10 choses à retenir de l’été 2023 pour les médias

Comme chaque année, Méta-Media vous propose au retour de la plage (ou des montagnes) un condensé des 10 tendances qui nous ont marquées pendant la période estivale. De la mutation des réseaux sociaux (qui, pour certains, sont déclarés morts) au déclin de la consommation télé (y compris chez les plus âgés) en passant par le phénomène #Barbenheimer, voici notre rattrapage (non exhaustif) des essentiels pour celles et ceux qui ont pu déconnecter cet été.  

Par Alexandra Klinnik, Myriam Hammad du MediaLab de l’Information et Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media

1La fin du Far West sur les réseaux sociaux

Cet été, les grandes plateformes ont été forcées à modifier leurs pratiques par les autorités de protection des utilisateurs à travers le monde. Début août, Meta annonçait bon gré, mal gré, son intention de rendre les publicités ciblées “facultatives” en Europe sur les applications Instagram, Whatsapp et Messenger. Mais la plateforme est restée assez évasive sur cette mise en pratique, le continent européen représentant près d’un cinquième de l’ensemble de ses revenus publicitaires. Dans la même veine, TikTok a anticipé les exigences européennes, en rendant optionnel le tracking comportemental pour les propositions de sa page « For You », qui fait le succès addictionnel de la plateforme.

Depuis le 25 août 2023, le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur et interdit les publicités ciblées à partir des données dites “sensibles” (origine ethnique, opinions politiques, orientation sexuelle) à près de 19 acteurs numériques majeurs. Ces derniers devront s’assurer du consentement explicite de l’utilisateur, et les publicités ciblées seront interdites pour les mineurs. Les fonctionnements des systèmes de recommandation des algorithmes doivent aussi être expliqués et une méthode alternative systématiquement proposée. Plusieurs autres mesures phares sont venues protéger les internautes, à l’instar de l’obligation pour les plateformes à caractère commercial (comme Amazon) de se renseigner sur leurs vendeurs, ou bien encore le signalement renforcé et facilité des contenus illicites avec la mise en place d’un “signaleur de confiance”.

En Europe toujours, trois groupes de presse français (Le Monde, Le Figaro, Les Echos, Le Parisien) ont assigné Twitter en justice dès le 11 juillet 2023, suivi par l’AFP début août au sujet des droits voisins. Ces droits ont été élargis par une directive européenne de 2019 aux grandes plateformes numériques : Twitter était resté silencieux sur la rémunération des contenus des magazines, agences de presse et journaux sur sa plateforme.

En Chine, la CAC (administration du cyberespace chinoise) a publié  un nouveau projet réglementaire visant à limiter le temps des mineurs sur les smartphones. Sont pointés du doigt le développement de la myopie et des addictions chez les plus jeunes. Près de 24 millions d’enfants présenteraient “une dépendance clinique à internetselon Quartz. Il s’agirait d’imposer aux constructeurs de téléphone un “mode mineur” selon trois tranches d’âge : 40 minutes pour les moins de 8 ans, 1 heure pour les 8-16 ans et 2 heures pour les 16-18 ans. Une fois la minuterie passée, et également après 30 minutes consécutives, les parents pourraient recevoir une notification. L’administration travaille aussi sur un projet de “couvre-feu numérique” destiné aux mineurs de 22 heures à 6 heures. Le texte est toujours en discussion et devrait être adopté en septembre 2023. Déjà en 2021, le gouvernement avait imposé un couvre-feu aux joueurs de jeux vidéo de moins de 18 ans. Cette mesure avait porté un coup dur aux géants du jeu comme Tencent.

Alors que les obligations envers les plateformes se durcissent, certains annoncent la “fin d’une époque” comme le souligne le journaliste David Pierce dans une analyse sur les changements du web social pour The Verge.  “Il s’avère que l’on ne gagne pas d’argent en mettant les gens en contact les uns avec les autres, mais qu’il y a des fortunes à gagner en plaçant des publicités entre des vidéos qui défilent verticalement que beaucoup de gens regardent. L’ère des « médias sociaux » cède donc la place à l’ère des « médias avec une section de commentaires » –  et tout devient plateforme de divertissement. Les réseaux sociaux sont-ils morts ? Ce constat amène quelques-uns à se tourner vers le « fediverse », ces réseaux décentralisés comme Mastodon ou Bluesky qui peuvent être communs à tous sans appartenir à personne. Mais force est de constater qu’ils ne sont pas près d’offrir la même expérience utilisateur ni la même protection que celle des grandes plateformes…

2Twitter devient X – le départ impossible des journalistes ?

Depuis quelques années, l’effet Twitter s’estompe. Dès 2020, Poynter pointait le ras-le-bol de journalistes contraints de faire face sur la plateforme “à des querelles mesquines sur des questions ésotériques”, “à des attaques sectaires et de mauvaise foi de la part d’utilisateurs anonymes et de robots” et “à une stimulation cérébrale incessante qui déforme la perception”. Mais depuis la prise de contrôle du réseau par Elon Musk, rebaptisé X en juillet, la relation entre les médias et la plateforme s’est encore plus dégradée.

Le Citizen Kane du numérique a réduit les équipes de modération, permettant ainsi aux discours de haine de se propager. Il a retiré Twitter du code de l’Union Européenne contre la désinformation, désactivé le centre de presse, il facture l’accès aux données de recherche, a annoncé sa volonté de supprimer la possibilité de bloquer un utilisateur, et rémunère des utilisateurs dont certains comptes “pilleurs d’informations”. Comme le rapporte Libération, le compte AlertesInfos – souvent critiqué pour son manque de déontologie – aurait perçu du réseau social près de 7.000 euros. 

Le changement du logo en X du jour au lendemain a ajouté de quoi créer la confusion auprès des journalistes, qui ont depuis longtemps annoncé leur intention de se réfugier vers d’autres foyers, dont Mastodon. Mais l’exode annoncé n’a pas eu lieu. “Il n’y a pas eu de grande migration, comme ce qui s’est passé de MySpace à Facebook, de Yahoo!Groups à LiveJournal, de Live Journal à Tumblr, malgré tous les cris d’alarme sur le fascisme ambiant sur X”, estime la journaliste Katherine Thee. D’après le rapport 2023 du Reuters Institute, le réseau Mastodon, souvent plébiscité, n’est même pas enregistré sur la plupart des marchés, et est seulement utilisé par 2% des sondés aux Etats-Unis et en Allemagne. Si Threads, le réseau lancé cet été par Meta, a souvent été mentionné comme le rival sérieux de Twitter, l’enthousiasme des utilisateurs s’est aujourd’hui évaporé. Selon Similarweb, le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Threads a atteint un pic de 49,3 millions début juillet, puis est tombé à 10,3 millions un mois après – soit une baisse d’environ 80%

Source : Similarweb

Pour les écrivains ou intellectuels, quitter Twitter équivaut à prétendre que vous quittez New-York, avec une probabilité encore plus faible que ça se produise”, poursuit Katherine Thee, si la personne est pigiste, c’est encore plus difficile. Mis à part quelques chanceux, personne ne part jamais, pas vraiment

Pour les journalistes, disparaître de Twitter signifie se couper de sources potentiellement précieuses. Cette place publique est “l’instrument de communication favori des entreprises, des politiques, et des personnalités qui “comptent”, souligne le média La Libre.C’est un faiseur de tendances indéniable. Il repose activement sur la qualité d’élites auto-sélectionnées”, insiste Katherine Thee. Dans ce contexte, difficile pour les journalistes de s’en passer. Certains mettent en place quelques stratagèmes légers pour protester à leur manière. Matt Navara, consultant social media suivi par près de 170.000 personnes sur X, a affiché son désarroi en se définissant comme “réfugié twitter à la destination inconnue.

Taylor Lorenz, journaliste tech du Washington Post, dont le compte avait été momentanément suspendu par Elon Musk, a changé son pseudo en “TaylorLorenz.Substack.com. Une façon de couvrir ses arrières en incitant ses followers à suivre sa newsletter.  

Les vrais oiseaux migrateurs, en quête d’un terrain plus apaisé, sont les scientifiques. Ils doivent faire face à un climat de haine inédit.  “Depuis un mois, c’est la folie”, dénonce le docteur en agroclimatologie Serge Zaka, suivi par 80 000 personnes. “On te butera”, “Tu es fragile et lâche”, “Vous n’êtes jamais fatigué d’être aussi con” : les messages de haine vont crescendo sans aucune modération. Face au harcèlement des climatosceptiques, de plus en plus d’experts climat déploient leurs ailes. Selon un sondage organisé par la revue Nature, sur 9.200 répondants, près de la moitié ont réduit leur utilisation, et moins de 7% ont quitté les réseaux sociaux. Une étude publiée le 15 août dans la revue Trends in Ecology & Evolution a scruté les comptes de 380.000 défenseurs de l’environnement. Depuis la vente en octobre 2022, près de 50% sont devenus inactifs. 

Dans l’enquête de la revue Nature, environ 46% ont rejoint d’autres plateformes tels que Mastodon, Bluesky, Threads, TikTok. LinkedIn est le deuxième endroit le plus populaire pour les sondés pour ouvrir de nouveaux comptes. Selon un article du mois d’août de Bloomberg, le réseau social professionnel “is the new place to be” : “Alors que d’autres réseaux sociaux stagnent, modifient leur algorithmes ou se sabordent, LinkedIn devient un site où les gens ordinaires veulent réellement passer du temps et publier leurs réflexions ; cela pourrait même devenir cool”. A bon entendeur !

3Les réseaux sociaux façonnent de plus en plus l’actu

Pour l’actualité, TikTok est devenue la “nouvelle place publique mondiale”, d’après un article du Washington Post datant de juillet. Selon le Reuters Institute, TikTok est le réseau social qui connaît la croissance la plus rapide, utilisé par 44% des 18-24 ans à des fins diverses et par 20% pour les actualités. Au Kenya, les utilisateurs de TikTok documentent et monétisent les manifestations antigouvernementales. Ils partagent ainsi régulièrement des vidéos de manifestations, pour capter le réel. “Sur TikTok, vous obtenez des nouvelles que vous ne pourriez jamais obtenir à la télévision”, considère Gabiro Mtu Necessary, un artiste de plus de 50.000 abonnés, qui a participé aux manifestations.

Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs de TikTok prêtent davantage d’attention aux influenceurs qu’aux journalistes et médias traditionnels. Il y a une capacité d’identification très forte des utilisateurs aux contenus et personnes qu’ils voient sur la plateforme. Ce phénomène brouille la notion de source de légitimité d’information, estime la journaliste tech Océane Herrero, de plus en plus d’utilisateurs s’informent par ce biais-là. Il faut essayer de comprendre pourquoi cette appli marche auprès des jeunes sans critiquer tout d’un bloc”.

@kahlilgreene The White House invited content creators to learn more about the crisis in Ukraine. #hiddenhistory #ukraine #blackcommunitytiktok ♬ original sound – Gen Z Historian

A côté de TikTok, Meta a également rythmé l’été avec une décision inquiétante, concernant les médias traditionnels au Canada. Sur Facebook et Instagram, les liens vers les sites d’information ne s’affichent plus depuis le 1er août. Cette décision intervient en réponse à une nouvelle loi relative à l’information en ligne, qui contraint les grandes entreprises du numérique à payer les éditeurs. Ce ban n’a pas eu d’effet sur l’utilisation des Canadiens de Facebook. Le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Facebook au Canada et le temps passé sur l’application sont restés à peu près inchangés, d’après Similarweb. Pour Meta, les liens vers des articles d’actualité représentent moins de 3% du contenu de ses flux Facebook et  n’ont aucune valeur économique. En revanche, les médias internationaux ont ressenti la différence : le Figaro a annoncé une chute de 20% de son trafic en provenance du Canada. Le blocage par Meta est “un symbole rappelant que les plateformes sont capables de couper l’accès à l’information”, estime Marc Feuillée, DG du groupe Le Figaro.

Enfin, Substack tient toujours bon dans son rôle de refuge pour les déçus des réseaux sociaux, après six ans d’existence et de sérieux concurrents (WordPress et Beehiv). La plateforme d’auto-édition accueille ainsi une “dizaine” d’écrivains-journalistes qui gagnent maintenant “six chiffres ou plus” sur Substack au Royaume-Uni, rapporte PressGazette. Aujourd’hui, selon la plateforme, il y aurait plus de deux millions d’abonnements payants et plus de 35 millions d’abonnements actifs au total. “Les chiffres continuent de croître. Ce n’est pas la même croissance fulgurante que celle observée pendant la pandémie, mais je suis fier de la manière dont nous continuons à croître, malgré le chaos de l’époque et les tentatives d’Elon Musk de nous nuire”, a assuré Hamish McKenzie, le cofondateur de Substack.

4La télévision détrônée par un streaming de plus en plus cher ?

La télévision linéaire constituerait désormais moins de 50% de la consommation. Selon la dernière étude de Nielsen datant de juillet 2023, les Américains passent plus de temps à regarder des plateformes de streaming qu’à regarder les chaînes du câble. Au Royaume-Uni, même les publics plus âgés délaissent le petit écran. D’après le dernier rapport Ofcom, pour la première fois au Royaume-Uni, un déclin significatif de l’audience de la télévision diffusée se fait sentir parmi les personnes de plus de 64 ans. Ils ont regardé 8% de télévision diffusée en moins en 2022 qu’en 2021.

Les téléspectateurs plus âgés utilisent de plus en plus les services de streaming, avec une adoption de Disney+ parmi les personnes de plus de 64 ans passant de 7% en 2022 à 12% en 2023. Selon Nielsen, la part d’utilisation des services de streaming a atteint un niveau record de 38,7% de la consommation totale de la télévision aux Etats-Unis. Netflix, tirant la locomotive avec YouTube. Netflix reste focalisée sur son objectif : dominer le monde du divertissement, mais en poursuivant cette ambition pays par pays, souligne le New York Times. La plateforme souhaite s’étendre en Asie et en Amérique latine, au-delà de ses marchés principaux, désormais saturés aux Etats-Unis et en Europe, où la croissance des abonnés ralentit naturellement. Elle alloue aussi davantage de son budget annuel de 17 milliards de dollars au contenu en langue étrangère.

Si le streaming affiche de jolis scores d’audience, la situation risque de ne pas durer. Les prix bas des services de streaming ont attiré de nombreux consommateurs, par rapport aux forfaits plus coûteux de télévision par câble. Mais le Financial Times prévoit déjà la fin du streaming bon marché”. Afin de limiter des pertes de plusieurs milliards de dollars, les prix des services vont augmenter. Une offre de principaux services de streaming aux Etats-Unis coûtera 87$ cet automne, contre 73$ il y a un an. En comparaison, le forfait de télévision par câble moyen coûte 83$ dollars par mois. Au-delà de la guerre des contenus et de l’attention, commence la guerre du portefeuille…

5YouTube devient télé, et plateforme de podcast

Le premier concurrent de la télévision historique n’est peut être pas Netflix, mais YouTube. On l’a vu, aux Etats-Unis, c’est la deuxième appli la plus utilisée après la plateforme créée par Reed Hastings et Marc Randolph. Après plusieurs mois de tests, YouTube a lancé cet été officiellement Multiview pour YouTube TV (disponible dans plus de 99,5% des foyers américains, selon Alphabet), en commençant par les matchs de la Women’s National Basketball Association (mais sans laisser la main aux abonnés de sélectionner les flux qu’ils souhaitent mettre en avant…).

Le public américain passe plus de temps à regarder YouTube sur un téléviseur que ABC et CBS réunis, 45% des visionnages de Youtube ont désormais lieu sur un écran de TV aux Etats-Unis. Quoi de plus logique que de s’attaquer aussi à la publicité en s’intéressant au format star de la pub TV : le 30 secondes non skippable, pour appuyer les ambitions du géant américain bien décidé à devenir le leader de la télévision de demain, chez les consommateurs comme chez les annonceurs.

YouTube a aussi sorti cet été une fonctionnalité pour relayer des contenus longs à partir de YouTube Shorts, avec l’objectif de prolonger l’expérience de visionnage (et de s’approcher d’un format télé, où l’on pourrait passer de la bande-annonce au film plus long). Non seulement YouTube s’intéresse de plus en plus à la télé, mais il s’approprie aussi la notion de podcast : Aux Etats-Unis, le podcast n’est plus seulement considéré comme un support audio, mais également vidéo. 75% des Américains définissent le média comme un contenu “audio ou vidéo”, d’après une étude menée par Coleman Insights et le cabinet de conseil en podcasts Amplifi Media, en août 2023.

Dans un pays où YouTube est la première plateforme d’écoute de podcasts, cette définition n’est finalement pas si étonnante. Aux Etats-Unis, les émissions de débat télévisées sont régulièrement reformatées en podcasts. L’essor des podcasts vidéo s’explique en partie par “la portée et des revenus supplémentaires fournis par YouTube, mais aussi parce que la promotion vidéo a tendance à être plus efficace pour attirer l’attention via les réseaux sociaux, rappelle Nic Newman du Reuters Institute.

De courts extraits des podcasts inondent les réseaux sociaux. Avec un set-up généralement très simple : micro, caméra, casque et fonds uni. “Le micro du podcast, à l’époque du COVID, est devenu un signal visuel d’importance, un peu comme à l’épisode du pic Ted Talk, une bande de gars se filmaient sur des scènes, ajoutaient de la musique d’inspiration, puis postait le tout sur Facebook”, estime le journaliste Ryan Broderick.

Ce phénomène ne se limite pas à YouTube. “Ce ne sont pas seulement les utilisateurs de podcasts sur YouTube qui sont ouverts à l’idée d’appeler une vidéo un podcast. Notre étude révèle que plus des deux tiers des utilisateurs de Spotify et d’Apple partagent le même avis”, constate Jay Nachlis, Vice Président chez Coleman Insights. Comme le note un article de The Verge, datant de mars 2023, Spotify mise également gros sur les podcasts vidéo.Le podcast vidéo est l’un des domaines à la croissance la plus rapide dans le monde du podcast, et nous prévoyons que cette croissance se poursuive”, avait expliqué Julie McNamara, Head of Studios chez Spotify. Fin juin, la plateforme a annoncé héberger plus de 100.000 podcasts vidéo

6L’automatisation de la désinformation et du plagiat par l’IA  

C’est une forme de plagiat surpuissant, insidieux. Fin août 2023, NewsGuard, la start-up spécialisée dans la lutte contre les fausses informations, a identifié 37 sites d’un nouveau genre. Ceux-ci s’appuient sur des chatbots pour réécrire des articles des médias internationaux tels que CNN, le New York Times ou Reuters. La source originale n’étant jamais citée. Jamais auparavant des sites n’avaient eu la possibilité de réécrire ainsi des articles créés par d’autres, pratiquement en temps réel, et de manière souvent difficile à détecter”, s’alarme NewsGuard.

Certains de ses sites diffusent de la publicité programmatique pour des entreprises reconnues, “ce qui signifie que des marques de premier plan contribuent sans le savoir, à financer la pratique consistant à utiliser l’IA pour reproduire de manière trompeuse des contenus provenant de sources d’information traditionnelles”. La construction d’une machine industrielle de désinformation par l’IA ne coûterait que 400 dollars, selon Wired, qui a analysé le projet CounterCloud, interrogeant son créateur « Nea Paw » (qui souhaite rester anonyme, mais qui veut néanmoins alerter sur le danger de la désinformation par l’IA produite en masse, notamment par la vidéo ci-dessus).

Seule manière de détecter ces sites : les messages d’erreur, qui se glissent dans de nombreux articles: “En tant que modèle de langage, je ne peux pas réécrire ce titre..”, “Désolé, en tant que modèle de langage d’IA, je ne parviens pas à déterminer quels contenus doivent être reformulés sans contexte ou informations supplémentaires”.

Début août, OpenAI a lancé son robot d’exploration Web GPTBot, chargé de collecter les données de tous les sites Internet, afin d’entraîner ses modèles GPT-4 et GPT-5, avec, en même temps, des précisions sur la manière de restreindre son accès. Dans la foulée, les médias s’empressent d’empêcher le bot de ChatGPT d’aspirer leurs contenus d’information. Plusieurs géants de l’information tels que CNN, le New York Times (qui envisage une action en justice contre OpenAI), Reuters, Disney, Bloomberg, The Washington Post, The Atlantic, Axios, Insider, ABC News, ESPN, The Guardian ont mis en place des mesures défensives. Radio France et France Télévisions l’ont bloqué aussi, il y a quelques semaines, de manière conservatoire.


Certains médias bloquent complètement l’accès au bot


D’autres permettent l’accès à certaines catégories de leurs sites

7ChatGPT s’abrutit-il ?

A force de couper l’accès aux sites sérieux, les intelligences artificielles génératives ne risquent-elles pas de (re)devenir stupides ? Cet été, pour la première fois de son lancement, ChatGPT a observé une baisse de croissance. L’interface conversationnelle ne semble plus en mesure de croître jusqu’à devenir le site web le plus fréquenté au monde. Pour l’instant, Google ne risque donc pas d’être éclipsé par la démo technologique d’OpenAI, devenue phénomène culturel. Non seulement les visiteurs sont moins nombreux (-9,7%), mais en plus ils restent moins longtemps. Un comportement à mettre en regard avec les révélations du PDG d’OpenAI, Sam Altman, qui a qualifié le coût de fonctionnement du service, essentiellement gratuit, d' »exorbitant » – selon des estimations externes, il s’élèverait à environ 700.000 dollars par jour.

source : Similarweb

Une des raisons de la baisse d’engouement pour l’assistant virtuel d’Open AI (en plus des départs en vacances) est peut-être le fait qu’il paraît – comment le décrire poliment – de plus en plus bête. De nombreux utilisateurs (la rédaction de Méta-Media comprise) ont constaté un affaiblissement de la logique, une difficulté à suivre les instructions, une diminution de la qualité rédactionnelle et une tendance à oublier des informations importantes. Testé aujourd’hui : il ne maîtrise même plus les règles les plus basiques de la grammaire allemande 😢.

Ce phénomène laisse particulièrement perplexe, car les modèles d’IA générative utilisent nos données pour s’entraîner en permanence, ce qui devrait les rendre plus intelligents au fur et à mesure qu’ils accumulent des données des presque 200 millions d’utilisateurs. Que nenni ! Les experts essaient d’expliquer cette « déviation » par un phénomène de « drift », un comportement imprévisible des grands modèles de langage (LLM) qui s’écartent de leur état normal, décrit comme « un professeur distrait qui ne cesse de recevoir des informations, mais qui, au lieu de devenir plus sage, finit par égarer ses clés de voiture dans le réfrigérateur », et détaillé dans ce papier des Universités de Stanford et Berkeley.

Mais surtout, au vu du coût quotidien d’utilisation qui fait pleurer Sam Altman, il semblerait qu’au lieu de développer un modèle GPT-4 massif, OpenAI soit en train de créer plusieurs modèles GPT-4 plus petits, axés sur un sujet spécifique. Cette approche, appelée mélange d’experts (MOE), réduirait les coûts de calcul du système tout en offrant des capacités similaires à celles d’un seul modèle gigantesque. En divisant le modèle GPT-4 en petits modèles spécialisés axés sur des tâches précises, OpenAI pourrait bénéficier d’un grand modèle de langage sans avoir à dépenser autant. Mais qui est peut-être aussi moins performant, même si Open AI prétend le contraire :

Affaire à suivre, après tout, GPT-4 est toujours en développement, …et sous le coup d’une enquête de la FTC. Pendant ce temps, l’assistant professionnel de Google est maintenant disponible dans Workspace (30 € / mois), et peut faire des CR de réunions (via Meet), et même vous représenter dans une visioconférence… Et pendant que le software peine à maintenir sa performance époustouflante, le PDG d’Intel vient d’annoncer qu’il va « intégrer l’IA dans toutes les plateformes que nous construisons » grâce à Meteor Lake, sa première puce grand public dotée d’un processeur neuronal intégré pour les tâches d’apprentissage automatique. Nvidia, autre fabricant de puces américain, a, lui-aussi, trouvé l’or de l’IA.

8Hollywood se rebiffe face à l’IA

Après 100 jours de grève à Hollywood, les festivals de cinéma de la rentrée s’ouvrent pleins de belles promesses et d’incertitudes liées au mouvement social. Absence de stars américaines à Venise, Deauville et ailleurs, décalage de sorties et même arrêt de productions – la prise de conscience des scénaristes et acteurs face aux enjeux soulevés par l’Intelligence Artificielle à Hollywood (et les réclamations d’une meilleure rémunération par les grandes plateformes de streaming Netflix, Disney +, Amazon) tombent très mal après deux ans de pandémie mondiale qui ont déjà ébranlé une industrie en difficulté. Le puissant syndicat SAG-Aftra interdit à tous ses membres, stars ou anonymes, de tourner pendant la grève, mais aussi de participer à la promotion des films. Une récente offre d’emploi de Netflix pour un chef de produit Machine Learning qui indiquait une fourchette de salaire comprise entre 300 000 et 900 000 dollars a déclenché l’ire de la base des syndicats d’Hollywood.

Couverture du Magazine Variety, Francessco Muzzi / StoryTK

Les dirigeants d’Hollywood sont manifestement intrigués par l’IA, tout comme les cadres de tous les secteurs d’activité. Environ 96 % des décideurs en matière d’IA dans les entreprises de médias et de divertissement ont déclaré qu’ils prévoyaient d’augmenter leurs dépenses en technologie d’IA générative au cours des 12 prochains mois, selon une enquête menée entre mai et juillet auprès de 6 000 employés par Lucidworks.

Selon Wired, les scénaristes de Hollywood ont raison de craindre l’IA. Son évolution massive à une vitesse fulgurante est bien sûr ce qui inquiète la plupart des gens. L’IA s’améliore si rapidement, notamment en générant des vidéos complètes à partir de textes, qu’un film complet pourrait être créé à partir de textes dans quelques années seulement (pas encore aujourd’hui, c’est sûr). Selon Michael Huppe, PDG de SoundExchange, une organisation à but non lucratif de gestion des droits pour les contenus sonores numériques, l’industrie créative pourrait rapidement avoir besoin d’une sorte de label pour l’IA générative, à l’instar de la FDA qui exige un étiquetage normalisé des produits alimentaires. « Peut-être que vous finirez par payer plus cher pour un service de streaming exclusivement humain », ajoute-t-il. La greve des acteurs continue, et pendant ce temps, tous les agents des stars hollywoodiennes négocient des droits pour créer et contrôler leurs jumeaux intelligents numériques.

Un épisode de Black Mirror, diffusé en pleine grève de la Writers Guild of America, décrit la scène suivante et apparaît comme un documentaire du futur : Installée sur son canapé après une journée difficile au travail, une femme nommée Joan (Annie Murphy) se connecte à Streamberry, un substitut à peine voilé de Netflix, et tombe sur une émission de télévision basée sur les événements de sa journée : « Joan Is Awful », avec Salma Hayek. L’émission ruine se vie, mais il n’y a rien de personnel : Streamberry, qui fonctionne avec des algorithmes de pointe, a créé « Joan Is Awful » sans aucune intervention humaine. Aucun scénariste ou acteur n’est impliqué dans la production : les scénarios sont rédigés par une intelligence artificielle et les interprétations sont des « deepfakes » élaborés. Le cinéma et la télévision qui sont déjà en train de perdre la compétition du temps de cerveau disponible au profit des jeux vidéo et d’internet ont désormais un nouvel ennemi encore plus redoutable…

9La bataille du climat à l’antenne 

Le mois de juillet 2023 aura été le plus chaud jamais enregistré depuis 1880 d’après la NASA et l’information a été relayée de manière abondante au sein des médias et allègrement commentée sur les réseaux sociaux avec son lot de fausses informations. 

Eleni Myrivili, responsable du programme des Nations Unies pour les établissements humains, déclare dans le New York Timesla désinformation sur le climat est « l’une des choses les plus douloureuses parce que c’est comme si on ajoutait l’insulte à la blessure« .

Ont alors ressurgi les enjeux récurrents (que nous avions par ailleurs traités dans notre cahier de tendances dédié aux médias et au climat) auxquels font face les médias lorsqu’il s’agit d’évoquer le réchauffement climatique. Il faut pouvoir être capable de faire preuve de pédagogie pour lutter contre le climatoscepticisme et expliquer la gravité des phénomènes climatiques tout en tenant compte de l’éco-anxiété que la diffusion de ces  informations peuvent susciter. L’exercice n’est pas aisé tant les attentes peuvent être hétérogènes. Par exemple, pour ce mois de juillet 2023, certains articles traitent du sujet en livrant les clés de compréhension essentielles du phénomène, tandis que d’autres l’explorent, plus scientifique, avec plus de profondeur. 

C’est pourtant la diffusion de cette information en images à la télévision qui aura suscité la polémique. Les cartes météo – rebaptisées “cartes de la honte” par certains ont été critiquées pour avoir véhiculé un alarmisme jugé exagéré représenté par une surcharge de nuances rouges : 

Le choix de la colorimétrie appartient à chaque chaîne de télévision comme le rappelle TF1 qui a souhaité s’exprimer pour répondre aux critiques sur ce sujet. Mais d’autres données à afficher sont aussi présentes sur les cartes. Du côté de France Télévisions, Martin Gouesse, rédacteur en chef du Journal Météo Climat explique :

Nous avons trois gammes de cartes : été, hiver, printemps-automne. Il existe sur celles-ci un dégradé avec une vingtaine de couleurs allant du bleu foncé à l’orange très foncé. Les couleurs correspondent à des températures et non pas à des différences de température. Tous les 2 degrés, il y a changement de couleur. Notre inspiration provient du climate extract d’Ed Hawkins. Avec la partie climat nous essayons d’expliquer les phénomènes climatiques et nous sommes très en lien avec nos correspondants à l’étranger et les bureaux des régions pour traiter ces sujets qui s’inscrivent dans le long terme.”

Si l’évolution même du réchauffement climatique implique de revoir les palettes de couleurs utilisées pour montrer les nuances qui se multiplient et surtout indiquer lorsqu’il existe un danger particulier, cela n’empêche pas la température terrestre d’augmenter…

10Concentration et collaboration des médias, une question de survie

Le paysage médiatique connaît des difficultés de financement, là n’est pas la nouveauté. Les actualités de l’été auront pu attirer le regard sur les situations de gestion de l’audiovisuel public et privé. Mais aussi sur leur capacité de réaction à travers la mutualisation pour faire face à de plus grands défis contemporains, à l’instar de l’irruption de l’intelligence artificielle générative sur toutes les plateformes, évoquée plus haut. Côté audiovisuel public, au début de l’été, le Sénat s’était positionné pour la création d’une holding “France Médias” qui regrouperait France Télévisions, Radio France et l’INA. Une prise de position qui se trouve être au coeur de débats largement similaires en Europe depuis une dizaine d’années. La proposition de loi ne fait pas l’unanimité du côté de la ministre de la culture et des présidentes des deux principales entités de médias publiques, mais remet sur la table la question du financement de ces deux maisons (qui s’inscrit, là aussi, dans une interrogation plus large au niveau européen, documentée par l’UER) alors que la redevance a été supprimée l’été dernier. Un chantier complexe qui révèle une nouvelle fois la nécessité de trouver la bonne articulation entre gouvernance, pluralisme et financement des médias publics.


Visuel du rapport édité par l’UER sur le Financement des médias de service public

Du côté de l’audiovisuel privé, l’on retrouve également cette interrogation avec la grève du JDD qui s’est achevée le 1er août, après cinq semaines consécutives sans publication. La présence de milliardaires en qualité d’actionnaires des grands médias n’est pas non plus une nouveauté. De la même manière, le changement de rédaction en chef peut induire des départs de journalistes et c’est ce qui construit le pluralisme. En revanche, c’est la réitération d’une méthode “Bolloré” qui interpelle, avec des interventions particulièrement visibles dans la vie des rédactions et sur la ligne éditoriale des médias acquis et qui a mené à ce qui est considéré comme le plus grand mouvement social de l’histoire des médias depuis 1975.

Mais les médias ont aussi la possibilité de s’unir pour faire face à de grands défis : au cours du mois d’août, une dizaine de groupes de presse internationaux (AFP, Associated Presse), de photos (Getty Images, European Pressphoto agency – EPA) et des organisations professionnelles (Authors Guild et News Media Alliance) ont appelé dans une lettre ouverte au renforcement de régulations concernant l’intelligence artificielle générative. Ils appellent à plus de transparence pour que chaque utilisateur soit en mesure de pouvoir identifier le contenu généré par IA, mais aussi à la protection de ceux qui génèrent les contenus utilisés pour les entraînements de ces IA. Ils demandent aussi la possibilité de pouvoir négocier collectivement avec les opérateurs et les développeurs de modèles d’IA les conditions d’accès et d’utilisation de leur propriété intellectuelle par les opérateurs. La démarche souhaite “soutenir le progrès et le déploiement responsables de l’IA générative tout en estimant qu’un cadre juridique doit être élaboré (…) afin de maintenir la confiance du public dans les médias qui promeuvent les faits et alimentent les démocraties.

+et aussi, les tendances étonnantes sur les réseaux sociaux

Les cœurs d’artichauts fourrés au fromage blanc, l’obligation de porter un masque pour se protéger de l’air, les dangers de la crème solaire ou encore la nourriture trempée dans l’eau de mer ne sont que quelques-unes des idées farfelues qui ont animé les réseaux sociaux cet été. Mais un phénomène plus gros a eu un impact que personne n’a vu venir : la sortie simultanée de deux blockbusters (Oppenheimer et Barbie) a fait naître le hashtag #Barbenheimer. D’un côté, la couleur rose, symbole d’un modèle féminin tout sauf #MeeToo-compatible associée à la plus grande campagne marketing jamais réalisée avec un film, ont convaincu même les féministes en herbe d’aller voir le premier film réalisé par une femme qui a dépassé le cap du milliard de dollars au box-office mondial ; de l’autre côté, la bombe nucléaire. La combinaison des deux à créé un phénomène Internet qui promeut mutuellement les deux films diamétralement opposés grâce à l’imagination des cinéphiles (et avec l’aide de l’intelligence artificielle générative), poussant de nombreux internautes à aller voir chacun des longs-métrages…

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