Du 14 au 16 juillet a eu lieu le Festival international de journalisme, dans le village de Couthures-sur-Garonne. Organisé par le groupe Le Monde, l'évènement a pour but de rassembler festivaliers et professionnels des médias autour du rapport à l'information. On y a notamment évoqué la puissance de TikTok - la plateforme de divertissement est désormais la source d'information la plus populaire auprès des adolescents au Royaume-Uni - la nécessité de former des collectifs de journalisme pour se protéger, et l'importance de maintenir une hygiène informationnelle.
Par Alexandra Klinnik et Myriam Hammad, MediaLab de l'Information de France Télévisions
C'est l'endroit idéal pour briser la glace. En pleine nature, le village de Couthures-sur-Garonne accueille chaque année le Festival international de journalisme. Ici se frottent des mordus d'actus et des journalistes souvent fraîchement débarqués de leurs rédactions parisiennes. Organisée par le groupe Le Monde (Le Monde, Courrier international, le HuffPost, Télérama et La Vie) et L’Obs, la 7ème édition a bénéficié d'un programme varié : l'intelligence artificielle, l'info-anxiété, le rugby, la santé mentale, la démocratie, l'audiovisuel public, la liberté de la presse en Iran ou encore le dérèglement climatique. Retour sur quelques conférences clés.
Forbidden Stories, quand le journalisme se fait collectif
Longtemps le journalisme d’investigation s’est apparenté à “un journalisme à la papa, où chacun défendait son pré carré, où les sources du voisin étaient dézinguées pour être sûr d’avoir les infos en exclusivité”. Le mode solo était privilégié. Pour Olivier Tesquet, journaliste à la Cellule enquête de Télérama et animateur de la session, cette façon de faire est désormais datée. “Depuis une dizaine d’années, la norme est au travail collaboratif”, assure-t-il. Face à lui, Laurent Richard, le cofondateur de Cash Investigation, acquiesce. Avec 25 ans de métier derrière lui, il est aujourd’hui à la tête de Forbidden Stories, un consortium international de journalistes reprenant les enquêtes de journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés dans le monde. Depuis 2017, l’association s’est fait connaître en révélant des affaires aux répercussions internationales, dont le projet Pegasus. Le nom d’un logiciel espion, développé par une entreprise israélienne nommée NSO Group. Ce dernier a été utilisé par plusieurs États afin de cibler des responsables politiques et médiatiques.
De gauche à droite, Olivier Tesquet, journaliste à Télérama et Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories
“De plus en plus de journalistes dans le monde sont assassinés parce qu’ils enquêtent sur des crimes environnementaux. Il sont tués pour des histoires qui sont d’une importance cruciale pour l’opinion publique”, alerte-t-il. Chaque année, 25 journalistes sont assassinés en moyenne en raison de leurs activités professionnelles. Pour faire face à ce problème endémique, Forbidden Stories, soutenu par Reporters sans frontières, se présente comme “une assurance vie”, pour les journalistes qui y “souscrivent”; des “garde du corps de l’info”. En y adhérant, les journalistes menacés savent que leur travail sera poursuivi par d’autres, en cas d’enlèvement ou d’assassinat, et placent leurs infos à l’abri. Le journaliste sauvegarde ses données sensibles, laisse des instructions dans une safety box. (Exemple d’instruction : Doit-on attendre que la famille du journaliste soit à l’extérieur du pays pour enquêter ?) Si un événement malheureux survient, le collectif est donc en mesure de reprendre l’enquête, de la compléter et de la publier à grande échelle grâce au réseau collaboratif d’organisations de presse. “Vous allez tuer le messager, mais vous ne tuerez pas le message”, résume Laurent Richard.
80 journalistes adhèrent chaque semaine à Forbidden Stories - des profils souvent isolés qui ont été menacés de mort ou kidnappés par le passé au Mexique, en Inde, au Nigéria, aux Philippines, en Indonésie. “C’est le fait d’être isolé qui tue. Notre but est de connecter ceux qui sont le plus en danger avec ceux qui le sont moins”, poursuit-il. De plus en plus de journalistes partagent sur leur bannière Twitter leur appartenance à l’association pour dissuader ceux qui les menacent. “Le nombre protège. On nous demande souvent d’appeler les personnes sur lesquelles les journalistes enquêtent pour montrer qu’ils ne sont pas seuls”, précise Laurent Richard. Il s’agit d’une arme de dissuasion non négligeable.
Comment fonctionne l’organisation de l’intérieur ? Comment gérer la mise à nue des méthodes de travail et l'égo des journalistes ? Comment fait-on pour harmoniser la vérification de l’info quand on sait qu’elle engage toute la responsabilité de tout un collectif ? “On évite de travailler avec des gens qui ont une “melonite aiguë”, sourit le fondateur de Forbidden Stories. Pour éviter le partage d’informations fausses, l’organisation a mis en place des méthodes strictes : le collectif engage des freelances indépendants qui fact-checkent en permanence le travail des autres. “Il ne faut pas être susceptible parce qu’on va être interrogé en permanence. On demande aux journalistes d’envoyer des footnotes, des photographies, qui prouvent qu’ils ont vraiment rencontré leurs interlocuteurs”. Il prend exemple sur le service de fact-checking du New Yorker, qui avant toute chose vérifie… la météo ! “Si on écrit "ce 14 juillet à Couthures, sous un grand soleil", alors qu’il pleuvait, on peut sérieusement entacher la réputation d’un titre”.
TikTok, plus fort que Google ou Facebook ?
D’après le Washington Post, TikTok règne désormais en maître en tant que nouvelle place publique mondiale. Preuve de sa puissance auprès des jeunes, les mèmes et expressions à la mode apparaissent d’abord sur TikTok, avant d’arriver sur Twitter quelques semaines plus tard. C’est cette place prépondérante qui a été mise en avant dans la conférence intitulée TikTok, plus fort que Google ou Facebook ? En 2022, l’application de l’entreprise chinoise ByteDance a été la plus téléchargée au monde. Elle compte aujourd’hui plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde, et plus de 20 millions en France, selon les chiffres donnés par Médiamétrie. En 2021, le site de TikTok a été ouvert davantage de fois que le moteur de recherche Google.
Comment expliquer un tel engouement auprès des jeunes ? “Tous les utilisateurs de TikTok ne sont pas des adolescents, mais tous les adolescents sont sur TikTok”, explique l’intervenante Océane Herrero, journaliste chez Politico et autrice de l’essai Le système TikTok. Comment la plateforme chinoise modèle nos vies. L’appli devient le média qu’ils consomment le plus au quotidien : 1h30 par jour en moyenne en 2021, soit davantage que le temps passé sur YouTube. Si la plateforme de divertissement plaît tant, c’est qu’elle parvient à sonder avec une précision étonnante les états d’âme des utilisateurs. Il devient pour beaucoup un refuge, un “safe place”.
De gauche à droite, Isabelle Mandraud, Nathalie Sonnac, Océane Herrero, et Pascal Riché
Grâce à son algorithme très sophistiqué, TikTok fait défiler sur la page principale intitulée “For You” des contenus correspondant aux centres d’intérêt et des traits de personnalité de l’utilisateur, sans que celui-ci soit forcément abonné à des comptes spécifiques. “TikTok est une plateforme “avant la demande” si efficace qu’elle semble même anticiper nos désirs. Lorsque l’on fait défiler ce fil, on a surtout l’impression de voir se dérouler comme un tapis, une suite de contenus parfaitement faits pour soi, sans efforts et sans frictions”, écrit Océane Herrero dans son essai, “C’est la “magie de TikTok”, comme le décrit l’entreprise sur son site”. Après avoir échangé avec plusieurs utilisateurs, la journaliste raconte la surprise de ses interlocuteurs face à un algorithme “tout sachant” : “Ils se sont rendus compte que l’algorithme les connaissait à un point quasiment effrayant. La plateforme a déterré des choses dont ils ne parlaient pas à leurs amis”. Par rapport à d’autres réseaux sociaux, TikTok est le plus invasif avec sa formule algorithmique : il donne à l’utilisateur un sentiment de quasi-intimité avec l’application au bout de seulement quelques heures, considère-t-elle. L’algorithme de TikTok accorde une attention particulière au temps passé devant chaque vidéo, ce qui lui permet de déduire les préférences de chaque utilisateur en matière de contenu.
En plus de sonder les tréfonds de l’âme, la plateforme de divertissement plonge rapidement l’utilisateur dans des “rabbits holes”, à l’image de celui dans lequel Alice tombe au pays des merveilles, comme le fait remarquer une étudiante de l’IJBA, école de journalisme à Bordeaux. L’utilisateur se retrouve dans des réalités parallèles, enfermé dans une bulle de filtre, qui peut rapidement devenir addictive. Andrej Karpathy, spécialiste en intelligence artificielle, a ainsi comparé TikTok à du "crack digital". “C’est la première fois que j’ai l’impression que mon cerveau est attaqué par une intelligence artificielle”, relate l’ancien directeur de l’intelligence artificielle et de la vision du pilote automatique chez Tesla. Dans une autre table ronde du festival intitulée Elon Musk et TikTok, maîtres du monde ?, l’intervenante Nathalie Sonnac, professeure à l’Université Panthéon-Assas met en garde contre la toute-puissance de ces algorithmes : “Ils nous connaissent mieux que nous-mêmes au risque de nous faire perdre notre libre arbitre. Ils nous connaissent si bien qu’ils ne proposent que des contenus qui nous plaisent. Plus leur connaissance est fine, plus ils sont capables d’utiliser nos données pour les annonceurs, qui affinent leur ciblage”, met-elle en garde. Ce système économique basé sur la marchandisation des données personnelles participe au “capitalisme de surveillance”. La donnée étant devenu l’or noir du XXIème siècle.
Dans ce contexte, comment les médias tirent-ils leur épingle du jeu? Quel rapport entretiennent les adolescents avec l’information sur le réseau ? D’après le rapport 2023 du Reuters Institute, TikTok est le réseau social qui connaît la croissance la plus rapide, utilisé par 44% des 18-24 ans à des fins diverses et par 20% pour les actualités. Environ la moitié des principaux éditeurs de presse créent désormais du contenu sur TikTok. D’autres hésitent encore à sauter le pas, face au manque de monétisation et à l’influence du gouvernement chinois. “Les médias qui sont actifs sur TikTok ont des relations régulières avec la plateforme pour parler des formats. Télérama a ainsi mis en place un partenariat avec TikTok pour le festival de Cannes”, explique Olivier Tesquet, journaliste à Télérama. “Les médias traditionnels ne sont pas très actifs sur TikTok. Faire de la vidéo prend du temps avec des retombées quasi nulles à ce stade”, nuance Océane Herrero.
Les médias traditionnels ne sont pas les sources d’information les plus mises en avant par la plateforme. Océane Herrero raconte ainsi s’être entretenu avec Pierre, utilisateur de 17 ans, qui lui a indiqué que quand il regarde le compte des médias, c’est par erreur : “Des fois, je swipe vers la droite sans faire exprès et je me retrouve sur mon fil d’abonnement (ndlr : un fil nettement moins mis en avant par TikTok). C’est à peu près le seul moment où je vois des vidéos des grands médias auxquels je suis abonné”. Par ailleurs, comme le note le rapport du Reuters, les utilisateurs de TikTok accordent davantage d’attention aux influenceurs qu’aux journalistes et médias traditionnels. “Il y a une capacité d’identification très forte des utilisateurs aux contenus et personnes qu’ils voient sur la plateforme. Ce phénomène brouille la notion de source de légitimité d’information. De plus en plus d’utilisateurs s’informent par ce biais-là. Il faut essayer de comprendre pourquoi cette appli marche auprès des jeunes sans critiquer tout d’un bloc”, estime Océane Herrero. Ces mêmes influenceurs d’ailleurs tentent de créer des liens avec les médias traditionnels : “Quand on fait des apparitions dans les médias traditionnels, on augmente ses chances d’obtenir une certification TikTok. C’est un peu comme la légion d’honneur pour nous”, confiait un influenceur à la journaliste.
La modération a également intéressé les participants du festival, qui se sont interrogés sur ses modalités. Un modérateur installé au Portugal peut ainsi gagner jusqu’à 1100 euros par mois : son travail consiste à vérifier 1000 vidéos par jour. En 2020, ils auraient été 10 000 à travailler dans la modération pour la plateforme. Pour les lives, les modérateurs doivent en regarder 20 simultanément tout en prêtant une attention particulière à la question de l’âge : ils ne doivent pas autoriser les lives de jeunes adolescents. Sur la question de la nudité, les critères sont relativement flous. Il est possible de poster une vidéo en maillot de bain sur la plage, mais pas une vidéo de soi en maillot de bain au milieu de son salon. “Tout dépend du contexte”, estime la journaliste de Politico.
A côté de ces problématiques, il a également été question de “l’éléphant dans la pièce”, comme l’a formulé Olivier Tesquet : TikTok est une application chinoise, la première à pousser les portes de l’Occident avec brio. “Tout d’un coup, on se rend compte que la plateforme la plus populaire auprès des jeunes n’est plus d’origine américaine, mais chinoise”, constate le journaliste. Un changement significatif qui incite les autorités américaines à accroître considérablement la pression sur l’entreprise. L’un des principaux points de préoccupation concerne ses liens avec le Parti communiste chinois. Les craintes d’ingérence ont suffit à l’Inde pour interdire l’application sur son territoire. Au Sénat français, une commission d’enquête a ainsi achevé ses travaux, soulevant les risques parmi lesquels les données des utilisateurs européens seraient transmises au gouvernement chinois.
Breaking News & Slow News : quelle est la meilleure recette ?
Sous l’ombre de l’espace “Peupliers” du Festival international de journalisme, le temps était lourd mais il s’apprêtait à être discuté, débattu, distendu. D’abord par une introduction de Frédéric Ferrer, auteur et fondateur de la compagnie “Vertical Détour”. Alors que les esprits étaient prêts à s’échauffer sur l’interrogation suivante “ Informer sans déprimer, est-ce possible ?” l’acteur a proposé une entrée en la matière par l’absurde évoquant les 65 millions d’années d'éruption volcanique, les hivers nucléaires nous ayant précédés et notre fin sur terre, éloignée certes, mais certaine. De quoi laisser songeur sur la relativité du temps et sur l’existence en elle-même : des questionnements parfois source d’angoisse chez les êtres humains que nous sommes. Mais l’on accuse aussi les médias, et notamment l’information en continu dans son immédiateté incessante, de venir gonfler le stress et l’anxiété du public qui les suivent. Fabien Namias (Directeur général délégué de LCI), Mariam Pirzadeh (France 24) et Luce Julien ( Directrice générale de Radio Canada) étaient présents sur une petite scène en bois disposée pour l’occasion afin d’en discuter. Le sujet de la fatigue informationnelle n’est pas nouveau : en 1951 Edgar Morin parlait d’un “aveuglement face à un nuage informationnel”. En 2022, le constat semble s’être renforcé. La fondation Jean Jaurès à travers une étude dédiée relayait que 50% des Français déclaraient vivre une fatigue informationnelle ? Alors, d’où vient-elle, quelles responsabilités y déceler et comment y remédier ?
Pour Fabien Namias il faut commencer par le commencement “le journalisme de solution est un leurre, le métier de journaliste est celui de poser des questions et non pas de poser des solutions”. Mais il constate aussi qu’il existe un véritable “robinet de flux” d’informations, qu’il s’agit de pouvoir maîtriser. Et que cela doit passer par une hyper sélection des sujets et un parti pris : celui de refuser l’exhaustivité et de prendre le temps du temps long. Luce Julien souligne ainsi que l’info en continu est un complément à ce qui existe dans d’autres médias. Mariam Pirzadeh rebondit, expliquant alors les coulisses de ces flux d'informations. Au sein de France 24, une équipe de journalistes est en permanence confrontée à un mur d’images provenant du monde entier : celles-ci n’ont pas de filtres, peuvent être violentes et choquantes. Ils exercent le rôle de tampon. C’est ensuite une décision éditoriale, que de choisir de les montrer ou de ne pas les montrer. Il faut aussi savoir, lorsqu’un sujet génère trop d’anxiété, comment prendre le temps du recul pour pouvoir le traiter efficacement. Et cette décision du choix des images, mais aussi des mots est bien au cœur du métier. C’est là que peut surgir le mot de “responsabilité”.
Des participants s’interrogent : pourquoi ne pas montrer plus d’informations positives ? Ce n’est pas un défaut de réflexion sur ce sujet du côté des rédactions, mais là aussi, un choix qui est pris de le faire ou de ne pas le faire, comme l’explique Mariam Pirzadeh auprès d’une assistance qui semble dubitative. L’erreur serait de déformer, d’exagérer plutôt que de “raconter le réel”, mais les audiences sont aussi plus fortes au moment de grands évènements comme des catastrophes naturelles ou de grands accidents. Le sensationnalisme “fonctionne” et la tentation est alors grande de transformer un angle. Mais c’est là aussi où le consommateur d’information détient les clés d’une information de qualité, en diversifiant ses sources et en allant chercher au bon endroit, ce qu’il espère trouver. L’on peut déplorer cependant un certain manque réflexif sur leurs pratiques du côté des professionnels, ou peut-être se sont-ils tus. Mais à mesure que la société se complexifie tant du point de vue des phénomènes sociétaux que des changements environnementaux, l’on aurait souhaité voir poindre des éléments plus élaborés sur des travaux en cours, en interne ou inter-médias liés aux manières de s’adresser, de communiquer, aux nouveaux usages de notre langage, qu’il soit oral ou virtuel.
De gauche à droite, John Henley, Basia Cummings, David Serveney, Simon Roger
Mais vite ! Au tour d’autres producteurs d’information de prendre place : Basia Cummings (Tortoise Media), David Servenay (Revue XXI), John Henley (The Guardian) et Simon Roger (Le Monde) qui faisait alors office de modérateur. Et si on ralentissait un peu l’info ? Pour Basia Cummings, la réponse est sans équivoque, il s’agit d’un grand oui. Faire le contraire, c’est prendre le risque de passer à côté de quelque chose. Elle explique ainsi que Tortoise Media a été créé par James Harding à la suite du Brexit. Plusieurs journalistes ont eu le sentiment d’être “passés à côté de l’histoire”, “passés à côté du sentiment intérieur du pays”. A plusieurs, ces exilés du breaking news se sont retrouvés pour composer une nouvelle histoire, faite de lenteur et de transparence. En arborant aussi une nouvelle attitude. Leur arrivée sur le marché de l’information n’a pas eu un retentissement très positif au départ, le média, qui fonctionne encore comme une start-up , n'a pas suscité un réel engouement auprès des lecteurs avec ses formats longs. Il a dû trouver sa voie et s’est dirigé vers l’audio et le podcast, que Basia Cummings considère comme plus “chaleureux, plus ouvert”. Un médium qui permet aussi de montrer la vitesse de travail et de faire de l’investigation en attirant un nouveau public. La jeune directrice éditoriale explique ainsi qu’au Royaume-Uni, une étude avait démontré que les plus grands lecteurs de format d’investigation étaient des hommes plutôt âgés et que Tortoise parvenait aujourd’hui à toucher un public plus jeune, composé de femmes.
Du côté de la revue XXI, le parti pris est assumé et plutôt hybride : un pied dans la presse et un pied dans l’édition, puisque les sujets peuvent être décidés parfois deux ans avant une publication. Mais pour David Servenay - qui semble en accord avec Luce Julien - le breaking news et le slow news sont complémentaires. Il file une métaphore culinaire, en expliquant qu’on ne lit pas tous les jours de très longs formats, de la même manière qu’on ne mange pas du Bocuse chaque jour. S’informer, comme s’alimenter serait ainsi une question d’équilibre et une responsabilité partagée entre une exigence de transparence des producteurs, et des choix à faire du côté des consommateurs.
Mais l’on sent bien que la question pourrait être approfondie et semble venir toucher d’autres sujets en lien : l’éducation aux médias, la réaction face à l’émotion d’anxiété, la protection des plus jeunes. De ce côté-là, Marion Robin, pédopsychiatre, l'Institut mutualiste Montsouris à Paris invitera les parents à faire parler leurs adolescents sur leurs inquiétudes, et si possible à la partager collectivement pour rendre cette digestion plus facile. Il est bon de s’émouvoir, mais de s’émouvoir ensemble, de profiter de la résilience collective existante rappelle-t-elle. Pas de recette miracle donc, mais une hygiène informationnelle à s’imposer, sans oublier (de temps en temps) de se déconnecter.