Le Paris Podcast Festival, événement majeur dans l'univers du podcast en France, a récemment conclu sa sixième édition. Son cofondateur, Thibaut de Saint-Maurice revient sur les enjeux de ce rendez-vous annuel.
Par Alexandra Klinnik, MediaLab de l'Information de France Télévisions
Le monde du podcast est confronté à un paradoxe. En France, l'engouement pour le format ne faiblit pas, mais le milieu peine à trouver son modèle économique. Pour l'heure, marques et partenaires préfèrent se désengager, faute de voir un réel retour sur investissement. C'est dans ce contexte que s'est ouvert, ce 13 et 14 octobre, le Paris Podcast Festival, qui a accueilli plus de 3 500 personnes à la Gaîté Lyrique. Restrictions budgétaires obligent, le festival s'est tenu sur deux jours, au lieu des quatre habituels.Thibaut de Saint-Maurice, professeur de philosophie, chroniqueur à France Inter et cofondateur du festival, revient sur cette 6ème édition, qui malgré les aléas du marché, a été "une réussite".
Quel est le bilan de cette 6ème édition du Paris Podcast Festival ?
Le bilan reste positif en dépit des difficultés rencontrées pour préparer cette édition. Le public a été au rendez-vous, les retours très bons. On a senti une grande joie de la part des participants, d’un public qui parfois venait pour la première fois et des lauréats récompensés. Le palmarès fut riche, notamment avec la récompense dans la compétition officielle du podcast documentaire, parrainé par la Scam, Loin de l’Iran, près de nos sœurs, de Anahid Djalali, Juliette Pierron Rauwel et Solin Moulin.
L'objectif était de « rester à l’écoute », formule choisie pour cette 6ème édition : être attentif entre autres à un écosystème qui s’interroge de manière existentielle sur son équilibre et son orientation.
Si cette édition a été une réussite, il a fallu faire face à une « rétractation de l’écosystème ». Certains partenaires ont révisé leurs budgets et divisé par deux leurs contributions…
Au bout de cinq ans d’investissement dans le podcast, les marques et les plateformes s’interrogent sur sa rentabilité. Deezer a décidé d’arrêter d’investir dans le podcast natif, et de réorienter sa stratégie autour du streaming musical. Patreon, une société qui fait du financement participatif, a également décidé de se retirer. Targetspot, une régie de radio digitale, qui nous a soutenu pendant cinq ans, n’a pas souhaité renouveler. Il ne s’agit pas de pointer du doigt. Ils ont leurs raisons. J’aimerais saluer la loyauté, la fidélité de ceux qui ont continué comme Amazon Music, Spotify, Acast, les sociétés de gestion de droits collectifs d’auteurs…
Les revenus publicitaires et commerciaux manquent de stabilité alors que les audiences sont bonnes. C’est tout un paradoxe. Il y a une hausse significative de la part d’auditeurs (+5 points) avec 37% d’auditeurs en France en 2023, d’après les résultats du Baromètre CSA/Havas Paris sur le rapport des Français au podcast natif. Le marché arrive à un moment charnière avec deux possibilités. Soit on persévère jusqu’à développer l’audience de manière à ce qu’elle devienne rentable grâce à la pub, les promotions croisées, etc. Soit on maintient la réduction des investissements, au risque de figer l’audience et condamner à terme cet écosystème de création à une existence précaire.
La création audio parvenait à tenir la tête hors de l’eau, grâce notamment au soutien de Spotify et Deezer, qui finançaient des coproductions avec des plus petits acteurs. Cependant, le géant suédois a récemment opéré une restructuration Outre-Atlantique, avec des licenciements, l’arrêt de productions… Quelle est la situation en France ?
En France, Spotify a choisi de limiter l’investissement en production originale, voire d’arrêter un certain type de production : la fiction. Il a également choisi de réattribuer les budgets à l’accompagnement et à l’augmentation de l’audience des podcasteurs indépendants. Ils ont annoncé un programme radar, de détection et d’accompagnement de « talents » qu’ils identifient avec un potentiel de progression. Concrètement, il s’agit de les mettre en avant avec une panoplie de dispositifs marketing, de faire du traitement de données pour les aider à développer davantage leur audience. Ils préfèrent désormais accompagner les créateurs plutôt que de développer de nouvelles productions. C’est une forme de recomposition de leur intervention dans le système.
Joël Ronez, cofondateur de Binge Audio, explique devoir produire moins d’œuvres ambitieuses, pour se focaliser sur des formats moins coûteux tels que les entretiens et les talks…
Un défi majeur se pose concernant le financement de la production audiovisuelle native. Il faudrait que l'audience représente au moins 60 à 70% de la population française pour que la publicité suffise au financement. Comme tous les producteurs indépendants, je réclame un soutien financier public. Aujourd’hui, une maison d’édition, une société de production audiovisuelle, de production musique, bénéficie d’aides publiques. Le podcast est à la fois une production culturelle et un média, il devrait pouvoir bénéficier des aides comme toutes les autres entités.
Le podcast natif se distingue comme média de la vitalité démocratique, au cœur du débat et du quotidien. Il se renforce comme point de repère dans un monde digital surchargé par la multiplication des images, et se positionne comme une pratique « écologique » du numérique : des contenus de qualité, meilleurs pour la santé, sans publicité dénaturante et dont l’origine est garantie. Il participe au pluralisme. Il éveille les auditeurs. 88% des auditeurs estiment que le podcast éclaire sur des sujets de société. 81% ont déjà changé d’avis, de regard sur un sujet après l’écoute d’un podcast. Ce qui veut dire que le podcast anime réellement la conversation publique. Par ailleurs, les Français écoutent des podcasts pendant plus de 30 minutes, contre ¼ seulement en 2022. Aujourd'hui, je doute que, dans la situation actuelle de notre démocratie, nous puissions nous passer d'œuvres et de médias capables de maintenir l'attention de nos citoyens sur le long terme. On se plaint toujours du zapping, du clash, du déficit attentionel. Ici, il y a le signe d’une adhésion, qui doit être extrêmement valorisé.
On peut également penser à d’autres formes de financement. Dans la série Irrésistible diffusée sur Disney+, l’héroïne Adèle, à la tête d’un studio de podcasts, imagine La Maladie d’amour, un programme qui mêle témoignages amoureux et analyses scientifiques. Ce podcast est devenu réalité et est produit par Louie Media : 10 épisodes de 30 minutes, présenté par Camélia Jordana…
Il s’agit d’une piste de développement intéressante. Cependant, le risque serait de condamner le podcast au statut dérivé d’une autre production. Dans ce contexte, l’opération lancée par Louie Media et Disney a du sens : le studio réalise ce que la série imagine. Il y a une forme de continuité, mais le podcast reste subordonné malgré tout à la production de départ. Cela serait ironique qu’un film ou une série bénéficie d’aide et de financement et non le podcast qui en découle. Il s’agit aujourd’hui de reconnaître un nouveau registre de pratiques culturelles. On s’enorgueillit en France de faire valoir l’exception culturelle, qui passe par la protection et la reconnaissance d’un statut particulier pour les auteurs et autrices. Il faut évidemment étendre ce régime à de nouvelles formes de créations. Les peintres se sont opposés au statut d’artistes des photographes : on ne va pas rejouer le même scénario tous les vingt ans, alors que le champ d’expressivité artistique et médiatique s’étend [notamment grâce aux avancées des technologies d'IA générative NDLR].