Depuis plusieurs années, la mutation des usages fragmente l'information entre différents canaux et formats. Aujourd’hui, une majorité écrasante d’Américains s’informent à partir d’appareils numériques et la moitié d’entre eux grâce aux réseaux sociaux. L'information en ligne, par son volume joue un rôle crucial dans la consommation média. Le Pew Research Center dans sa récente Social Media & News Fact Sheet nous offre un panorama quantitatif de la manière dont les Américains s’informent sur les plateformes en 2022.
Isya Okoué Métogo et Louise Faudeux, MediaLab de l’Information
Le numérique, le terrain favori pour l’accès à l’information ?
Lorsque les Américains sont interrogés sur leur canal de prédilection concernant l’accès à l’information, environ la moitié d’entre eux disent préférer les appareils numériques (53%), plus que la télévision (33%), la radio (7 %) ou la presse écrite (5 %). On observe donc une légère augmentation de la préférence pour le numérique comparativement à 2021, rattrapant ainsi le niveau de 2020.
Lorsqu’on se penche plus en détail sur la consommation en ligne, on observe que la proportion d'Américains utilisant les plateformes sociales comme source d’information régulière est en légère diminution, avec une baisse de deux points de pourcentage par rapport à 2021 (19%). Un pourcentage toutefois compensé par la hausse de la consommation occasionnelle à 33% et à mettre en regard des fortes disparités de consommation entre les générations. La dépendance aux plateformes comme source d’information fait débat (que cela soit au niveau des algorithmes de mise en avant du contenu ou de la désinformation) mais la consommation ne désemplit pas pour autant.
TikTok en passe de devenir une source d’information privilégiée ?
Alors que le nombre de réseaux sociaux ne cesse d'augmenter et que l'information est de plus en plus fragmentée, plusieurs tendances se dessinent quant à la proportion d’utilisateurs de chaque plateforme consommant l’actualité. Facebook mène le bal, et près d’un tiers des adultes américains (31%) s’y informent régulièrement. Tiktok, étoile montante de ces dernières années, voit à la fois sa consommation générale (30%) et son utilisation pour l’information (10%) augmenter. Alors que seulement 6% y consommaient de l’actualité l’année dernière, 10% en consomment aujourd’hui.
Certains sites s’imposent comme des sources privilégiées d’information, alors même que leur audience totale est relativement faible comparativement à d’autres plateformes. Si Twitter n’est utilisé que par environ trois adultes américains sur dix (27 %), la moitié de ses utilisateurs (53 %) se tournent régulièrement vers le site pour y obtenir des nouvelles.
Il est aussi intéressant de se pencher sur l’évolution de l’instrumentalisation des plateformes dans un objectif informationnel. Alors que Twitter semble en perte de vitesse sur la consommation d’information, Tiktok gagne du terrain, malgré (ou à cause) de son format de courtes vidéos (22% en 2020 contre 33% en 2022). Twitch, de son côté, séduit de plus en plus d’utilisateurs souhaitant s’informer (11% en 2020 contre 13% en 2022) avec le concept inverse : un rythme plus lent, des vidéos en direct et des formats plus longs.
On pourrait relier cet évitement des plateformes "traditionnellement informatives" avec l’évitement général de l’information : comme l’a révélé le Digital News Report du Reuters Institute, l’intérêt pour les actualités a fortement diminué. Il serait alors logique qu’avec la baisse de la consommation des médias traditionnels, certaines plateformes perdent leur influence et soient de moins en moins considérées comme des espaces informationnels pertinents. Les consommateurs sont alors attirés par de nouvelles manières de s’informer par le biais de jeunes médias. Si l'évitement de l'information tend à se généraliser aux nouvelles plateformes, on peut cependant s’attendre à un déclin de la proportion d’utilisateurs considérant Tiktok comme source d’information.
Au-delà des comportements changeants des utilisateurs, les plateformes elles-mêmes influent sur la baisse d’intérêt des utilisateurs pour le contenu informationnel et journalistique. Facebook, en premier, avec sa modification d'algorithme en septembre 2018, qui a mis les médias dans l'embarras en privilégiant les “posts that spark conversations and meaningful interactions”. Depuis, la plateforme a plusieurs fois annoncé vouloir visibiliser davantage le contenu original, pour laisser plus de place aux créateurs. Par cette volonté, une majeure partie du contenu des médias d’information déployé sur ces plateformes est moins visible, les transformant donc à nouveau en des espaces de divertissement et de sociabilité plutôt qu’en source d'information.
L'engouement récent pour l'actualité sur la plateforme chinoise TikTok soulève de nouvelles préoccupations concernant les algorithmes, mais aussi le filtrage de fausses informations. Un rapport récent de NewsGuard suggère que sur TikTok, jusqu’à une vidéo d’actualité sur cinq contient des informations erronées. L’enquête révèle aussi la part considérable d’informations fausses et trompeuses proposées sur TikTok aux adolescents et aux jeunes utilisateurs lorsque ces derniers recherchent des informations sur des sujets d’actualité importants. Des révélations inquiétantes alors que la société Internet Cloudflaire indique qu’en 2021, Tiktok a dépassé Google en tant que site le plus populaire au monde, au point que le Wall Street Journal qualifie TikTok de “nouveau Google” des jeunes.
Le manque de modération sur Tiktok, en plus de faciliter la diffusion de fausses informations, peut encourager les personnes à s’y exprimer “librement” et donc à augmenter l’usage informationnel de la plateforme. Ainsi, en cherchant un média social moins "regardant" sur la vérification des faits et proposant du contenu généré par des utilisateurs, il y a un risque d’être confronté à plus de désinformation mais aussi à l’illusion d’être face à une source d’information inépuisable.
Des usages variables selon les profils
Selon l’étude du Pew Research Center, il y a des différences démographiques entre les consommateurs d’informations par les réseaux sociaux. Le premier constat, prévisible, est l’âge : les adultes de moins de 30 ans sont la plus grande part de ceux qui reçoivent de l’information sur les réseaux sociaux. Ils constituent 67% des consommateurs d’actualité sur Snapachat, 52% sur Tiktok et 50% sur Reddit. Une autre grande disparité est le genre, car si pour plusieurs réseaux sociaux comme YouTube et LinkedIn, la propension de consommateurs hommes ou femmes varient de moins de 10%, d’autres ont clairement un public privilégié. C’est le cas de Facebook et de Nextdoor, largement utilisés par les femmes (66% contre 33% pour le dernier). La tendance s’inverse pour Reddit, dont 67% des consommateurs sont des hommes contre 29% de femmes.
Le niveau d’éducation joue aussi un rôle, et une plateforme plus professionnelle comme LinkedIn est utilisée pour l’actualité à 60% par des personnes ayant été à l’université et plus, contre seulement 17% par les personnes étant allées au maximum à l’école supérieure. La tendance s’inverse franchement dans l’autre sens : les personnes n’ayant pas eu une haute éducation scolaire sont les consommateurs d’informations principaux sur Tiktok, alors que les plus éduqués sont les moins nombreux. Finalement, on remarque que les plus gros consommateurs d’actualité tout réseau confondu sont les personnes blanches, et les démocrates.
Il ne fait plus aucun doute qu'aujourd'hui, les réseaux sociaux s'imposent comme des espaces privilégiés pour s'informer à l'heure de la news fatigue. Les plateformes se multiplient et les opportunités de consommation de l'information leur emboîtent le pas. Qu'il s'agisse de formats courts comme sur TikTok, ou plus longs et en direct comme sur Twitch, les utilisateurs s'y informent de plus en plus, parfois au dépit des plateformes historiques comme Facebook ou Twitter. Toutefois, la modération n'est pas toujours mot d'ordre dans ces espaces, ce qui laisse aisément la place à la désinformation. Les canaux sont donc variés, l'information est fragmentée, et la vigilance reste de mise car les fake news sont susceptibles de s'emparer de chacun de ces espaces.