Radio 2.0 : késako ?

Par Etienne Cointe et Mathias Virilli, France Télévisions, Direction de la Prospective

La radio, c’est une présence sonore”. C’est par ce rappel de bon sens que Pierre Bellanger, fondateur et directeur de Skyrock, a introduit ce qu’était selon lui la radio à l’occasion des Rencontres de la Radio 2.0 cette semaine à Paris. 

La radio reste le 2ème média le plus consommé chaque jour (après la TV), et le premier le matin. Les Français écoutent la radio près de 3h par jour en moyenne selon Médiamétrie (étude sur la période septembre 2013 à juin 2014). L’audience numérique de la radio est toujours en progression, en particulier chez les jeunes. Bien que leur temps d’utilisation soit inférieur à celui de leurs aînés (1h56), 78,2% des 13-24 ans écoutent la radio ; 26,4% de ces jeunes ont écouté la radio sur un appareil connecté (smart phone, tablette, ordinateur, TV connectée, baladeur numérique), soit 15 points de plus qu’il y a quatre ans.

Capture d’écran 2014-10-15 à 11.09.57

La radio 2.0 : késako?

Si la radio est définie par cet “accompagnement vivant”, cette “présence humaine avec de la personnalité” décrite par Pierre Bellanger, que recouvre cette appellation de radio 2.0 ? Les frontières sont difficiles à établir, ce qui explique la grande variété des acteurs réunis : radios traditionnelles, webradios, smart radios, services de streaming… D’après Yvan Denys, de France Médias Monde, "la radio 2.0 au sens live du terme, on la cherche encore aujourd’hui".

Une chose est sûre, le numérique ouvre un “nouveau champ des possibles” qui appelle selon Xavier Meunier à une prise de conscience de la part des acteurs du secteur. C’est déjà fait pour Pierre Bellanger, pour qui "c’est un âge d’or qui débute pour la radio”.

Selon lui, “les radios ont été brimées par les systèmes féodaux d’attribution de fréquences”. Les possibilités de distribution de la radio 2.0 vont désormais permettre aux talents de s’exprimer plus librement.

Exploiter les possibilités apportées par Internet

Afin de poursuivre sa mutation et de renforcer sa place prépondérante au sein de l’écosystème des médias français, la radio 2.0 se doit d’explorer les caractéristiques inhérentes au web afin d’en déceler des opportunités.

Internet permet d’abord à la radio de s’inscrire dans un environnement spatio-temporel augmenté. Le web rend la radio disponible partout, notamment grâce à la démocratisation et à l’expansion du smart phone : avec 60% d’écoute radio hors domicile, la mobilité en est ainsi un véritable levierLa radio est également disponible à tout moment grâce à son offre délinéarisée. Fini le temps où l’auditeur était l’esclave de la programmation des radios, les podcasts permettent maintenant à une émission d’être disponible après sa diffusion en direct, tandis que les services de streaming permettent une consommation musicale à la demande.

La radio va dès lors toucher de nouveaux réservoirs d’audience :

- les utilisateurs qui souhaitent écouter leurs émissions en mobilité
- les auditeurs ayant un accès internet sans être éligibles à certaines ondes FM
- les jeunes, adeptes de l’utilisation du support numérique, sont également une audience à exploiter davantage pour les radios 2.0 : 33,1% du volume d’écoute total de la radio par les jeunes de 13 à 24 ans provenant des supports multimédias (soit + 21,5 points par rapport à 2009).

De plus, la radio de l’ère numérique peut bénéficier de la portée sociale induite par l’essor des réseaux sociaux. Le partage via ces réseaux permet aujourd’hui aux radios 2.0 de bénéficier d’une nouvelle prescription sociale, sorte de bouche à oreille démultiplié: 64% des français découvrent une nouvelle musique grâce à leurs amis (Baromusic 2014 d’Havas S&E).

Ce sont aujourd’hui les services de streaming qui en bénéficient le plus, eux qui adoptent une approche consumer-centrist. Aux radios FM d’aller vers une offre à 360° en donnant à l’auditeur cette même place de choix et en lui offrant les programmes qu’il veut, car celui-ci n’a jamais autant été arbitre de ce qu’il écoute. L’enjeu de la donnée et de la recommandation est alors primordial.

Avec une hausse de 30% sur l’année en France (52% aux US, 42% au UK), les services de streaming s’installent durablement dans le paysage audio numérique et glanent aujourd’hui 50% du marché, dont 17% pour le streaming gratuit. Cependant, 80% des utilisateurs sont en demande de musique programmée sur les plateformes numériques, preuve que le streaming on demand a ses limites.

Pour guider les utilisateurs dans leur offre de titres quasi-illimitée, les différentes plateformes s’équipent de moyens de recommandation. Si Spotify s’est doté d’un algorithme et préfère l’agrégation de données, Deezer s’appuie sur une équipe d’experts ainsi que sur l’historique d’écoute de ses utilisateurs pour éditorialiser ses contenus. La smart radio américaine Pandora a elle lancé le Music Genome Project, qui vise à proposer à partir d’un algorithme, une expérience personnalisée basée sur l’expertise musicale et les préférences des auditeurs. Cependant, la catégorisation de la musique est rendue difficile par le fait qu’elle n’est pas “une aspérité en soi, comme peut l’être le sport”, comme le soulignait Gregory Quantin, d’Havas S&E.

S’appuyer sur les atouts de la radio pour inventer la radio 2.0

Ces nouveaux services musicaux, avec ces nouvelles formes d’accompagnement, participent à ce “long strip-tease” , selon l'expression de Pierre Bellanger, que constitue l’histoire de la radio : elle se retrouve dépossédée d’une de ses caractéristiques majeures, à savoir la prescription musicale, jusqu’au point où certains affirment que ce n’est plus pour la musique que l’on écoute la radio.

Pourtant, d’après Médiamétrie, la musique est toujours un facteur motivant pour 80% des 13-24 ans, qui voient en la radio un média distrayant (73%), tandis que le Baromusic d’Havas S&E, 82% de la découverte musicale se fait toujours par la radio en France. On voit bien que les services de streaming et les smart radios ont du mal à offrir une expérience pleine et personnalisée aux auditeurs. S’ils sont aujourd’hui capables de proposer des contenus connexes à ceux précédemment écoutés, ils ne permettent pas encore de découvrir des musiques moins connues, voire de niche. D’après Jean-Luc Biaulet de Music-story, « les algorithmes sont encore très loin de pouvoir reproduire les métiers d’éditorialisation ».

Une bonne nouvelle pour les radios et webradios, puisque 63,5% des 13-24 ans écoutent des programmes musicaux à la radio (68% chez les 13-18!). Les Français sont de grands amateurs de musique : 44% se disent passionnés, alors que le répertoire français est le deuxième à l’exportation après celui des anglo-américains.

Capture d’écran 2014-10-15 à 11.10.57

Un deuxième atout historique de la radio, c’est son interactivité. Si le micro-trottoir préfigurait de l’interaction entre animateurs et auditeurs, ensuite permise par le téléphone, les réseaux sociaux ont repoussé les frontières de l’interactivité en permettant aux auditeurs de converser entre eux. Plus simple, plus rapide, plus directe, l’interactivité 2.0 permet une dissémination du contenu plus vaste. Les auditeurs peuvent en outre concurrencer les journalistes eux-mêmes en termes de vitesse et de sources. Si les radios 2.0 doivent jouer la carte de l’interactivité, Pierre Bellanger a toutefois mis en garde contre une expropriation des communautés électroniques par un transfert de valeurs vers des tiers concurrents financés par la publicité.

Le son binaural était l’innovation star présentée à l’occasion cette édition des Rencontres de la Radio 2.0, avec la diffusion par NouvOson d’enregistrement en 3D tout au long de la journée. Elle est actuellement la technique de spatialisation le plus proche de l’écoute naturelle, et permet une écoute 3D sur un casque stéréo. L’expérience binaurale prend en compte les morphologies des auditeurs à partir de sept profils prédéfinis (pour l’instant), censés recouvrir la diversité de la population, et ce afin de proposer à l’utilisateur une expérience d’écoute où le son est mieux représenté dans l’espace.

Si cette technologie apparaît à première vue très attractive tant au niveau de l’enrichissement de l’expérience utilisateur qu’à sa disponibilité (elle peut s’adapter aux casques audio), elle nécessite néanmoins une approche design thinking : elle doit être pensée dès la production des émissions, et intégrer un matériel d’enregistrement adéquat, rendant son instauration autrement plus compliquée pour l’ensemble des chaines de radio.

Deux évolutions possibles vers la radio visuelle

Outre ces pistes de développement, deux évolutions semblent aujourd’hui se dessiner pour les radios traditionnelles qui veulent réussir leur tournant 2.0.

La première serait d’aller à la rencontre de la télévision, avec un conglomérat radio-TV et des talk-show comme genre mixte. Un virage déjà emprunté par un certain nombre d'émissions qui sont désormais filmées dans la majorité des studios des radios nationales, avec des efforts à anticiper sur l’éclairage ou la scénographie. Un virage qui suscite de nombreuses réticences chez des radiophiles comme Philippe Rollin, pour qui la radio est un média de l’imagination, qui serait perverti si on en faisait une “sous-télévision”. Pierre Bellanger rappelait de même la force de la voix pour une radio “qui n’a pas besoin d’images”.

Face à cette “TV simplifiée”, un deuxième positionnement évoqué est celui de la radio multimedia, où des services seraient proposés à la communauté radiophonique autour de la marque. C’est ce que Xavier Fillol appelle la “radio augmentée”, avec des contenus et services additionnels et complémentaires de la radio, qui s’appuieraient sur le web, le mobile et les réseaux sociaux, avec une forte composante interactive.

Capture d’écran 2014-10-15 à 11.15.41


Dans ces optiques d’ouverture, la radio doit faire face à un enjeu plus large : celui de l’éducation au numérique. Autrefois média uniquement oral, elle doit s’enrichir de nouvelles compétences écrites. Il est aujourd’hui important de décloisonner le métier d’animateur radio, comme l’expliquait Pascale Laffite-Certa de l’INA Expert, en évoquant la nécessité d’évoluer vers plus de polyvalence.

Ainsi, un travail des RH doit être mis en place afin de faire évoluer les métiers radiophoniques de longue date, mais aussi d’intégrer de nouveaux métiers plus technologiques, qui répondent aux nouveaux enjeux du secteur.

Dans la même optique, les nouvelles techniques sur lesquelles se bâtissent la radio 2.0 doivent inciter à expérimenter des formats novateurs, que ce soit pour les programmes, ou pour la publicité.