Liens vagabonds : Voice of America, la fin d’un symbole de l’information américaine

« Who are you with? » – « Voice of America. » – « No wonder. »

Cet échange, survenu lors d’une réunion à la Maison-Blanche le mercredi 12 mars dernier entre un journaliste de Voice of America et Donald Trump, résonne aujourd’hui comme un présage du sort réservé à la radio publique américaine. Le vendredi 16 mars, près de 1 300 employés ont été placés en congé administratif, selon le directeur de VOA, Mike Abramowitz. Cette décision fait suite à un décret signé par Donald Trump, réduisant les opérations de l’United States Agency for Global Media (USAGM) au strict minimum imposé par la loi. Kari Lake, ancienne présentatrice de journaux télévisés et fidèle soutien de Trump, nommée directrice de VOA, a justifié cette mesure en qualifiant l’agence de « gangrène géante » et de « fardeau pour les contribuables américains », ajoutant qu’elle n’était « pas réformable ». Accusée par le président d’être « radicale » et « anti-Trump », l’USAGM a subi un coup sévère, mettant en péril le plus grand et plus ancien diffuseur international des États-Unis. Créée en 1942 pour contrer la propagande nazie via les ondes courtes, l’agence chapeaute également d’autres médias américains comme Radio Free EuropeRadio Free Asia et Radio Martí.

Huit décennies d’information sous les régimes autoritaires

USAGM dispose de bureaux et de journalistes à travers le monde, rapportant l’actualité depuis des régions où l’accès à une information indépendante est limité, voire inexistant. Ses antennes sont souvent la principale – et parfois la seule – alternative au récit officiel. 

Sun Narin, journaliste indépendant pour VOA au Cambodge depuis huit ans, décrit cette décision comme « une période sombre pour nous et pour le journalisme au Cambodge ». « La situation de la presse ne cesse de se dégrader depuis la fermeture de plusieurs médias indépendants. VOA est aujourd’hui le seul média de long terme à oser diffuser des informations critiques au public. Les gens n’ont plus le choix », s’alarme-t-il.

Sur X, la journaliste Carla Babb rappelle que VOA a été créé pour « représenter l’Amérique, et non un seul segment de la société américaine, en offrant une vision équilibrée et complète de sa pensée et de ses institutions ». Son rôle ? « Constituer une source d’information fiable et crédible. »

 Pourtant, Elon Musk a accusé le diffuseur de mener une propagande anti-américaine, une justification avancée pour légitimer la fermeture.

Les ennemis applaudissent

La décision de l’administration Trump peine à être comprise. Reporters sans frontières la condamne fermement, tandis que Stephen Capus, président de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE-RL), y voit un « cadeau massif aux ennemis de l’Amérique ». « Les ayatollahs iraniens, les dirigeants communistes chinois et les autocrates de Moscou et de Minsk ne peuvent que se réjouir de la disparition de RFE-RL après soixante-quinze ans », a-t-il déclaré dans un communiqué. Elez Biberaj, ancien directeur par intérim de Voice of America, a dénoncé sur les réseaux sociaux une décision qui, selon lui, « démantèle l’un des plus grands atouts nationaux des États-Unis » et constitue « un dommage qu’aucun adversaire n’aurait pu causer ». Le chroniqueur Max Boot parle d’un « désaveu stupéfiant du rôle traditionnel des États-Unis comme phare de liberté dans le monde, une décision qui revient à se tirer une balle dans le pied ». David Bandurski, directeur du China Media Project, va plus loin : « En quelques semaines, Trump semble avoir tranché la gorge de l’influence américaine. »

L’ironie de la situation est d’autant plus frappante que certains ennemis historiques des États-Unis ont salué la décision. L’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen, dirigeant autoritaire, a félicité publiquement l’administration Trump, qualifiant les coupes budgétaires de « contribution majeure à l’élimination des fausses nouvelles, de la désinformation, des mensonges, des manipulations, de l’incitation à la haine et du chaos dans le monde ». Le Global Times, quotidien du Parti communiste chinois, a décrit Voice of America comme un « outil de propagande de première ligne » et une « fabrique de mensonges ». Sur les réseaux sociaux, Hu Xijin, son ancien rédacteur en chef célèbre la « paralysie » de ces médias, la qualifiant de « très gratifiante ».

La croisade de Donald Trump contre les médias ne semble pas prendre en compte l’importance stratégique de ces diffuseurs pour les États-Unis. Largement perçue comme une atteinte à la liberté de la presse, cette décision mobilise des voix influentes. Ainsi, Jan Lipavský, ministre des Affaires étrangères tchèque, a lancé un appel à sauver ce qui peut encore l’être du diffuseur. « Nous devons discuter des mesures à prendre pour préserver cette institution, ainsi que la volonté de l’Europe à cet égard », a-t-il souligné, dimanche 16 mars, lors d’un débat télévisé.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • « Si c’est un échec, c’est game over » : Ubisoft face à son destin avec « Assassin’s Creed Shadows » (Les Echos)
  • Affiche d’Hanouna : LFI condamnée pour atteinte au “droit à l’image” (Télérama)
  • Deezer : hausse de 11,8% du chiffre d’affaires en 2024 (Le Figaro)
  • Vincent Bolloré et son groupe visés par une plainte panafricaine les accusant d’être au cœur d’un « système de corruption » (Le Monde)

3 CHIFFRES

  • Les sites d’information demeurent très dépendants de Google, qui génère à lui seul 67 % du trafic total des membres de l’Apig, selon une étude de l’association
  • La génération Z n’aime pas les podcasts vidéo. Parmi les 58 % qui utilisent Spotify, 88 % préfèrent uniquement l’audio, d’après Transistor.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

Spotify reste l’application de podcast la plus populaire auprès de la génération Z.

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

  • L’IA Slop est une attaque par force brute contre les algorithmes qui contrôlent la réalité (404media)
  • OpenAI exhorte Trump à libéraliser le pillage des contenus sur le web (ArsTechnica)

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • Le test de Google conclut que les contenus des médias ont peu de valeur (Mindmedia)
  • Limogeage, plainte en justice… Apple empêtré dans l’important retard de son futur assistant intelligent Siri (Le Figaro)

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

  • Des journalistes russes en exil laissés ‘dans une impasse’ après la réduction du financement des radios par les États-Unis (The Guardian)
  • Le décret de Trump affaiblissant les agences réduit les outils de lutte contre la censure dans le monde entier (Bloomberg)
  • Meta promet de lutter contre la désinformation en Australie avec la même stratégie qu’elle a abandonnée aux États-Unis pour apaiser Trump (404 media)
  • Les moteurs de recherche dopés à l’IA ne sont pas fiables (Radiofrance)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Google versera 28 millions de dollars pour clore un procès pour discrimination raciale (BBC)
  • Bruxelles prend des mesures contre Google et Apple malgré la menace de Trump (Financial Times)

JOURNALISME

  • Trump vante la reprise en main éditoriale du Washington Post par Jeff Bezos (The Hill)
  • Un journal italien annonce avoir publié la première édition au monde générée par l’IA (The Guardian)
  • Bluesky facilite le suivi des références pour les éditeurs (TechCrunch)
  • Dans Trump 2.0, beaucoup de gens bouleversent leurs habitudes médiatiques — ou pratiquement se déconnectent (Boston Globe)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • Le concurrent de Substack, Ghost, est désormais connecté au fedivers (TechCrunch)

ENVIRONNEMENT 

  • Greenpeace tué financièrement par la justice du Nord Dakota (Washington Post)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Grosse fatigue chez les influenceuses : « Ma vie est devenue un objet marketing » (ADN)
  • L’avenir de la recherche n’est pas Google — et cela coûte 10 $ par mois (The Verge)
  • Les Community Notes ne peuvent pas sauver les réseaux sociaux d’eux-mêmes (Bloomberg)
  • La lanceuse d’alerte de Facebook, l’auteure de Careless People, déclare que la demande d’arbitrage de l’entreprise l’empêche de s’adresser au Congrès (CNN)
  • Facebook, Instagram, WhatsApp… Meta déploie son assistant IA en Europe (Les Echos)

STREAMING, OTT, SVOD 

  • Pourquoi Hollywood n’arrive toujours pas à tirer le meilleur parti des jeux vidéo (Variety)
  • Le thriller de bureau Severance offre à Apple un succès dont il avait grandement besoin (Bloomberg)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • La bataille grandissante autour de la définition du mot “podcast” (Bloomberg)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • ChatGPT sait rédiger un essai. Des scientifiques veulent qu’il plie aussi le linge (NPR)
  • La Chine impose des étiquettes pour les contenus générés par l’IA (Scpm)
  • « C’est sordide » : la voix du doubleur français de De Niro, décédé, reproduite sans autorisation sur YouTube (Le Parisien)
  • Ben Stiller, Mark Ruffalo et plus de 400 personnalités d’Hollywood exhortent Trump à ne pas laisser les entreprises d’IA « exploiter » des œuvres protégées par le droit d’auteur (Variety)
  • OpenAI et Google demandent au gouvernement de les autoriser à entraîner l’IA sur des contenus qu’ils ne possèdent pas (The Verge)
  • L’ampleur insensée du problème des livres piratés par l’IA (The Atlantic)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

  • Les éditeurs constatent des ‘tendances inquiétantes’ de la part des annonceurs dans le cycle politique actuel (Press Gazette)
  • La startup d’IA agentique AMT vise à devenir le « Google Adwords des influenceurs » et lève un tour de financement d’amorçage (TechCrunch)

Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Océane Ansah

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