Comment ne pas être manipulé par une image : outils et conseils - Méta-media

Savoir si une image est modifiée ou mal utilisée… Vous voulez tenter ? Chaque jour nous passons des minutes, des heures sur les réseaux sociaux. Nous y croisons des images/vidéos qui nous interrogent, surprennent, nous énervent parfois… Elles sont souvent reliées à une actualité. Du moins nous pensons qu’elles nous donnent des informations utiles pour comprendre ce qu’il se passe dans le monde. Mais sont-elles toujours postées dans cette intention ? Quels indices pour savoir si une image est bien à sa place ou si elle tente de nous tromper ? (intentionnellement ou non.. quelqu’un peut avoir partagé une image sans se soucier de la vérifier avant).

Dans ce 5ème article sur la désinformation écrit par un de nos experts Révélateurs, la cellule d’enquête visuelle et de vérification d’images amateur de France Télévisions, dans le cadre du projet européen “A European Perspective”, on vous partage quelques savoir-faire pour vous aider à qualifier vous-même une image/vidéo vue sur le web. Attention… C'est addictif ! Vous pourriez aimer faire ces vérifications !

Par Clément Legros, journaliste aux Révélateurs

1De l'importance d'authentifier une image

Pour authentifier une image, deux critères doivent être réunis :

1- la date à laquelle elle a été capturée doit correspondre avec l’actualité qu’elle est censée montrer.

2- le lieu où cette image a été prise doit correspondre au théâtre de l’actualité qu’elle doit en théorie illustrer.

Aucune image n’est fausse par essence - sauf les images volontairement retouchées et celles générées grâce à l’IA. La majorité des « fausses » vidéos disponibles sur internet le sont en raison du discours erroné qui les entoure : elles sont authentiques, mais sorties de leur contexte.

Lors d'événements marquants, le nombre de vidéos sorties de leur contexte explose. En février 2022 par exemple, à l’occasion des tremblements de terre qui ont frappé le Sud-Est de la Turquie, nous avons pu observer un grand nombre de vidéos rejaillir sur les réseaux sociaux, affirmant alternativement que ces secousses avaient entraînées une vague de submersion au large du pays, ou une explosion dans un port voisin. Mais ces vidéos étaient pour la plupart anciennes, comme nous l’avons démontré ici. La première montrait par exemple un tsunami au large de Palu, en Indonésie, le 28 sept 2018. La seconde, quant à elle, montrait l’explosion dans le port de Beyrouth, au Liban, en août 2020.

Aux Révélateurs de France TV, la cellule d'enquête en sources ouvertes et d'authentification des images amateur de France Télévisions créée en septembre 2021, notre mission principale est d’éviter aux différentes éditions et magazines du groupe, la diffusion d’images fausses ou sorties de leur contexte. Le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 et les différents évènements internationaux ont par la suite rendu cette mission cruciale pour l’entreprise.

Pour effectuer ces vérifications, il n’y a pas d’outil miracle. On croit trop souvent à tort que les enquêteurs les plus pointus disposent d’outils spécifiques. Aux Révélateurs, nous travaillons pour notre part exclusivement avec des outils gratuits - ou disposant d’une version freemium, et accessibles à tout le monde, sur son ordinateur ou son téléphone portable. Le principal facteur d’erreur est en réalité le temps que l’on consacre à une vidéo, et le manque d’attention que l’on peut porter à celles-ci quand on regarde une énième vidéo au cours de la journée après avoir scrollé des heures durant sur son fil d’actualité.

2Détecter une ancienne vidéo republiée sur les réseaux sociaux

Régulièrement, la vidéo de la destruction d’un objet volant non identifié pris en chasse par des avions militaires au milieu de l’océan est repartagée sur les réseaux sociaux. En février dernier par exemple, un internaute l’a postée sur Twitter affirmant que l’événement venait tout juste de se produire dans le ciel du Canada. Plus d’un million de personnes ont vu le tweet. Pourtant, il s’agit d’un trucage bien connu apparu sur Youtube il y a 13 ans au moins. Certains internautes le précisent d’ailleurs en commentaire.

Pour détecter ces vieilles vidéos, la première méthode est la recherche inversée. De nombreux navigateurs internet la proposent : Google, Bing, TinEye, Yahoo. Ces moteurs de recherche par image - qui possèdent chacun leurs spécificités - permettent aux utilisateurs de rechercher des informations et l’origine d’une image ou d’une capture d’écran d’une vidéo.

Vous pouvez consulter ici notre tutoriel sur cette fonctionnalité.

Personnellement, je recommande l’installation sur votre navigateur Google Chrome de l'extension Vera.AI. Ce couteau-suisse permet de générer des images clés - captures d’écran de différents instants de la vidéo - à partir d’un lien ou d’un fichier pour ensuite les recherches en images inversées sur différents navigateurs.

Mais il ne faut pas oublier que les principaux indices de la date à laquelle la vidéo a été tournée sont disponibles dans la vidéo. Météo, vêtements portés par les personnes visibles à l’écran, végétation. Ces indices sur lesquels on passe souvent sans prêter attention sont des éléments concrets sur lesquels baser un premier jugement.

3La géolocalisation : un point de départ nécessaire à toute enquête visuelle

Dans la nuit du 9 au 10 mars 2023, deux fusillades ont eu lieu à quelques heures d’intervalle à Tel-Aviv, en Israël, et à Hambourg, en Allemagne. Le vendredi 10 mars, en fin de matinée, un internaute poste alors une vidéo dans laquelle on peut entendre des coups de feu et les sirènes des secours dans la nuit. En description, l’internaute affirme que cette vidéo a été prise en marge des évènements à Hambourg la nuit passée. Mais la géolocalisation de ces images prouve le contraire.

Sans avoir l’intention de tromper, cet internaute a diffusé une fausse information en associant un contexte erroné à une vidéo authentique circulant sur les réseaux sociaux.

Pour géolocaliser une image, on peut utiliser la recherche inversée quand des monuments caractéristiques sont visibles à l’image. Mais la méthode empirique est encore la plus efficace. À partir de plusieurs éléments caractéristiques et non éphémères du panorama - végétation, bâtiments, panneaux de signalisation, cours d’eau, bouche d’égoût - et d’éléments visuels tels que les marques et noms de rues, vous pouvez définir votre périmètre de recherche.

Après, grâce à des outils d’imagerie satellites et de cartographie, nous parcourons manuellement les zones à la recherche du lieu correspondant. Google Maps, Google Earth restent pour cela les outils les plus appropriés. Google Earth propose par ailleurs des images d’archive permettant de visualiser des zones à des dates antérieures, moins éloignées de la date de la vidéo analysée.

Un conseil que je donnerais est de multiplier les plateformes d’imageries satellites utilisées. Il en existe un très grand nombre et selon les zones du monde où l’on se trouve, la qualité des images et des informations disponibles peuvent être plus fournies. Yandex Map sera par exemple mieux adaptée aux zones autour de la Russie quand Baidu Map sera plus efficace pour géolocaliser des vidéos en Asie.

4Dater précisément

Capture d’écran de l’outil SunCalc qui permet de déduire la date et l’heure d’une vidéo à partir du lieu où celle-ci a été tournée et des ombres visibles à l’image.

Pour avancer dans une enquête ou attester de faits revendiqués, il est parfois nécessaire d’avoir des indications de dates et heures très précises. Si l’heure de capture de la vidéo peut être disponible dans les métadonnées de la vidéo - informations originales d’un contenu multimédia générées automatiquement par l’appareil utilisé telles que la date de prise de vue et parfois le lieu, le nom de l’appareil,etc -, ces informations sont automatiquement effacées par la plupart des réseaux sociaux. Et, de toute manière, elles peuvent être manipulées.

L’outil Sun Calc permet, après géolocalisation précise du lieu de prise de vue, de déduire des ombres visibles à l’image l’heure et la date approchantes auxquelles la vidéo a été réalisée. De nombreuses enquêtes journalistiques y recourent, comme dans le documentaire Anatomy of a Killing de la BBC Africa Eye, référence dans le domaine, publié en septembre 2018. Dans cette investigation, la chronolocation - datation d’une image à partir d’éléments spatiaux et visuels - a servi à établir avec précision le lieu, la date et les auteurs du meurtre de deux femmes et deux enfants camerounais alors même que le gouvernement camerounais niait la réalité de cette vidéo.

5La traque de véhicule terrestre, maritime ou aérien : une étape parfois nécessaire

Capture d’écran du trafic aérien mondial tel que présenté dans l’outil ADS-B Exchange

Dans le cadre d’une enquête, il est parfois déterminant d’analyser le trajet suivi par un véhicule.

L’intérêt peut être de deux ordres :

Soit confirmer l’hypothèse de la présence d’un véhicule dans un lieu donné.

Par exemple, nous avons pu attester de l’authenticité d’une vidéo en confirmant la présence d’un navire de sauvetage dans la zone où une embarcation de migrants avait chaviré au large des côtes franco-britanniques.

Soit être le point de départ d’une investigation. Comme dans notre enquête sur le vol du blé ukrainien par la Russie. L'analyse du trajet des navires utilisés pour exporter ce blé hors des régions occupées de l’Ukraine a permis d’établir une zone de recherche, mais également de distinguer des méthodes dans le transfert du grain entre bateaux pour brouiller les pistes.

Dans ce domaine, de nombreux outils existent et de nouveaux sont régulièrement mis au point. Les amateurs d’aviation connaissent Flight Radar. Je conseille également le site ADS-B Exchange qui présente l’avantage d’être à but non commercial et intègre les avions qui pourraient être invisibilisés pour diverses raisons par les plateformes commerciales.

6L'importance d'enregistrer ses recherches

Capture d'écran de l’outil Wayback Machine. Chaque point bleu montre une date à laquelle la page twitter d’Elon Musk a été archivée.

Un dernier enjeu relatif à l’enquête numérique ou la recherche en ligne est inhérent à la durabilité des informations disponibles. Une publication intéressante peut être supprimée par son auteur. Un profil peut disparaître des réseaux sociaux. Un billet de blog ou un commentaire haineux peut être modifié.

Le réflexe d’archiver les données que l’on consulte dépasse le cadre de son travail personnel. C’est de l’esprit de l’enquête en sources ouvertes de tenir dans le domaine public les informations disponibles en ligne. Les données d’une enquête journalistique peuvent par exemple être reprises par la recherche universitaire. Et inversement.

Un outil clé existe pour cela : Wayback Machine. Ce site permet d’archiver une page web et les liens ou médias qui la composent. Mais il est également possible d’y consulter l’ensemble des pages archivées depuis la création de cette plateforme, ainsi que les différents états de la page selon la date à laquelle celle-ci a été archivée. Une extension est aussi disponible pour Chrome et Mozilla Firefox.

7Faire attention à soi

Pour finir, un dernier conseil tient à votre hygiène sur les réseaux sociaux. Avec la guerre en Ukraine et plus généralement avec l’essor des réseaux sociaux, des images très dures sont partagées. Et il suffit parfois d’un clic pour tomber dessus, pas besoin de les chercher . Être témoin d’une scène violente, même sur internet peut mener au développement du syndrome vicariant. C'est un trauma secondaire lié à l'empathie. Vous êtes témoin d’un malheur ou d’un massacre et toute cette charge émotionnelle modifie votre comportement et atteint votre santé mentale.

Il est donc bon de désactiver la lecture automatique des médias sur vos réseaux sociaux et de couper le son quand vous regardez une vidéo dont le contenu est sensible. Les images que l’on voit s’inscrivent à vie dans nos mémoires. Il est donc conseillé de se poser la question : “Ai-je vraiment besoin de visionner cette vidéo ?”. Des filtres existent pour cacher la prévisualisation des contenus multimédia sensibles. Sur ce thème, de nombreux tutoriels sont proposés par les plateformes en ligne.

Conclusion

Si vous êtes intéressés par ce travail, ou par l’enquête en sources ouvertes - OSINT, Open-source intelligence, vous pouvez également suivre Les Révélateurs sur Twitter, Tiktok et Instagram. De nombreuses communautés se sont également constituées en France et à l’étranger. Comme Open Facto, organisme associatif de formation à but non lucratif ouvert à aux journalistes et aux non journalistes, qui dispense des formations en OSINT pour les débutants et ceux plus avancés.

Bienvenue à vous !

➡️ Retrouvez l'étude complète (en anglais) ici

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