussing how colonisation caused the climate crisis, and how the solutions need to stretch beyond white, Western narratives.#EdTVFest pic.twitter.com/9UIqCC2X3i
— Channel 4 Earth (@channel4earth) August 24, 2022
Pour Thimali Kodikara, la solution se trouve aussi dans le format des podcasts : « Vous pouvez obtenir 5 % avec la science et 10 % avec le pessimisme, mais tous les autres ont besoin de quelque chose à quoi se raccrocher - plus d'humour, plus de femmes - vous pouvez avoir des conversations croustillantes et désordonnées. »
Netflix, interrogé sur le sujet, a confirmé vouloir « divertir et non pas faire la leçon à notre public », tout en avouant qu'ils sont toujours à la recherche d'un format à succès sur le changement climatique qui générerait le même impact et engagement que The Social Dilemma.
Talents : ce que les géants du streaming veulent, et ne veulent pas
Anne Mensah, responsable Netflix du Royaume-Uni, a pointé du doigt la « monoculture de la télé » et vanté sa plateforme comme le meilleur partenaire des producteurs britanniques, en mettant l'accent sur les programmes non scénarisés (non scripted). En même temps, Netflix a fait comprendre qu'il ne voulait pas d'émissions « de niche et avant-gardistes » et qu'il recherchait plutôt des programmes « pour un public large et amusants » par des créateurs affirmés (« We dont set you up for failure »), y compris des formats de talent show musical : « We’d love to find a music talent format. A singing talent format ». Netflix a annoncé d’ailleurs une série documentaire sur Robbie Williams, et aussi davantage d’histoire contemporaine après le succès de 9/11.
Un peu en contradiction avec cette annonce de contenus « mainstream » et malgré le contexte économique difficile et des coûts de production qui explosent, Netflix a souligné son souhait de rester « innovant » et de « prendre des risques » tout en collaborant sur plus de coproductions avec la BBC entre autres. Anne Mensah : « Je pense qu'il faut prendre des risques dans le mainstream. Nous sommes donc constamment à la recherche de moyens d'entrer dans la conversation culturelle et d'entrer en contact avec un grand nombre de personnes. Nous sommes une plateforme mondiale, donc un grand nombre de personnes, c’est facile pour nous ».
“it’s not always about spectacle but properly interrogating emotion and attacking what is important to say about life.” the @netflix team refreshing take on story > talent attachment #edtvfest @EdinburghTVFest pic.twitter.com/wESoiFr277
— Hana Walker-Brown (@HWalker_Brown) August 25, 2022
Lee Manson, directeur de la fiction chez Disney+, (qui vient de dépasser Netflix en termes d’abonnés, même si Netflix a commenté ce fait avec la remarque « cela dépend comment on lit les chiffres ») a parlé de l'importance des contenus régionaux, en utilisant l'exemple de la popularité d'Ignorant Angels en Italie pendant que son collègue de l'Unscripted, Sean Doyle, a affirmé que Disney recherche de "grandes histoires britanniques". Disney+, comme les autres streamers, souligne l’importance de leurs équipes locales (à l’accent « british ») : « Les décisions sont prises ici, en Europe. Beaucoup de gens ne nous croient pas quand nous disons cela, mais nous sommes vraiment autonomes. Nous avons toujours fonctionné selon le principe que les équipes locales savent mieux que quiconque ce qui va fonctionner sur leur marché local. »
« Nous voulons de grands contenus de qualité... mais cela peut prendre de nombreuses formes », a déclaré de son côté Gabriel Silver de Sky, ajoutant qu'il y a toujours chez eux une place pour des contenus idiosyncrasiques comme I Hate Suzie à côté des émissions à grande échelle.
« La fiction documentaire originale est un élément clé de notre liste croissante au Royaume-Uni, du sport à suspense aux whodunnits et à l'histoire stranger-than-fiction », a déclaré Dan Grabiner, responsable des originaux pour Amazon Studios au Royaume-Uni. « Nous sommes ravis de travailler avec des cinéastes extrêmement talentueux, qu'il s'agisse de nouveaux réalisateurs ou de légendes du genre, pour faire connaître ces histoires humaines remarquables à un public mondial. » Amazon a mis en avant son approche "très différente" de celle de ses rivaux, avec une liste plus restreinte de produits "sélectionnés" - une stratégie menée par Jennifer Salke, responsable d'Amazon Studios. Pour Georgia Browne, Amazon's Head of European Originals « The UK is the place where people have highest propensity to consume non-English language content ».
Amazon Prime's #LordoftheRings had a budget big enough to shoot #TopGunMaverick THREE times over. But #streaming cutbacks will hit the smaller shows. Marquee content like #HouseoftheDragon pulls in subscribers. https://t.co/E9pLRUt3jg #Edtvfest
— Dr Alex Connock (@DrAlexConnock) August 25, 2022
Le directeur général d'ITV chargé des médias et du divertissement, Kevin Lygo, a confirmé à l'occasion du festival le lancement en novembre d’ITVX qui remplacera la plateforme de streaming actuelle d'ITV, ITV Hub. « Le contenu qui sera commandé spécifiquement pour ce service [...] sera plus audacieux et considéré comme un accompagnement de la chaîne linéaire traditionnelle » , a déclaré Lygo. Chaque semaine, un nouvel événement sera lancé en exclusivité sur ITVX, en plus de flux en direct.
Les thématiques en vogue sur les services de streaming (au-delà des reboots) : true crime, mariages, et de plus en plus de sport, qui devient, par la même occasion, un événement payant.
L’OPA sur les créatifs britanniques par les services de streaming américains ne fait que commencer.
Copier c’est créer – comment faire connaître les marques aux jeunes publics ?
Autre serpent de mer du festival : l’accès aux jeunes publics. Dans un monde où les jeunes se voient offrir une prolifération de choix sur YouTube et TikTok, Patrick Holland de Banijay UK a appelé à un "doublement" des dépenses pour les jeunes publics en exhortant la BBC à investir 200 millions de livres sterling par an pour BBC Three plutôt que les 80 millions actuels.
Snapchat, depuis longtemps, n’est plus la plateforme de vidéos qui disparaissent, mais renforce de plus en plus la création de contenus originaux. Amanda Krentzman, Head of International Original Series, et Lucy Luke, Head of UK Partnerships chez Snap Inc. ont échangé avec Sam Barcroft, l’un des pionniers de la création de contenus originaux pour les réseaux sociaux, sur la stratégie contenus de Snap et la volonté de développer des séries en dehors des Etats-Unis. « Come to be informed and entertained » est désormais la devise de l’entreprise d’Evan Spiegel , qui teste, avec ses 800 partenaires, du contenu court premium dans Discover : news highlights (pas de news), entertainment, sports.
Pour Snap, le contexte très interruptif de la consommation sur smartphone, appelle un contenu immersif (et bien-sûr court, 5-7 minutes) qui doit être animé par la mission de « Changer le monde » (rien que cela). Tricot et athlétisme olympique y sont connectés grâce à Tom Daley, Anthony Joshua raconte son combat pour se sortir de ses conditions et They wanna get better explique l’histoire de troubles mentaux. Snapchat met en avant son accompagnement des producteurs pour proposer le bon format, le plus authentique possible, face à la caméra pour créer un lien intime et engageant à travers le smartphone.
Dans une autre table ronde, Dan Biddle, Strategic Partnerships Manager [Entertainment] de Meta et Rich Waterworth, General Manager de TikTok, ont souligné le changement de paradigme avec des publics qui ne sont plus seulement des consommateurs de contenu, mais aussi des producteurs de contenu. Il ne suffit plus aujourd'hui de montrer les coulisses des programmes à succès, mais il faut créer un réel engagement, une véritable relation - qui passe aussi par l'appropriation des contenus. Pour Rich Waterworth, il faut passer de l'idée « Ils piratent nos affaires » au constat de succès que la marque fait partie intégrante du lexique des jeunes, le piratage n'étant au fond que la preuve de la popularité d'un programme (un modèle économique pas forcément partagé par les producteurs de contenus).
Waterworth a insisté sur le concept de "l'engagement actif" : « Si vous avez un contenu que les spectateurs peuvent utiliser et avec lequel ils peuvent jouer, ils se sentent proches de ce contenu, pas seulement en le regardant, mais parce qu'ils sont actifs et qu'ils remixent et partagent avec d'autres, cela leur donne intrinsèquement une proximité qu'ils veulent continuer à partager et dont ils font partie, ce qui les fait passer d'un public passif à un public actif. » TikTok se positionne aussi sur un volet nouveau : « not only make people laugh, but also learn », et a réinsisté sur son ADN : l'importance de l'engagement par la musique (cf. Kate Bush et Stranger Things). Dan Biddle de Meta, ancien de la BBC, a mis en avant le côté social des publics, qui ont envie de partager des contenus 'Open Source' (quitte à mixer les marques entre-elles). Il a par ailleurs vaguement évoqué l'importance de la réalité augmentée pour créer de l'engagement (il y aurait définitivement une place pour Dan Snow's History Hit), sans aller dans le détail, et n'a pas parlé du tout du métavers...
Digital Media Killed the TV (Guide) – réseaux sociaux et télé, des vases communicants
Comment les téléspectateurs naviguent-ils sur une multitude de plateformes pour découvrir ce qu'ils aiment ? Alors que les streamers et les diffuseurs occupent un marché de plus en plus encombré (24 plateformes de streaming au UK) et que l'on passe en moyenne 4 jours par an pour chercher un contenu à regarder tout en faisant défiler la hauteur de Big Ben sur l'écran de notre smartphone chaque jour, à qui les jeunes téléspectateurs font-ils confiance pour décider de ce qu'ils vont regarder ensuite ?
LADbible a présenté à Edimbourg une récente étude menée auprès de la génération Z sur sa façon de découvir des contenus, avec quelques résultats amusants, qui soulignent le décalage générationnel dans la façon de chercher et trouver des programmes à voir. Pour la génération Z, 'Regarder la TV' serait en effet la deuxième activité la plus importante après 'Ecouter la musique', mais tout le monde n'entend pas la même chose sous "Watching tv content". Pour les 18-34 ans, n'importe quel contenu long regardé à la télé y est compris.
Les réseaux sociaux sont la première source de découverte de contenus, avant le bouche-à-oreille, avec Instagram en tête, suivi par TikTok. Une majorité fait d'ailleurs plus confiance à une recommandation par des amis que par l'algorithme de Netflix (même si celui-ci reste le plus plebiscité parmi les algorithmes des plateformes de streaming). Et la moitié d'entre-eux est submergé par la masse de contenus, à tel point qu'ils regrettent les "guides tv" qu'ils feuilletent avec leurs grands-parents ou de se résigner à revoir des programmes déjà visionnés.
Avec des talents qui naviguent de plus en plus entre les univers en passant du digital à la télé et de la télé au digital, la compréhension de l'écosystème et de son ADN s'élargit et réseaux sociaux et télévision se mettent réellement à fonctionner en vases communicants.
En conclusion
Qu'il s'agisse de remarques désobligeantes sur le « passage au micro-ondes d’anciens programmes », de la bataille entre impartialité et vérité ou des tentatives de Netflix de s'affirmer comme le lieu de prédilection des producteurs britanniques, le festival de la télévision d'Édimbourg a une nouvelle fois donné lieu à de nombreux débats dont certains ne font que commencer, et dont d'autres sont vitaux pour la survie du service public. Pour l’acteur écossais Brian Cox il s'agira d'un combat dans lequel « il faut établir et maintenir des normes » , et la plupart des participants (y compris les représentants du gouvernement) étaient d’accord que l’enjeu principal est d’atteindre les publics avec un excellent contenu sur la plate-forme de leur choix et de ne pas chercher « à plaire au gouvernement », mais plutôt à plaire aux publics, en particulier à ceux qui se sentent mal desservis, en mettant en avant les talents locaux. La télévision en Grande-Bretagne n’est, pour l'instant, pas encore prête à accepter la prise de pouvoir des Américains.