Médias : garder le moral pour 2025
Il est difficile de garder le moral face à la spirale négative qui touche les médias : attaques incessantes de politiciens hostiles, difficultés économiques récurrentes, bataille pour protéger la propriété intellectuelle face aux plateformes dominées par l’intelligence artificielle, et une série sans fin de licenciements – à commencer aujourd’hui par Konbini en France, suivi de la suppression de 4 000 postes de journalistes au Royaume-Uni et aux États-Unis en 2024, selon Press Gazette. À cela s’ajoute la fatigue de l’information, un sentiment de déconnexion profonde au sein de la profession, où chacun semble camper sur ses positions sans véritable dialogue. La confiance dans les médias atteint des niveaux historiquement bas, et pourtant, à l’image d’un phare dans la nuit, une lueur d’espoir persiste. Le Reuters Institute le rappelle dans ses prédictions 2025 : malgré ces turbulences, de nombreux médias traditionnels conservent un optimisme relatif pour l’année à venir – même si cet espoir n’est pas nécessairement lié à l’avenir du journalisme en soi. En effet, 41 % des rédacteurs en chef, PDG et responsables numériques se disent confiants dans les perspectives du secteur. (Pas de pigistes interrogés sans doute). Les périodes d’incertitude ont souvent été favorables aux affaires, et la perspective d’un « Trump déchaîné » pourrait entraîner une hausse du trafic web et même des abonnements. Dans ce contexte, il convient d’explorer ces quelques lueurs d’espoir, sans être naïf.
Par Alexandra Klinnik, Océane Ansah du MediaLab de l’Information et Kati Bremme, Directrice de l’Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media
Source : Reuters Institute
1. En 2025, “Print is the new cool”
En 2025, le tangible reprend sa place. Les vinyles, les livres papiers, les magazines : autant d’objets qui redeviennent prisés. Posséder des supports matériels devient le nouveau symbole d’un mode de vie recherché, à contre-courant de l’omniprésence des écrans. Le print est un des grands bénéficiaires de cette tendance, ou plutôt d’une prise de conscience croissante : les écrans ne se contentent pas de monopoliser notre attention, ils participent aussi à une fatigue mentale généralisée.
Dans ses prédictions pour 2025, Reuters voit le print comme une « nouvelle » source potentielle de revenus pour les médias, ou plutôt une source que l’on croyait épuisée. Comme le résume CNN, c’est un peu « l’effet du vieux qui redevient nouveau ». En octobre 2024, le magazine The Atlantic a annoncé l’augmentation de ses publications, passant de 10 numéros à 12 par an, renouant ainsi avec une parution mensuelle pour la première fois depuis 2002. Jeffrey Goldberg, rédacteur en chef de The Atlantic, a déclaré : « La grandeur du format imprimé, et particulièrement d’un magazine imprimé, est qu’il reste là pour vous. Il ne vibre pas, ne clignote pas, et ne vous oblige pas à faire des choses. Il est là pour être lu et apprécié. Les gens en retirent encore un plaisir intellectuel et esthétique ». En France, le magazine télévisuel Le Papotin va paraître également pour la première fois en kiosque, soutenu par Prisma. Cette émission portée par des journalistes non-professionnels avec des troubles de l’autisme réunit en moyenne 3 millions de téléspectateurs sur France 2 et publie un numéro annuel à commander habituellement sur Internet.
En 2024, le marché du print a enregistré une croissance notable aux États-Unis, marquant un retour en grâce après des années de déclin. Dans ses prévisions pour les tendances médiatiques, Kantar souligne que ce phénomène devrait s’amplifier. Une analyse que partage Aimee Rinehart, responsable de la stratégie IA à l’Associated Press, dans les prédictions pour le journalisme publiées par le Nieman Lab. Selon elle, « en 2025, les lecteurs retrouveront le goût des publications imprimées et des plateformes sociales décentralisées ».
We learn more from reading on paper than on screens.
— Adam Grant (@AdamMGrant) December 9, 2024
54 studies, 171k people: we process print more deeply than digital content—as long as it's informational rather than purely narrative.
The paper advantage holds across ages and has grown over time. Long live physical books. pic.twitter.com/xH6bsGT6FQ
Pour Aimee Rinehart, la page imprimée offre un répit à nos esprits saturés par les incessants pics de dopamine générés par les écrans. Elle permet de penser, de ressentir et d’agir avec plus de clarté, loin des distractions permanentes qui grignotent notre temps et notre attention.
2. En 2025, un intérêt croissant de la Génération Z pour l’information approfondie
La Génération Z est souvent associée à une capacité d’attention limitée et à une quête incessante de satisfaction immédiate. Pourtant, une tendance contraire émerge : un intérêt grandissant pour l’information approfondie et l’éducation. Cela se manifeste notamment par la popularité croissante des formats vidéo longs parmi cette génération.
Selon une enquête d’octobre 2023 de Emarketer, si 61,6 % des membres de la Génération Z aux États-Unis préfèrent consommer des vidéos courtes, un pourcentage significatif – 53,1 % – s’engage également avec des vidéos longues sur les plateformes sociales. Cette évolution marque un tournant. Elle reflète une volonté d’explorer des sujets de manière plus détaillée, au-delà des contenus rapides et éphémères qui dominent souvent les flux des réseaux sociaux.
Source : Mobile Marketing Reads
Parmi ces formats longs, les essais vidéo (ou video essays) occupent une place particulière. Ces productions se distinguent par une analyse approfondie d’un sujet spécifique, appuyée sur des recherches documentées. Elles adoptent un format hybride, à mi-chemin entre le documentaire et le récit personnel, souvent narré par un individu qui engage directement le spectateur. Ce type de contenu attire un public jeune en quête de compréhension et de réflexion sur des thématiques variées, allant de l’histoire à l’économie, en passant par la pop culture.
Pour les médias traditionnels, The Wall Street Journal a brillamment investi ce domaine, notamment avec sa chaîne YouTube, qui compte plus de 5,88 millions d’abonnés. En mettant l’accent sur des contenus narratifs, visuellement captivants et riches en informations, les grands médias pourraient ainsi conquérir une part importante de cette audience jeune et curieuse.
Dans les prédictions de NiemanLab pour le journalisme en 2025, Geetika Rudra, auteure de Here to Stay: Uncovering South Asian American History, estime que le journalisme aura l’opportunité, en 2025, de renouer avec ses racines en répondant à une demande claire et croissante des consommateurs pour des contenus longs et authentiques. Elle soutient que, contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’attention des publics serait en déclin, ceux-ci montrent une préférence marquée pour des formats plus longs. Selon ses observations, la durée moyenne des vidéos les plus performantes sur YouTube est de 20 minutes. Elle considère que les formats longs seront essentiels pour reconstruire la confiance par la nuance, pour engager les audiences en tant que partenaires, et non plus comme de simples consommateurs, et pour redonner au journalisme son rôle fondamental.
Dans leurs prévisions, Reuters rapportent que les éditeurs sont prêts à investir davantage dans la vidéo en 2025. Les éditeurs investiront davantage dans des réseaux vidéo tels que YouTube (+52%).
Source : Reuters Institute
3. En 2025, les grands médias continueront de capter l’attention
En 2025, les grands médias continueront à jouer un rôle central dans la diffusion des histoires les plus marquantes, c’est ce que souligne CNN dans sa newsletter Reliable Sources avec Brian Stelter. Si les plateformes indépendantes et les médias de niche gagnent en popularité, les grandes institutions journalistiques conservent un atout majeur : leur capacité à produire des enquêtes approfondies et des scoops retentissants. Les événements de 2024 en témoignent : les récits les plus suivis ont souvent été révélés par des médias de premier plan (Le Monde, The Guardian, Spiegel), qui restent une référence pour de nombreux lecteurs.
Le Washington Post a particulièrement fait parler de lui, en devenant lui-même un sujet de controverse. L’absence de soutien à Kamala Harris dans sa campagne présidentielle a fait l’effet d’une bombe, symbolisant un changement stratégique audacieux. À cela se sont ajoutés le départ de journalistes influents, une réorganisation interne marquée, et les interrogations sur la relation entre son propriétaire et le président élu. Ces événements ont capté l’attention du public, avide de comprendre les coulisses d’un géant médiatique confronté à des enjeux complexes. Ce type de transparence, même involontaire, résonne avec un public qui aspire à des récits authentiques et ancrés dans la réalité.
Cette dynamique montre que, malgré l’émergence de nouveaux acteurs, les grandes institutions médiatiques ne sont pas en voie de disparition. Au contraire, leur rôle évolue pour répondre à la demande croissante de récits factuels et impactants.
4. En 2025, les podcasts historiques pourraient être un pari gagnant pour les médias
En 2025, les médias auraient tout intérêt à miser sur les podcasts consacrés à l’histoire. Selon Bloomberg, ce secteur connaît un véritable essor, porté par un public avide de récits captivants et intemporels. Aux États-Unis, des émissions comme The Rest is History enregistrent jusqu’à 12,5 millions de téléchargements mensuels, surpassant même des poids lourds comme This American Life. La société qui produit l’émission, Goalhanger, a signé un accord avec une société de production hollywoodienne pour développer des formats de télévision et de films basés sur celle-ci.Cette tendance démontre un appétit croissant pour les contenus historiques, renforcé par le succès d’autres émissions telles que Hardcore History, Revisionist History, The History of Rome et Stuff You Missed in History Class.
La rentabilité des podcasts historiques repose sur plusieurs facteurs. Par exemple, Hardcore History propose des épisodes pouvant durer plus de six heures. Malgré un rythme de production limité à un ou deux épisodes par an, ce podcast reste l’un des plus populaires au monde. Ses revenus proviennent principalement des auditeurs eux-mêmes, qui n’hésitent pas à débourser jusqu’à 100 dollars pour des épisodes ou des packs d’émissions. L’un des atouts majeurs de ce format est sa pérennité : contrairement à d’autres contenus médiatiques, les récits historiques ne deviennent pas obsolètes.
Dan Carlin, l’animateur de Hardcore History, illustre bien cette tendance. Sa méthode de travail, basée sur des mois de recherche – il consacre six à huit mois à un épisode, dont deux mois exclusivement à la lecture et à la recherche – offre un contenu profond et authentique. Ce souci du détail contraste fortement avec la consommation rapide d’informations et trouve un écho favorable auprès d’un public en quête de sens et de qualité.“Cet intérêt marqué pour l’histoire peut être un symptôme du fait que nous vivons une époque intéressante. D’autres périodes de profonds changements technologiques et politiques ont été accompagnées d’une véritable obsession pour le passé”, met en contexte Bloomberg. Après la Seconde guerre mondiale, au milieu des révolutions sociales, les plus grands succès hollywoodiens étaient des épopées historiques : Guerre et Paix, Ben-Hur, Les dix commandements, Spartacus, Cléopâtre
Vers une expérience élargie : des podcasts à la scène
Au-delà de l’audio, les podcasts historiques pourraient franchir une nouvelle étape en investissant la scène. Selon Juleyka Lantigua de LWC Studios, cette tendance s’accélérera en 2025. Les auditeurs fidèles souhaitent renforcer leur lien avec leurs émissions préférées par des interactions en direct explique-t-elle dans les colonnes du NiemanLab. Cette évolution concerne non seulement les grands noms, mais aussi des émissions de taille moyenne et plus modestes, dont les audiences se consolident.
Les événements en direct – qu’il s’agisse de représentations dans des théâtres locaux, de sessions dans des bars ou d’amphithéâtres universitaires – permettent d’approfondir cette connexion. Ils offrent également des opportunités de monétisation supplémentaires grâce aux billets d’entrée et aux sponsors. Quiz, jeux, invités spéciaux et discussions interactives viennent enrichir l’expérience, tout en fidélisant encore davantage les auditeurs. Le podcast The Rest Is History se produira ainsi en mai au Royal Albert Hall à Londres. Les animateurs Tom Holland et Dominic Sandbrook exploreront la vie et l’époque de Piotr Ilitch Tchaïkovski et Richard Wagner. Ils seront accompagnés de l’Orchestre Philharmonia, sous la direction d’Oliver Zeffman. Pour les médias, investir dans les podcasts historiques en 2025 représente donc une opportunité stratégique. Non seulement ces contenus répondent à une demande croissante, mais ils s’appuient également sur des formats durables et adaptables. En intégrant des événements en direct, les producteurs peuvent élargir leur audience et diversifier leurs sources de revenus.
5. En 2025, Les médias apprendront à travailler davantage avec les influenceurs et toucheront une nouvelle audience
D’après le Reuters Institute, une tendance croissante des partenariats entre les médias traditionnels et les créateurs semble émerger, ces derniers cherchant à étendre leur influence et à améliorer leur crédibilité. Par exemple, PressOne, un site d’actualités roumain, a débuté en 2022 sa collaboration avec des influenceurs afin de promouvoir la consommation d’actualités auprès des jeunes. L’année suivante, un projet axé sur la politique de drogue a vu le jour. « Ces collaborations nous ont vraiment aidés, au début, à atteindre l’audience que nous voulions atteindre sur Instagram », explique Mălina Gîndu, responsable des réseaux sociaux de PressOne. Selon elle, en retour, les influenceurs ont acquis la crédibilité de la marque PressOne. En tant que jeunes créateurs, « Ils cherchaient à se légitimer », ajoute-t-elle. Dans certains cas, des marques médiatiques ont même franchi un pas supplémentaire en recrutant des créateurs pour gérer directement leurs chaînes sur des plateformes telles que TikTok et Snapchat, à l’image du Monde.