Lancée il y a quelques jours en accès anticipé, Artifact se présente comme une sorte de TikTok du texte, soit un lecteur d’information alimentée par l’intelligence artificielle. Ses fondateurs, Mike Krieger et Kevin Systrom, étaient déjà à l’origine d’une autre application à fort impact : Instagram. La version est toujours en cours d’évolution, mais donne à voir les premières fonctionnalités qu’elle propose. Si les premiers retours sont plutôt mitigés, le développement de son usage pourrait constituer une petite révolution dans la personnalisation de l’information.
Par Myriam Hammad, MediaLab de l'Information
Les promesses d’Artifact : un contenu personnalisé qui s’améliore au nombre de lectures réalisées
Lors de son installation (gratuite) disponible sur iOS et Android - et qui ne nécessite pas de donner son numéro de téléphone - Artifact donne à voir une série de 10 thématiques à choisir, pour pouvoir personnaliser son “feed”. Un message apparaît également pour partager son profil et inviter ses contacts à rejoindre l’application, l’idée étant ensuite de se “suivre”, de voir les articles les plus consultés par son réseau ainsi que leurs commentaires.
Elle propose également d’ajouter ses propres abonnements médias au contenu à lire. Si l’utilisateur n’en dispose pas, ne seront sinon affichés que les articles gratuits. La base de médias présentés à ce jour reste uniquement anglo-saxonne. A l’avenir, l’application pourrait aussi introduire des contenus issus des réseaux sociaux.
Artifact permet également de réagir aux contenus avec un système de “pouce” - indiquant ainsi si le contenu proposé a satisfait le lecteur - dans une optique de pouvoir donner à voir les articles les plus susceptibles de l’intéresser. Sur une période de deux semaines, 25 lectures sont recommandées pour personnaliser au mieux son feed.
Artifact se présente comme une application fonctionnant à partir d’une intelligence artificielle : qu’en est-il exactement ?
Les fondateurs ont créé la gestion du flux présenté à l’utilisateur à partir d’un algorithme qui se base sur les textes précédemment lus. Plus vous lisez certains articles, plus vous serez susceptibles de voir apparaître dans votre feed des contenus du même genre - de la même manière que fonctionne l’algorithme de TikTok aujourd’hui. Il ne sera donc pas nécessaire de s’abonner à des flux éditeurs - à l’instar de ce qui existe aujourd’hui sur feedly par exemple.
Mike Krieger et Kevin Systrom ont précisé qu’ils avaient attendu que l’intelligence artificielle soit "suffisamment performante", mais ne sont pas revenus avec précision et détail sur les technologies utilisées. Les premiers retours utilisateurs semblent d’ailleurs mitigés - beaucoup ne parviennent pas à voir la différence avec des lecteurs d’information personnalisés déjà existants.
Personnaliser l’information pour se “démarquer” et améliorer l’expérience utilisateur n’est pas une idée nouvelle
Depuis le début des années 2010 et l’avènement des réseaux sociaux et des plateformes comme source de consultation de l’information, nombreux sont les médias qui ont essayé d’en adopter les codes et de proposer des manières de personnaliser leurs contenus pour pouvoir continuer à capter l’attention de leur audience. Il s’agissait alors de repenser le parcours utilisateur du lecteur et de lui proposer une expérience adaptée à ses usages - supposés . En 2015, Méta-Média publiait d’ailleurs déjà un certain nombre de recommandations en lien avec la personnalisation de l’information.
Aujourd’hui, les médias abondent en formats ou contenus perssonnalisés : comme la newsletter Weekly edition du NewYorkTimes ou bien encore l’onglet “For You”. Apple News propose également un contenu adapté à ses sujets d’intérêts et l’application francophone Flint s’inscrit également sur ce segment. Mais cette tendance a pu avoir du mal à séduire les lecteurs.
Ce mouvement de personnalisation n’a pas forcément eu l’écho attendu auprès des lecteurs
L’arrivée et le développement de l’infotainment - dont on retrouve une analyse descriptive ici - a entraîné un mouvement d’hybridation des formats et des contenus qui est parfois venu brouiller le message de l’actualité et de l’information. Tout ne peut pas être transposé aux courts formats vidéos et tout ne doit pas être recherché à être transposable - sous peine de surenchérir la fatigue informationnelle existante et d’inverser le rapport éditorial avec les plateformes. Les stratégies qui ont pu conduire certains médias à se sur-adapter, ont pu avoir des conséquences sur leur modèle économique - à l’instar du pivot vidéo en 2021 - qui avait notamment touché Vice, qui tirera d’ailleurs son “ clap de fin” à la fin du mois de mars 2023 en France.
L’information se consomme-t-elle comme du divertissement ou de la musique ?
Le recours aux algorithmes intelligents pour générer du contenu d’information personnalisée peut aussi nous interroger : l’information se consomme-t-elle comme du divertissement ou de la musique ? D’autant que ce fonctionnement de recommandations apprenantes peut créer les fameuses bulles de filtre, des chambres d'écho définies de la sorte par la CNIL :
Phénomène principalement observé sur les réseaux sociaux où les algorithmes de recommandation – qui alimentent par exemple les fils d’actualité des publications susceptibles d’intéresser les utilisateurs– peuvent parfois ne proposer que des contenus similaires entre eux. Ce phénomène intervient lorsqu’un algorithme est paramétré pour ne proposer que des résultats correspondant aux goûts connus d’un utilisateur, il ne sortira alors jamais des catégories connues.
Les premières recherches sur les effets des recommandations sur les utilisateurs sont en cours notamment en ce qui concerne les plateformes de streaming. Le projet de recherche RECORD a été lancé en 2020 par le CNRS et s’achèvera en 2024. Il s’agit de pouvoir observer comment ces recommandations sont maniées par les utilisateurs.
Mais dans le cadre de la transmission d’une information, l’individualisation du contenu à consulter peut sembler contre-intuitive. Pouvoir se repérer parmi les médias, les papiers d’opinion, savoir construire sa pensée critique et son avis sont des compétences qui sont enseignées à l’école notamment à travers l’EMI - l’éducation aux médias et à l’information et qui permettent de se former en qualité de citoyen. C’est aussi le travail quotidien de journalistes professionnels de pouvoir venir mettre à la Une les sujets qui rendent compte du monde environnant et de ses complexités. Même si l’expression d’Emond Burke rencontre des critiques, c’est l’affaiblissement du rôle de “quatrième pouvoir” qui pourrait être à venir à travers une grille de lecture de l’information réduite par la personnalisation.
Et Artifact dans tout ça ?
Les fondateurs d’Artifact ont précisé veiller à ce que l’IA continue à proposer des articles qui soient en dehors des intérêts marqués de l’utilisateur. Mais ils n’ont pas dévoilé les mécanismes qui permettront de le vérifier. L’une des forces de l’application cependant, pourrait reposer sur le fait qu’elle permette de pouvoir échanger avec ses contacts sur l’application et de commenter l’information. A l’heure où les Français considèrent leurs proches comme étant la source d’information la plus crédible, l’on distingue ici le potentiel d’un tel outil qui se situe alors à mi-chemin entre le lecteur d’information et le réseau social.
On remarque donc bien que c’est dans la recommandation humaine, dans le fait de pouvoir voir les articles consultés par ses pairs et ses proches et d’échanger sur ces derniers que réside l’intérêt réel d’Artifact News. Une appli, qui reste pour le moment encore en phase d’observation, mais qui pourrait eut-être avoir le potentiel de sortir quelques-uns de la news fatigue.